Le marcheur
Revenu à la citoyenneté ordinaire, je n’avais pas renoncé à mon rôle d’observateur et de commentateur, et l’expérience au PS avait aiguisé ma capacité à repérer les futurs stars du parti. Je n’avais rien vu de particulier dans les gouvernements Ayrault 1 et 2 ni dans le premier gouvernement Valls. Aucun qui sorte vraiment du lot. Montebourg et Hamon gesticulaient mais qui le remarquait ? Par contre, quand j’ai vu débarquer un certain Emmanuel Macron à l’économie, à l’industrie et au Numérique à l’été 2014, alors âgé de seulement 37 ans, j’ai dit, voici le prochain Giscard les gars ! Les potes se sont moqués de moi, on a parié une bouteille de champagne. Ils m’ont dit, avec sa tête de communiant premier de la classe, il ne plaira jamais aux prolos (trop BCBG) ni aux ruraux (trop parisien) et peut-être même pas aux bobos (trop engoncé dans son costume cravate acheté quand il était encore banquier d’affaires chez Rothschild). Paraît même qu’il est avec une femme de vingt ans son aînée, tu vois le tableau à l’Elysée ? me disaient-ils !
Peut-être, mais regardez bien son parcours. Rien ne lui résiste à ce petit mec là. C’est un vrai personnage de roman. Macron, c’est Rastignac. Il arrive d’Amiens – Amiens les gars ! – et débarque au Lycée Henri-IV à Paris à seize ans parce qu’il est tombé amoureux de sa prof de théâtre avec qui il montre la pièce L’ Art de la comédie, d’Eduardo de Filippo (Edouard Philippe en français, ça ne s’invente pas ça). Voyant d’un mauvais œil cette relation qui, avouons-le, sort du cadre petit bourgeois habituel, ses parents l’éloignent de sa Picardie natale. Alors Emmanuel passe la seconde, puis directement la cinquième et décide de prendre son avenir en mains – accrochez-vous ça va décoiffer ! Il enchaîne tour à tour Hypokhâgne, Khâgne, échoue à l’ENS mais intègre Sciences Po Paris, puis l’ENA, tout en suivant un DEA de philosophie à l’Université de Paris Nanterre. Diplômé, il intègre la prestigieuse inspection des Finances tant convoitée par les énarques, puis rejoint la Banque Rothschild en charge de fusions et acquisitions qui lui rapporteront entre 2009 et 2013 plus de 2 millions d’euros selon ses déclarations de revenus à la Haute autorité pour la transparence de la vie politique. Le gars n’a pas encore 30 ans, il a fait des études pour être fonctionnaire et le voilà déjà millionnaire, ça finit pareil mais normalement c’est l’opposé.
L’histoire ne s’arrête pas là. L’argent ne l’intéresse pas plus que ça, rappelons qu’il a un DEA de philosophie. Emmanuel est jeune et ambitieux. Il voit plus loin, plus haut, plus vite que tout le monde. Tel un supersonic de la politique, un opni (un objet politique non identifié), il enchaîne et devient secrétaire adjoint de l’Elysée, rapporteur de la commission Attali pour la libération de la croissance française, puis ministre de l’économie et à peine un an plus tard, Président de la République. Rien que de l’écrire, j’en ai le souffle coupé. Je l’avais dit à mes potes, ce type, rien ne l’arrête, c’est le prochain Giscard, il sera président. Giscard est devenu président à 38 ans, Macron 39. Mais le conte de fées s’arrête là.
Macron marchait sur l’eau, arrivé dans le grand bain, il coule à pic. La première année de son mandat prend une couleur jaune vif avec des gilets de signalisation qui bloquent la France pendant plusieurs mois. Il enchaîne une seconde année avec la réforme des retraites et se met à dos les avocats cependant que les sénateurs annoncent, par la voix du premier d’entre eux, Gérard Larcher, qu’on ne touchera pas à la leur de retraite, bien méritée, à 80 ans, après une dure vie de beurre – pardon de labeur.
Entre les deux, il y avait eu le grand débat national, la plus grande escroquerie démocratique de l’histoire de ce pays, des millions de contributions, sur papier ou numériques, parties en fumée dans l’incendie de Notre-Dame. Les oiseaux de mauvais augure nous ont dit, c’est un signe. C’est le début de l’Apocalypse. Personne n’y a cru et pourtant ils ont eu raison ces cons. Car 2020 est une année cauchemardesque. Un confinement, deux confinements… la situation sanitaire n’est pas stabilisée, une part significative de l’économie prend l’eau, le déficit et la dette sont maintenant stratosphériques et la démocratie n’est plus qu’un mythe. A-t-elle déjà été une réalité ? Etat d’urgence, assemblée inaudible, médias centrés pendant des semaines sur l’élection américaine (faut bien se changer les idées), un pays dirigé par une commission de sécurité occulte au sommet de laquelle règne un jeune Napoléon que son cheval a laissé tomber dans la Bérézina. Et nous avec.
Alors j’ai décidé de créer cette plateforme dédiée aux idées citoyennes et d’écrire ce petit journal pour sortir du confinement et avoir droit au chapitre. L’idée est de faire émerger des idées que nous ne pouvons pas exprimer dans les partis traditionnels, devenus aujourd’hui complètement obsolètes, ou via les élections, simples chambres d’enregistrement du pouvoir en place.
Une nouvelle forme politique est à inventer. Inventons-la !
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