# PolitiX

Cap sur le congrès

27 mai 2022

Tandis que des centaines, des milliers même, de candidats se préparent dans la France entière pour les prochaines élections législatives, des candidats qui pour la plupart ne sont pas des professionnels de la politique mais des citoyens ordinaires comme vous et moi, je vous recommande vivement le documentaire Cap sur le congrès diffusé sur Netflix en 2019 (1).

On y suit l’aventure de quatre femmes engagées dans la primaire démocrate de 2017 aux Etats-Unis : Alexandria Ocasio-Cortez à New-York, Amy Vilela dans le Nevada, Cori Bush dans le Missouri et Paula Jean Swearengin en Virginie. On se rend compte à travers ce documentaire à quel point les problématiques rencontrées aux Etats-Unis sont les mêmes qu’ici en France (représentativité, emploi, santé, justice, égalité des droits, place des minorités…) et surtout à quel point il est difficile d’émerger lorsqu’on n’est pas soutenu par la « machine » politique, c’est à dire les grands partis, qu’ils soient Républicains ou démocrates.

Alexandria est une jeune femme latino qui a grandi dans le Bronx à New-York. Quand on prononce le mot Bronx, pas besoin d’en dire davantage tant le nom de ce quartier est synonyme de pauvreté et de beau bordel. Ce constat, le couple Ocasio-Cortez le fait aussi, alors ils déménagent en Virginie afin de permettre à leurs enfants de grandir dans de meilleures conditions et avoir une meilleure chance de s’en sortir dans la vie. Mais ils y reviennent souvent voir leur famille et leurs amis. Alexandria n’a que 11 ans lorsque son père l’emmène à Washington DC pour lui faire visiter le congrès et lui dire qu’elle aussi fait partie intégrante de ce pays, qu’elle soit latino, noire, asiatique ou blanche. Secrètement, le père se met à rêver qu’un jour peut-être, sa petite merveille y sera élue. Malheureusement, un cancer emporte le père de famille quand Alexandria entre à l’université, un drame qui servira sans doute de moteur pour les nombreux défis qui attendent sa fille à l’avenir. Celui du moment, c’est de battre Joseph Crowley, l’indéboulonnable sénateur du 14ème district de New-York depuis 1999, un mollusque si fermement accroché qu’aucune primaire n’a jamais été organisée pour savoir qui allait représenter les démocrates dans ce district, ce serait lui et personne d’autre. Jusqu’à ce qu’Alexandria décide de tenter sa chance, portée par le mouvement Justice Democrates qui oeuvre pour un renouvellement complet de la représentation au congrès. Après ses études universitaires, Alexandria travaille dans des associations caritatives puis comme serveuse afin de subvenir à ses besoins. Aujourd’hui, elle se lance corps et âme dans ce challenge électoral pour que les gens du Bronx et du Queens soient enfin représentés par quelqu’un qui leur ressemble.

Paula Jean est une fille de mineur de Virginie occidentale, une des régions les plus pauvres des Etats-Unis. Elle dit avec une ironie un peu amère qu’on les prend pour des « no teeth, no shoes, no brain », des sans-dents, sans-chaussures et sans-cerveau, des connards de pauvres et des abrutis en somme. Ce qui n’est pas sans rappeler la formule désormais célèbre de François Hollande sur les sans-dents. Mais au delà du mépris de classe dont elle se sent victime au nom de tous ces gens du coin, elle se bat surtout contre l’industrie minière qui rase les montagnes, contamine les eaux et provoque des cancers en chaîne. A un moment, on la voit parcourir un quartier en voiture et faire la liste des gens qui sont morts d’un cancer, lui là dans la maison grise, elle, qui n’avait qu’une dizaine d’années, cancer des eaux, pardon des os. Bref, on sent qu’elle porte sur elle le poids immense d’une partie des gens de sa communauté qui veulent qu’on protège leur santé et celle de leurs enfants. Un poids qui est étonnamment moins lourd sur son concurrent Joe Manchin puisque lui reçoit des financements de l’industrie houillère, arguant que celle-ci amène richesse et prospérité à la région. La richesse pour les uns, le cancer pour les autres.

Cori est une infirmière noire de Saint-Louis, Missouri. Célibataire, pasteure et mère de deux ados, elle fait face à Lacy Clay, un homme noir lui aussi, on évite au moins ici le caricatural noirs contre blancs, pas utile donc d’utiliser le « N » word, le mot commençant par un N devenu tabou un peu partout aux Etats-Unis, N pour nigger, noir, négro. Faut dire que là-bas, le problème n’est pas à prendre à la légère et l’actualité est là pour nous le rappeler lorsque de jeunes psychopathes blancs le plus souvent débarquent dans une école noire bien entendu pour déglinguer des gamins. Etonnamment l’inverse arrive très rarement. Cori veut elle aussi défendre sa communauté, locale, raciale, sexuelle (je veux dire défendre la cause des femmes, n’allez pas y voir une blague vaseuse). Mais elle doit affronter le fils du vieux politique du coin, Lacy Clay. La famille Clay est élue dans le district depuis les années 60, une véritable dynastie et rien n’est plus puissant en politique que l’inertie et la force de l’habitude. Les Clay sont ici depuis toujours, et pour toujours semble-t-il, tout le monde les connaît, au moins c’est rassurant. C’est vrai ça, qui c’est cette Cori Bush ? En plus, elle porte un patronyme qui n’est pas trop apprécié ici, même si elle n’a sûrement aucun lien de parenté avec les deux anciens présidents, George et W. S’ils avaient eu une cousine noire, je pense qu’on l’aurait su. Cori est jeune, dynamique et déterminée, mais est-ce que cela suffira pour gagner ?

Amy, enfin, du Nevada, cet état du sud proche du Texas et ses problématiques liées à la proximité de la frontière avec le Mexique (immigration, trafic de drogues, violences…), a réussi à sortir de la misère en reprenant ses études pour devenir ensuite directrice financière. Mais la misère laisse des traces dans votre ADN, vous croyez l’avoir larguée à force de travail et de détermination, mais elle vous rattrape toujours d’une manière ou d’une autre. Dans le cas d’Amy, c’est le système de santé américain qui le lui fait comprendre. Pour une raison qui n’est pas expliquée dans le documentaire, sa fille se présente un jour aux urgences avec une douleur à la poitrine mais sans assurance santé. Pourquoi n’a-t-elle pas d’assurance, mystère ! Si une directrice financière n’a pas les moyens de payer une assurance santé à ses enfants, qui les aura ? Mais qu’importe au fond. Ce qu’on sait, c’est qu’au pays de l’oncle Sam, si vous n’avez pas d’assurance, ou à défaut une carte bleue branchée sur un compte bien rempli, vous êtes prié d’aller vous faire soigner ailleurs, et comme ailleurs on vous dit la même chose, ailleurs signifie donc nulle part. La douleur s’est transformée en embolie pulmonaire et la jeune femme d’une vingtaine d’années à peine décèdera le lendemain. Voilà le combat d’Amy, la santé pour tous. Obama avait presque réussi avec l’Obamacare – qui a dit que tout en politique était une question d’ego ? – mais les Républicains ont vite fait remettre le programme en cause une fois Trump élu à la Maison Blanche. Forcément, on est de tout coeur avec Amy, surtout lorsqu’on la voit se recueillir sur la tombe de sa fille ou l’embrasser sur son lit d’hôpital, on a envie d’y croire car ce combat vaut la peine d’être mené, c’est une question de justice. On a envie d’y croire mais on n’y croît pas car les fins heureuses, c’est bon pour le cinéma, or il s’agit là d’un documentaire, non d’une fiction. Quand David affronte Goliath dans la vraie vie, c’est rarement David qui gagne.

Sur les quatre candidates en lice, seule une parvient à remporter l’investiture démocrate. Le père Ocasio avait vu juste, un jour sa fille foulerait les marches du congrès.


Sources / Notes

(1) Cap sur le congrès, documentaire de Rachel Lears, Netflix, 2019

Moi candidat / Nous président

J’avais déjà évoqué les difficultés de se présenter pour un simple citoyen au moyen de l’anaphore, la figure de style que François Hollande avait utilisée pour dérouler son programme face à Nicolas Sarkozy en 2012 (Moi candidat). J’en avais conclu que le niveau d’engagement, disons plutôt ici de sacrifice, est tel que très peu d’entre nous osent franchir le pas, ce qui pose forcément un problème de représentativité. Car parmi ce « Nous » qui franchit le pas, on retrouve surtout des fonctionnaires, des professions libérales et des cadres, et très très peu d’employés, ouvriers et professions intermédiaires salariées, professions qui au demeurant représentent plus de 60% de la population. C’est pourquoi avec Citizn, nous avons une proposition plus radicale, remplacer le Sénat par une assemblée citoyenne tirée au sort (Nous président, idée n°1). Le système du tirage au sort n’est certes pas parfait mais il permet au moins de parvenir rapidement à l’objectif.

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