# SeX

TDS

30 mars 2023

Après le point G, je poursuis ma mini-série orientée sexe avec les TDS, c’est à dire les travailleurs.euses du sexe. Il faut comprendre en préambule que cet acronyme est avant tout une revendication car la plupart des personnes qui exercent une activité sexuelle rémunérée, que l’on peut nommer de manière plus classique la prostitution même si la définition de TDS est plus large que cela, ne sont pas considérées comme ayant un vrai « travail » et n’ont donc accès ni au droit du travail ni à la protection sociale qui va avec. Par contre, il arrive fréquemment qu’on leur demande de payer des impôts sur les revenus gagnés grâce à leur non-travail ou qu’on leur impose des redressements fiscaux massifs. Va comprendre Charles !

Cette notion de « travail du sexe », ou sex work en anglais, a été utilisée pour la première fois par la militante américaine Carol Leigh dans le cadre d’un atelier intitulé « Femmes contre la violence dans la pornographie et les médias ». Car n’en déplaise à certain.es, les travailleurs.euses du sexe, et j’utilise ici l’écriture inclusive bien que je trouve cela très con car tous les genres sont concernés par le TDS, femmes, hommes, ou autres, avec ceci dit une surreprésentation des femmes, sont des travailleurs.euses comme les autres. Par ailleurs, s’agissant des femmes justement, quand on se veut féministe, on défend toutes les femmes, y compris les putes. Je le précise car les TDS sont souvent méprisées dans les milieux féministes, ou alors reléguées au rang de victimes du « système patriarcal et capitaliste », des pauvres filles donc dont on fait semblant d’avoir pitié. C’est oublier que certaines font ce travail volontairement, sans mac ni proxénète déguisé, et certaines y prennent même un certain plaisir. Et ce n’est pas moi qui le dis, ou qui l’écris en l’occurence, ce sont les TDS elles-mêmes dont Tan a retranscrit les témoignages in extenso dans un essai très instructif, authentique et à fleur de peau (1).

Pour appuyer mon propos, je voudrais partager avec vous les mots de Barbara : « Le monde entier peut bien s’acharner à nous faire honte, on peut bien entendre toutes les saloperies possibles sur les putes, je n’ai jamais eu de toute ma vie des collègues aussi brillantes, drôles, intelligentes, perspicaces. J’éprouve une telle admiration pour leur force, leur courage, leur aplomb, leur sens de l’humour et de la dérision.

Alors évidemment, cette admiration a des répercutions très positives sur ma façon de me voir et de me considérer. Si je fais partie de cette communauté, c’est sans doute que j’en ai aussi certaines qualités. Pour tout dire, je suis fière d’être comme elles, au moins un peu, au moins par instants. Je ne peux pas me mépriser d’être de la famille de celles que j’aime tant. Ce serait un non-sens. Je ne serai jamais la pute honteuse qu’on attend de moi » (2)

J’aime beaucoup ce témoignage, qui me rappelle un peu le début de l’hymne à l’amour de Piaf.

Le ciel bleu sur nous peut s'effondrer
Et la Terre peut bien s'écrouler
Peu m'importe si tu m'aimes
Je me fous du monde entier

Tant qu'l'amour innondera mes matins
Tant qu'mon corps frémira sous tes mains
Peu m'importe les problèmes
Mon amour, puisque tu m'aimes

On y retrouve ce petit côté, nous contre le monde entier.

Après, il ne faudrait pas vendre du rêve non plus. Si le témoignage de Barbara est plutôt positif, il y a aussi celui d’Anna, la tox qui tremble de tout son corps tant qu’elle n’a pas eu son Skénan (morphine), prends un covoit pour aller chercher sa dose dans une pharmacie d’un autre département – merde le lundi la pharmacie n’ouvre qu’à 10h, faudra attendre une heure de plus dans le froid. Heureusement c’est le pharmacien gentil et compréhensif qui est là aujourd’hui. Sa substance en poche, elle file dans les chiottes du café voisin mais foire sa première injection à cause des tremblements et de la nausée, elle vomit une fois, deux fois, en fout partout, elle a honte, ça pue la mort mais il faut réussir à tenir. Cette fois c’est la bonne, la seringue est entrée, a trouvé la veine, le calme après la tempête. La journée va pouvoir commencer, des passes l’attendent.

Y a aussi Xavier, le ptit pédé, ou plutôt bi, qui fait ça avec des bourgeois des beaux quartiers plein de fric, des gens de la haute plutôt bienveillants et propres sur eux jusqu’à ce jour où un client le sodomise brutalement et lui donne des coups parce que ça le fait jouir, pas Xavier hein, le client. Sauf que Xavier a pratiqué les arts martiaux dans son enfance et il lui en reste quelques réflexes d’auto-défense. Il se retourne, bouscule son agresseur, lui colle une droite, lui pète une dent et lui assène un bon coup de pied dans les couilles bien mérité. Depuis ce jour, Xavier a quitté la prostitution, s’est marié (avec une femme) a aujourd’hui deux enfants et ne sait s’il leur avouera un jour qu’il a été pute dans sa jeunesse.

Alors non, on ne vend pas du rêve quand on parle de la vie des TDS, et tout les TDS ne deviennent pas Virginie Despentes, on ne vend rien du tout même, c’est juste la vie en vrai, en dur, sans préjugés ni caricature.

Les TDS existent donc, ce n’est pas un fantasme, sur le trottoir en bas, dans l’appartement du dessous ou dans la camionnette rouge au bord de la route, ce sont des être humains et des citoyens comme les autres et à ce titre ils ont des revendications. Ils voudraient déjà être associé.es aux réflexions et aux débats qui ont pour but de promulguer des lois qui les concernent. Ils et elles sont d’ailleurs massivement contre l’abolition de la prostitution, on parle aussi de « néo abolition » dans les milieux concernés avec comme référence le système suédois. La néo abolition consiste à criminaliser les clients. On a aujourd’hui plus de 10 ans de recul sur ce dispositif légal et on constate que celui-ci n’a pas fait diminuer la prostitution mais que par contre les TDS se sont paupérisés, devant baisser non seulement leur culotte mais aussi les prix, accepter n’importe quels clients, même les plus louches ou les plus crasseux, ou se déplacer sur internet, faire la pub, avoir un site, pour maintenir le même niveau de revenu. Ils ne sont pas non plus très fans des maisons closes tel que c’est pratiqué aux Pays-Bas, en Espagne, en Allemagne ou en Suisse car ils ou elles tiennent à leur liberté, c’est même une des raisons souvent évoquées pour avoir choisi ce métier, ça et les tunes, puisqu’en deux jours, on peut se faire le salaire mensuel d’une caissière. Les TDS réclament plutôt la décriminalisation, que ce soit côté clients ou côté prestataire de service sexuel, comme en Australie ou en Nouvelle Zélande. Décriminalisation ne veut pas dire que les proxénètes, les trafiquants d’être humains ou les violeurs ne doivent pas être poursuivis et punis, mais ils ou elles arguent que le droit commun suffit amplement pour les condamner. Surtout les TDS demandent, encore une fois, à être considérées comme de véritables travailleurs.euses et donc, ils et elles relèvent du droit du travail et ont droit à une protection sociale, à des prestations de santé. Par ailleurs, ils et elles doivent pouvoir se présenter dans un commissariat pour porter plainte pour agression sans considérer qu’ils et elles l’ont bien mérité, quand on est pute on est là pour se faire enculer non ?

En écrivant cette dernière phrase un peu choc, je repense à l’enquête sur Dominique Strauss-Kahn que Netflix avait réalisée il y a quelques années (3). A la fin de celui-ci, on y voit une escort qui raconte sa rencontre avec Dodo la sodo au Carlton de Lille. Dodo veut la lui mettre mais elle ne veut pas, sauf que le client a toujours raison, surtout si celui-ci est le patron du FMI et futur Président de la République française. Pas besoin d’insister davantage pour que l’émotion submerge la jeune femme à l’évocation de cette scène, qui porte un nom, quatre petites lettres sans appel : VIOL. Pute ou pas, comme dirait la chanteuse Angèle, quand c’est non, c’est non, n’en déplaise à Pierre Niney.

Seulement, dans un vieux pays judéo chrétien comme le nôtre où nous sommes incapables de nous entendre sur l’âge légal de départ en retraite, où il existe des manifs pour tous, et d’autres pour personne, où il est toujours impossible de mettre fin à ses jours dignement et légalement quand on est au bout du bout du bout de sa vie, où on est inenvisageable d’organiser le marché du shit parce que c’est de la Drogue avec un grand D et surtout parce que tout un éco-système juteux s’est créé en banlieue et qu’on n’a rien d’autre à leur proposer à ces gamins de l’immigration comme on dit alors qu’ils sont nés en France, dans ce vieux pays donc, je vois peu d’espoir pour les putes. Déso, les filles, ou les gars, ou ce que vous voulez après tout, en tout cas, prenez soin de vous, parce que vous le valez bien, c’est pas de moi, c’est de l’Oréal.

Bisous


(1) TDS, témoignages de travailleuses et travailleurs du sexe, Tan, Au Diable Vauvert, 2023.

(2) Ibid, témoignage de Barbara, page 20.

(3) Chambre 2806, l’affaire DSK, mini-série documentaire réalisée par Jalil Lespert difusée sur Netflix à partir de décembre 2020.

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