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Ces financiers en blanc

1 décembre 2022

Cela faisait quelques temps que je voulais me les faire, mais je n’osais pas, car on ne critique pas des héros. Cette fois, c’est la fois de trop. Désolé, je risque de ne pas faire dans le consensuel mais tant pis, certaines choses méritent d’être dites.

Il y a 6 ans, Martin Winckler sortait un livre pamphlétaire en forme de pavé dans la mare accusant certains médecins d’être de véritables « brutes en blanc » (1). La 4ème de couverture présentait les choses ainsi : « On attend d’un médecin qu’il écoute, rassure, explique et s’efforce de « Guérir parfois. Soulager souvent. Consoler toujours ». On attend d’un médecin qu’il soigne. En France, la réalité est autre : de la violence verbale aux jugements de valeurs, de la discrimination au refus de prescription, des épisiotomies arbitraires à la chimiothérapie imposée, bon nombre de médecins brutalisent les patients, à commencer par les femmes. Ces brutes en blanc trahissent la déontologie et enfreignent les lois. Ce n’est pas un hasard : la caste hospitalière, profondément sexiste, ne se consacre pas aux soins, mais à ses luttes de pouvoir ; dans les facultés, la formation éthique et psychologique est absente, le savoir sous la coupe de mandarins aux valeurs archaïques et l’esprit scientifique parasité par les industriels. Comment s’étonner, alors, que tant de médecins se comportent en aristocrates hautains, et non en professionnels au service du public ? Le temps est venu de dire non à cette maltraitance d’un autre âge. La santé des citoyens vaut bien une révolte. Ou une révolution. »

On peut comprendre aussi que les médecins aient besoin de se blinder pour pouvoir tenir dans la durée et assurer un métier extrêmement épuisant nerveusement et si vous faites trop de sentiment, vous risquez de vous écrouler et cela ne servira aucun patient dans ce cas. Il leur faut donc garder une certaine distance. De là à être froid et complètement déshumanisé, il y a une nuance qu’il faut savoir mesurer.

Nous assistons aujourd’hui, avec la grève nationale des médecins généralistes, à l’acte 2 du naufrage de la santé en France. Ceux-ci ne demandent pas un euro de plus, ni deux, ni trois, quatre ou cinq mais carrément le doublement de leur consultation, qui passerait donc de 25 euros actuellement à 50 euros. Ils sont tombés sur la tête les médecins ou quoi ? Peut-être est-ce à cause de la Coupe du monde au Qatar, peut-être se prennent-ils pour des footballeurs, ou des émirs qataris va savoir. Sauf qu’ils ne savent pas taper dans un ballon et n’ont pas trouvé de pétrole dans le fond de leur cabinet. Les vieux médecins se battaient pour une revalorisation de quelques euros, ou une dizaine de francs à l’époque, et déjà là fallait se battre. Les jeunes médecins demandent le beurre, l’argent du beurre, le sourire de la crémière et des parts dans la boîte qui vend les fromages. Une toubib interviewée ce matin à la radio disait qu’elle ne fait pas grève pour augmenter sa rémunération mais pour pouvoir embaucher du personnel afin de l’aider dans les tâches ne relevant pas du professionnel de santé : aide au déshabillage, rhabillage, gestion de l’ordo etc. Pour que le médecin lui puisse prendre encore plus de patients et gagner encore plus. On parle de ces mêmes médecins qui refusaient le tiers payant il y a deux ans car ils ne voulaient pas s’embêter avec de l’administratif et qui se passent bien depuis des années de leurs secrétaires grâce à Doctolib, c’est bien d’eux dont on parle ?

Vous pensez que j’exagère ? Vraiment ? C’est que je travaille dans le secteur de la santé depuis une dizaine d’années et je suis aussi, comme tout le monde, un patient qui fréquente de temps en temps des cabinets médicaux. Et comme beaucoup, j’en ai vu des vertes et des pas mûres.

Voici quelques exemples. Mon ancien médecin, un vieux de la vieille, me reçoit après un accident de moto et une immobilisation de la jambe pendant quelques semaines. Vous allez me prescrire de la kiné ? je lui demande. Il me répond, tu n’as qu’à marcher, ça te fera de la kiné mon ptit gars, il parlait comme ça, mon ptit gars qu’il disait. Quelques années après, il part à la retraite et se fait remplacer par un jeune médecin. J’ai rendez-vous pour un check-up complet pour un contrat d’assurance décès assez juteux, enfin surtout pour mes proches si des fois me venait l’idée saugrenue de mourir. Le jeune doc me reçoit tout sourire et me déclare, j’adore ce type de consultation, je facture 150 euros alors que ça ne prend pas plus de temps qu’une consultation classique. Je n’y suis jamais retourné. Quelques temps après, je vois une Mercédès blanche flambant neuve garée en biais sur une place handicapé avec non pas une autorisation de personne à mobilité réduite mais un macaron de médecin, la voiture était devant une pharmacie. Je rentre et je retrouve mon jeune généraliste en train de s’achalander en produits divers auprès de son ami le pharmacien. Aucune urgence, aucune justification pour se garer sur une place handicapé et aucun besoin d’acheter une Merco quand on débute sa carrière de médecin au service des patients.

Il y a selon moi trois mauvaises raisons de vouloir faire médecin, trois raisons qui sont pourtant les plus répandues à mon avis. 1/ Par atavisme, pour faire comme papa, maman, papy, mamy, tonton ou tata, ou qui vous voulez tant qu’il fait partie de la famille et a suffisamment d’influence sur le petit surdoué. 2/ Parce qu’on a des facilités à l’école, qu’on a toujours été parmi les premiers de la classe et que justement c’est la classe de faire médecine. 3/ Pour faire des tunes, de la maille, du flouze, du blé, des pépettes… je pourrai continuer sur des lignes et des lignes tant il y a de synonymes au mot fric, un fric devenu point cardinal de notre société et qui sert à s’acheter une Mercédès par exemple, parce que médecine ça paie, c’est bien connu, surtout dans le privé et à l’étranger.

Et puis il y a les bonnes raisons de devenir médecin. On peut en citer trois également par souci d’équilibre. 1/ Parce qu’on aime les gens, qu’on veut les soigner quand ils sont malades, qu’ils soient tout jeunes, dans la force de l’âge ou dans la pente descendante jusqu’à la tombe où il faudra bien les accompagner également, jusqu’à la fin, médecin de famille, dit-on. 2/ Parce qu’on a le secret espoir de trouver un médicament miracle contre le cancer, Alzheimer, Charcot ou toute autre saloperie dont la nature a l’ingéniosité de nous inventer en permanence, à moins que ce soit l’homme lui-même au travers des ses activités polluantes et destructrices qui le fasse. Mais s’il y a des pyromanes qui brûlent tout, il y a aussi des pompiers qui sauvent des vies. 3/ Parce qu’on a grandi à la campagne, qu’on l’aime et qu’on aime aussi les gens qui y vivent, même s’ils votent parfois extrême droite, peut-être en partie à cause des déserts médicaux d’ailleurs. Bref vous aimez la campagne et la campagne a bien besoin de vous et de vos compétences de médecin. Voilà trois autres raisons de vouloir devenir médecin, plus rares et en raréfaction et je conseille aux étudiants en médecine de bien réfléchir ou de rebrousser chemin, il est encore temps. Albert Dupontel a par exemple abandonné juste avant l’internat se rendant finalement compte que la médecine n’était pas faite pour lui, ou lui pour elle, il a bien fait.

Les médecins généralistes réclament le doublement de leurs honoraires, sachant que d’après les enquêtes, ils gagnent entre 4000 euros en début de carrière et 8000 euros en fin de carrière, on parle ici de moyennes. On peut donc considérer qu’ils voudraient gagner entre 8000 pour un jeune toubib et 16 000 euros pour un vieux médecin, soit dix fois le Smic tout de même. Remarquez, pourquoi pas, allons-y, j’ai rencontré des dentistes récemment qui me disaient qu’un jeune dentiste gagnait entre 10 000 et 15 000 euros par mois en début de carrière et que les autres évitaient de travailler plus de trois jours pour ne pas payer trop d’impôts. Je comprends que le généraliste se sente lésé par rapport au dentiste. Et que dire alors du radiologue, qui gagne lui jusqu’à 50 000 euros par mois selon le lieu et l’ancienneté ou de l’ophtalmo, comme mon ancienne coach de basket qui nous entraînait pour financer ses études de médecine et qui déclare aujourd’hui le plus gros revenu de tout le département ! Je vous jure que c’est vrai. Non, elle n’a pas trouvé une solution miracle qui rend la vue aux aveugles, elle se contente d’opérer la cataracte des petits vieux à la chaîne. Vive la sécu !

De l’argent dans la santé, il y en a. Il y en a même énormément, mais il est très mal réparti entre public et privé. C’est même pire que ça, on peut penser que cette déliquescence de la santé publique a été parfaitement orchestrée par les cabinets de conseil américains qui parlent à l’oreille des ministres depuis des années en leur racontant que le privé est plus efficace que le public. Résultat, ils ont cassé l’hôpital public et favorisé l’essor des cliniques privés et des spécialistes en ville qui vous essorent. L’idéologie dominante c’est le libéralisme économique, système dans lequel le gain privé triomphe de l’intérêt général, ce n’est pas moi qui le dit, Warren Buffet le milliardaire américain le clame à qui veut l’entendre. Il y a une guerre des classes et c’est nous qui l’avons gagné, dit-il. Il a parfaitement raison, ce vieux monkey à qui on n’apprend pas à faire des grimaces, money is king, l’argent est roi et aujourd’hui même les médecins généralistes veulent être payés double. Jackpot les gars !

Je vous avais dit que je ne ferai pas dans le consensuel et je conçois que bon nombre de médecins me cracheront dessus s’ils lisent ces lignes. Mais comme ils sont très occupés avec leurs patients, il y a peu de chance que cela arrive. Avec le Covid, on a essayé de nous faire croire que tous les soignants étaient des héros. Il y en a, c’est vrai et beaucoup même, et je leur rend hommage. Aux urgences, en réa, en chir, à la ville, à la campagne, dans des associations caritatives. Mais il y a aussi un paquet de zéros, de brutes et de financiers en blouse blanche.


Références

(1) Ces brutes en blanc, Martin Winckler, ed. Flammarion, 2016

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