Paradinguerie

Je ne vais pas vous mentir, jouer celui qui s’intéresse au handisport depuis des lustres, pas du tout j’avoue, je n’avais jamais regardé de sport pour les handicapés avant ces JO. D’ailleurs, moi je dis JO, pas Jeux Paralympiques, car je milite pour l’inclusion, la vraie, celle qui consiste à ce que tout le monde soit dans le même bain. Donc pour moi, c’était un mois de JO avec une première partie et une deuxième partie, et une pause de deux semaines au milieu.

Je vais vous dire aussi, je me demande si sur le fond, je n’ai pas encore plus kiffé la deuxième partie que la première. Certes, il y a eu des moment incroyables dans la première partie, Léon Marchand, le triplé en BMX, le basket, etc. etc. mais franchement quand tu vois l’émotion d’Aurélie Aubert quand elle comprend qu’elle a gagné la médaille d’or alors qu’elle n’est que 13ème mondiale, une sorte de hold-up en fait, j’en aurais pleuré. Atteinte de paralysie cérébrale depuis sa naissance, jouer à la boccia, ce jeu cousin des boules marseillaises, relève de l’exploit. Alors devenir championne olympique, c’est plus que le mont Olympe, c’est l’Everest, c’est dingo, dingo de chez dingo. Je ne connaissais pas la boccia, je ne connaissais pas Aurélie Aubert mais j’étais là pour la finale et j’ai kiffé.

J’étais là aussi pour la finale de cécifoot, qui n’est pas un genre de football inventé par une certaine Cécile non, c’est du foot pour les aveugles. Du foot pour les aveugles les gars ! Vous imaginez Zidane avec un masque noir sur la tête ? Au début, j’étais sceptique, je trouvais que ça ressemblait aux auto tamponneuses. Puis, j’ai observé, j’ai vu les Brésiliens éclater les Français, les Brésiliens étaient tellement bons balle au pied qu’on aurait pu douter qu’ils étaient vraiment aveugles. C’est que là-bas, on joue au cécifoot depuis longtemps, depuis que le roi Pelé a décidé de mettre les moyens et d’en faire un sport national, au même titre que le foot pour les voyants. Enfin voyants, quand j’entends certains footballeurs parler, je me dis qu’ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez et moi je préfèrerais être sourd. Les Brésiliens nous ont battu mais ils ont buté, enfin non ils n’ont pas buté justement, sur les champions du monde en titre, les Argentins, ces enfoirés d’Argentins qui nous ont volé notre coupe du monde alors quand les bleus du cécifoot ont gagné aux tirs aux buts là où les bleus de Deschamps avaient échoué deux ans plus tôt, je me suis dit Dieu existe et il s’est incarné dans le pied droit de Fred Villeroux, le Messi du Céci ! Franchement, cette victoire, qu’est-ce qu’elle nous a fait du bien et elle a fermé le clapet à ces racistes d’Argentins. Et ils sont où, et ils sont où, et ils sont où les Argentins ? Tralalala tralala…

J’étais là quand les frères Didier, Ugo et Lucas, ont décroché la médaille d’or sur 400 m nage libre, l’argent sur 100 m dos et une médaille d’argent pour Lucas en tennis de table, même Félix Lebrun n’a pas pu faire mieux, un Français en finale de ping-pong, ça n’arrive presque jamais. Quel tournoi pour ce gamin de 17 ans, le même âge que Félix.

J’ai vu l’une des courses de Dos Santos, véritable Léon Marchand sans bras ni jambes mais avec la même ondulation du bassin qui lui permet de mettre ses adversaires dans le vent, enfin dans l’eau, enfin loin quoi vous m’aurez compris. Et puis, il met une telle ambiance autour des bassins, il a une telle joie de vivre malgré son handicap, qu’il est impossible de ne pas l’aimer, sa joie est si communicative qu’elle incite à se mettre des claques dans la figure quand le matin on se regarde dans le miroir et qu’on fait la gueule. C’est à moi que tu causes là ? C’est à moi que tu causes ? Oui, c’est à toi, là dans le miroir, car toi c’est moi et moi c’est toi. T’as vu ta tête de dix pieds de longs quand tu te lèves le matin, pendant que l’autre là-bas au Brésil n’a ni pieds ni mains et il sourit, et il est heureux ? Y a rien qui te choque ? Alors secoue-toi un peu mec et arrête de te plaindre ok. Et va prendre ta douche, non mais. C’est une des leçons de ces JO deuxième partie, ces athlètes sont des géants, n’en déplaise à ce joueur de basket à qui le commentaire de Teddy Riner n’a pas plus, oui il faut plus d’énergie pour être un champion quand la vie vous a secoué si fort qu’elle vous a cassé en mille morceaux, alors c’est une leçon de courage pour tous, handicapés ou valides.

J’étais là aussi pour la cérémonie de clôture pour fêter ces dix jours de paradingueries. La cérémonie de clôture de la première partie, je ne l’avais pas trouvée sensasse. Je n’avais pas trop aimé non plus la cérémonie d’ouverture de la deuxième partie. Par contre, la clôture finale avec tous les DJ et tous les athlètes autour, hystériques, tous, joyeux, heureux, conscients que jamais de leur vie, ils ne revivraient un évènement sportif comme celui-ci, des JO à la maison, car cela n’arrive qu’une fois tous les siècles, alors ils ont savouré, et nous aussi, et moi aussi, et vous ?

J’entendais ce matin sur Inter Jean Garrigues, l’historien bien connu spécialisé dans l’histoire contemporaine se demander ce qu’il restera de ces JO. Est-ce que cela fera le même effet que 98, la coupe du monde de football, Zidane sur l’Arc de Triomphe, black, blancs, beurs et quatre ans plus tard Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de la présidentielle ? A la poubelle le black, blanc, beurre, retour à la réalité. Aujourd’hui, la France est divisée, archipélisée comme dirait Fourquet, c’est chacun pour soi ou pour sa communauté d’intérêts, féministes, gays, musulmans, juifs, cathos, bobos, parisiens, politiques, chacun sa mille-fa, chacun sa mafia, chantait NTM. Alors que restera-t-il des JO de Paris 2024 ? Eh bien, de bons souvenirs, des dingueries, et croyez-moi, c’est déjà beaucoup.