Le diable en nous
Après avoir incarné Mohammedou dans le film The Mauritanian, Tahar Rahim devint, dans The Serpent, Charles Sobhraj, ce Français qui se fit passer pour un diamantaire dans les années 70 en Thaïlande et tua de jeunes touristes, de jeunes femmes pour être précis, venues chercher des réponses spirituelles à leurs questions existentielles que le mouvement hippie avait fait naître chez les jeunes occidentaux. Charles lui n’avait rien d’un baba cool. Il droguait, violait sans doute et tuait pour voler l’argent et les papiers de ses proies crédules.
J’ai regardé le premier épisode sur Netflix et je me suis arrêté car je n’y arrive pas. Je n’arrive pas à regarder des histoires de tueurs en série. Un véritable blocage psychologique, qui remonte à l’enfance. Je m’en souviens comme si c’était hier.
J’étais chez un copain et nous jouions aux fléchettes entre deux tours de vélo dans le quartier à la recherche d’autres camarades de jeu. Nous avions dix ans, nous étions des enfants, nous étions heureux, nous étions naïfs, hermétiques presque au monde extérieur. Le quartier, les potes, les jeux, voilà ce qu’était notre univers. Et puis sa mère à allumé la radio ou la télé, je ne sais plus trop, et le présentateur du journal a annoncé qu’une gamine de notre âge, dix douze ans tout au plus, avait disparu du camping où elle dormait avait ses camarades du centre de loisirs auquel ses parents avaient dû l’inscrire pour la semaine. C’était en Normandie, à quelques kilomètres de chez moi. Le lendemain, ce même présentateur annonçait qu’on avait retrouvé son corps cramé dans un bois non loin de là. Ce jour là, j’ai quitté l’enfance, définitivement. Il existait sur cette planète quelqu’un capable d’enlever une gamine de dix ans, de lui faire je ne sais quelles saloperies et pour finir mettre le feu à son corps. Etait-elle encore vivante quand il lança son allumette ? Qu’importe !
Comme on enclenche un mécanisme de défense naturelle, mon cerveau avait décidé d’enfouir cet évènement bien au fond de ma mémoire pour que je puisse continuer de dormir la nuit. Mais tel un bouchon de liège au fond de l’eau, celui-ci refit surface des années après. J’étais désormais un adulte et je comprenais pourquoi je ne supportais pas les films de « serial killers », cela venait de mon enfance et de cet évènement en particulier.
Je fis alors des recherches et je découvris qu’on avait finalement trouvé le coupable, un commis de cuisine, un saisonnier, un peu simple d’esprit apparemment. On avait retrouvé des affaires de la gamine dans sa chambre, faut en effet être très con. Il prit perpette mais cela ne servit à rien car il mourut en prison. De mort naturelle ? L’article n’en disait rien. Paraît-il qu’on aime pas trop les violeurs et les tueurs d’enfants en prison, une sorte de justice alternative, radicale, sans appel.
Vous vous dites peut-être, que vient faire ce fait divers dans cette série de billets d’humeurs, certes personnels, mais qui traitent surtout de sujets politiques, économiques, écologiques… Eh bien c’est assez simple. Il y a quelques mois, le magazine Society consacrait sa une à Michel Fourniret à l’occasion de la mort de celui-ci à plus de 80 ans. Manifestement, personne n’avait eu l’envie, ou la possibilité de le zigouiller avant. En lisant le reportage, je me suis dit que les tueurs en série constituaient en effet un véritable sujet de société et rentrait donc à ce titre dans la ligne éditoriale, si je puis me permettre cette expression pompeuse.
Il y aurait beaucoup à dire sur cet individu tant il a bénéficié d’attention médiatique, ce qu’il adorait. Intérêt médiatique, qui me semble être le véritable sujet en fait. Que des individus comme lui existent et sévissent, c’est une évidence, quelque chose qu’il faut admettre et dont il faut faire abstraction pour se préserver une petite parcelle d’innocence dans notre vision du monde. Mais pourquoi leur donne-t-on autant d’importance et d’espace dans la discussion publique ? Pourquoi en faisons-nous des « stars » du côté obscur, des anti-stars en quelque sorte ? Mais des stars tout de même. Pour vendre du papier, faire de l’audience ? Alors c’est ça la société ? La lumière pour les salauds et l’ombre pour leurs victimes. Car c’est bien ça dont il s’agit. Tout le monde connaît le nom de Michel Fourniret. Pouvez-vous me citer le nom d’une seule de ses victimes ? Non ? Eh bien je vais vous les donner, bien que la liste n’est certainement pas exhaustive : Farida, Anglèle, Fabienne, Jeanne-Marie, Elisabeth, Joanna, Natacha, Lydie, Céline, Manaya, Estelle… ça vous dit quelque chose ? Vous voyez !
Je ne vais pas refaire le monde car c’est impossible. Mais ce monde m’attriste parfois, souvent en fait, tout comme cela m’attriste de lire qu’on le traitait avec beaucoup d’égard et ce jusqu’au bout. Ses avocats, ses juges, ses enquêteurs, confiant même avoir eu des échanges intéressants avec lui. Et puis d’autres moins sympas faut avouer. Une fois, un juge avait fait venir Fourniret pour qu’il avoue où il avait enterré le corps de Natacha Danais, une gamine de treize ans. La pelleteuse creusait sous les yeux de tous les protagonistes. Le juge met la pression, intime Fourniret de donner des précisions, lui qui était connu pour avoir une mémoire chirurgicale, capable de décrire les sévices qu’il infligeait à ses victimes par le menu. Fourniret répond alors : « Vous savez Monsieur le juge, le plus étonnant c’est que cette enfant avait à peu près l’âge de votre fille aujourd’hui ! » Le juge vacilla et confia qu’il dut résister à l’envie de prendre une pelle et d’enterrer cette abjection humaine au fond du trou. Il aurait dû !
Voilà un titre de presse qui aurait eu de la gueule et qui aurait fait vendre du papier, pour le coup. « Un juge pète les plombs. Il tue un meurtrier à coup de pelle et l’enterre dans le trou où on recherchait sa victime » Mais non, il garda son self control et Fourniret pu finir ses jours en prison, paisiblement, nourri, chauffé et soigné, contrairement aux SDF et aux migrants.
Je ne suis pas pour la peine de mort mais je ne supporte pas non plus l’idée que des gens comme lui coulent les jours tranquilles. C’est une insulte aux victimes et à leurs familles. Cette question de société est brulante et insoluble au fond car la société toute entière est violente, la société est violence, et la justice populaire pire que tout.
Il y a quelques jours, un jeune algérien du nom de Djamel Bensmail était venu donner un coup de main pour mettre fin aux incendies qui se multiplient cet été en Kabylie. Dénoncé par on ne sait qui on ne sait comment d’être pyromane, après tout les pompiers pyromanes ça existe, celui-ci est embarqué par les gendarmes jusqu’à la caserne la plus proche. Mais la foule s’y rassemble, s’empare de Djamel, le moleste puis c’est l’horreur, le jeune homme est immolé vif, décapité et trainé par la foule en colère.
Alors je réfléchis et me dis, méfies-toi, méfions-nous tous, toujours, de nos impulsions, de nos colères, de nos réactions épidermiques, même légitimes car le diable n’est pas seulement en face de nous, il se cache parfois aussi en nous.
Repose en paix Djamel.
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