L’ENA en question
Quel felon ce Macron ! Voilà qu’il vient de confirmer son intention de supprimer l’école à qui il doit tout, ou au moins sa mise sur orbite autour du pouvoir français via l’inspection générale des finances, à savoir l’Ecole Nationale d’Administration, la fameuse ENA.
En même temps, comme dirait le même Macron, il a bien raison. Le magazine de France TV Infrarouge a suivi pendant dix mois la promotion Hannah Arendt de l’ENA (2019-2020) et en a produit un documentaire très intéressant, ou plutôt très affligeant (1).
Le premier jour, on voit débouler une petite centaine d’étudiants en costume cravate Célio et on se dit immédiatement en voyant ces jeunes avec des têtes de vieux, dont les trois quarts sont blancs et portent des lunettes, mais c’est quoi cette école ? On n’imaginait pas la Silicon Valley cela va sans dire, mais on n’imaginait pas non plus qu’ils étaient restés à l’époque de De Gaule. L’équipe ne va pas suivre tous les étudiants un par un, mais une poignée, choisis pour leur singularité. L’un d’entre eux, sans doute d’origine maghrébine, nous confie sa déception de n’avoir pas pu monter une équipe de foot pour se défouler entre les cours car seuls trois camarades ont répondu à son invitation. Double déception quand il apprend que des dizaines d’entre eux, en revanche, se sont manifestés pour aller régulièrement à l’opéra. Là vous vous dites sans doute que je caricature le reportage et l’ENA. Je vous invite à aller voir par vous même en cliquant sur le lien en annexe, vous verrez que je vous livre son témoignage quasiment sans filtre ni préjugé. Le pauvre, il prend cher quand même. Au fur et à mesure du déroulé du reportage et de son parcours à l’ENA, on voit ses cheveux chuter et sa barbe pousser au point qu’il finit par ressembler à une sorte de moine, ne lui manque plus que la chasuble. Et pour finir, on apprend qu’il termine dans les derniers du classement et qu’à la place des Affaires étrangères qu’il briguait, il devra retourner en sous-préfecture. Dégoûté, il dit clairement regretter d’avoir fait l’ENA et d’avoir autant cravaché pour si peu à l’arrivée.
Un autre moment important est celui du premier stage. Le responsable des stages de l’école insiste même sur le fait qu’ils vont enfin être confrontés à la « réalité ». En fait de réalité, la plupart des étudiants choisissent, pour ce premier stage, d’aller dans une ambassade ou une organisation internationale comme l’ONU. Voilà ce qu’on appelle la « réalité » à l’ENA. Il ne manque plus que les rochers Ferrero et le cliché est parfait. L’un d’entre-eux est nommé à l’ambassade de France à Londres. On le voit en pleine réunion ultra stratégique avec Môsieur l’Ambassadeur et ses conseillers.
L’ambassadeur l’interroge :
– Monsieur le Conseiller-stagiaire, qu’a donné votre rencontre avec les autorités britanniques au sujet des ressortissants français dans le cadre du Brexit ?
– Monsieur l’Ambassadeur, merci de me donner la parole. Ils sont très préoccupés de cette situation et attendent avec impatience de connaître la position de la France ce concernant. Conformément à ce que vous m’aviez dit préalablement, je leur ai fait savoir que la position de la France était très claire, à savoir qu’elle est d’attendre la position de l’Europe.
Le Royaume-Uni attend donc la position de la France qui attend la position de l’Europe qui attend de connaître la position du Royaume-Uni, avant de prendre position. A moins que ce ne soit l’inverse. Voilà un sacré stage dites-moi !
Mais attendez, il y a pire. Il y a aussi le stage « territoire », une façon polie de dire « immersion chez les plouks », en préfecture ou pire encore en sous-préfecture. Une étudiante hérite des commémorations des guerres avec les anciens combattants et leurs kilos de breloques. On la voit s’entretenir avec une fonctionnaire de la sous-pref et lui dire :
– Ah mais ça ne va pas du tout là ! Vous avez mis le dépôt de gerbe après l’hymne et le discours de la conseillère régionale avant celui du député. C’est pas du tout le protocole très chère !
– Ah non ?
– Eh non, c’est écrit très clairement page 5634, article 12, codicile 28, alinéa 8, le député passe avant la conseillère de région et le dépôt de gerbe est tout au début.
Sérieux ? Il y a des gens qui se grattent la tête pour savoir qui parle en premier et à combien de mètres de la pierre tombale on doit déposer les fleurs, qui seront déjà fanées le lendemain. Et on a besoin d’une école pour ces conneries ? On vit à une époque où des ordinateurs analysent des milliards de données dans la seconde et ceux qui vont diriger la France travaillent sur les protocoles autour des monuments aux morts de la guerre 14.
Quand on voit ça, on se demande pourquoi il a fallu attendre Macron pour supprimer cette école archaïque. Le problème toutefois, c’est qu’il n’y a pas que l’école qui est obsolète. Une bonne partie de la fonction publique l’est également et personne jusqu’ici n’a réussi à la réformer.
L’ENA n’est que la partie immergée de l’iceberg technocratique français. La supprimer ne changera rien au problème. Peut-être que le réchauffement climatique y parviendra. Patience !
Références
Reportage d’Infrarouge => Lien
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