A quand le retour des gilets jaunes ?
Devant la montée des prix de l’énergie (carburant, gaz, électricité) et le spectre d’une nouvelle vague de gilets jaunes en cette période pré-électorale, le gouvernement a décidé de taper fort en offrant un chèque de 80 euros à 38 millions de Français. Non non, vous ne rêvez pas ! Quatre-vingt euros ! Juste quatre billets de vingt balles. Le gouvernement pense sincèrement acheter les Français avec si peu ?
Il est vrai que, contrairement à ce que Dominique Seux, le journaliste économique de France Inter, pense, beaucoup de Français sont à 80 euros près, mais sur une base mensuelle, pas annuelle, et encore moins une fois pour toute. Un seul chèque de 80 euros ne changera absolument rien aux problèmes qui s’annoncent devant nous en matière de prix et de pouvoir d’achat. Car l’un des effets de la crise du Covid est l’explosion du coût de certaines matières premières. Le bois, l’aluminium ont plus que doublé en quelques mois. Le gaz, les semi-conducteurs, le transport par conteneurs, ça explose tous azimuts au point de ne pas en croire ses yeux parfois. Certes, dans une économie de marché mondialisée, on connaît parfois de fortes variations des cours, mais pas tous les cours en même temps, ce qui est en train d’arriver en ce moment même. Sans parler de tous ceux qui essaient de rattraper le temps perdu : restaurants, grande distribution, commerçants divers et variés… qui ont appliqué une nette augmentation sur leurs tarifs en pensant que les clients absorberont toutes ces augmentations sans tousser. Cela ne sera pas le cas, les gens vont commencer à tousser en faisant leurs comptes et ce ne sera pas dû au Covid.
Pourtant, l’INSEE, l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, nous dit que le pouvoir d’achat des Français se porte bien et qu’il n’y a pas d’inflation depuis le passage à l’Euro, ou presque pas. Rappelons tout de même que l’INSEE dépend du Ministère de l’Economie, qui dépend lui même de Matignon et de l’Elysée. Je ne dis pas ça pour sous-entendre que leurs chiffres sont truqués, je précise juste la chaîne de commandement. Cependant, si on regarde dans le détail comment l’INSEE calcule l’inflation, on se rend vite compte qu’il y a comme qui dirait un trou dans la raquette. Déjà, le logement ne représente pratiquement rien dans le panier de biens et services étudié. Plus précisément, il compte pour 6% du panier global dans le cas où on est locataire et pour 0% lorsque l’on est propriétaire car le logement est alors considéré comme un investissement et non comme un bien de consommation. Or on sait que les dépenses de logement représentent environ 25% des dépenses des ménages, locataires ou propriétaires, soit le premier poste de dépense pour être précis. Et ce poste, qu’on appelle aussi l’immobilier, a explosé depuis le début des années 2000, tendance qui a encore accéléré avec le Covid, en particulier en province, où les Parisiens ont décidé d’investir, apportant avec eux leurs prix au mètre carré exorbitants. Ne pas prendre suffisamment en compte l’importance de l’immobilier dans les dépenses des ménages, c’est biaiser le calcul de l’inflation et donc du pouvoir d’achat.
Autre poste de dépense, l’auto. Il y a dans le mode de calcul de l’INSEE ce qu’on appelle « l’effet qualité » qui consiste à faire varier la valorisation d’un bien ou d’un service si l’on considère que sa qualité a évolué. Exemple avec le Picasso, pas le peintre hein, le monospace de Citroën. Je prends cet exemple car c’est ma voiture depuis qu’elle existe ou presque, ce qui me permet de voir son évolution dans le temps, que ce soit du point de vue qualité comme celui du prix. Il y a dix ou quinze ans, j’ai payé mon premier Picasso 15 000 euros. Il était certes rudimentaire en termes d’équipements mais il était spacieux, confortable et constituait ainsi une alternative abordable à l’Espace de Renault. Cinq ans plus tard, j’achète un Picasso 2 et je le paie 25 000 euros, soit tout de même une augmentation de 67%. Alors oui, il a un look plus agressif, des jantes alliage, des bidules un peu partout sur le tableau de bord, des sièges et un volant en cuir mais il coûte 67% de plus, les gars, moi mon salaire n’a pas augmenté de 67% en cinq ans. Puis de nouveau cinq ans après, je passe au Picasso 3, qu’on n’appelle d’ailleurs plus Picasso mais Spacetourer, Citroën se met à l’heure de la mondialisation, pour lequel je signe un chèque de pratiquement 40 000 euros, soit de nouveau une augmentation de 60% par rapport au Picasso 2 et de 167% par rapport au Picasso 1. Mais l’INSEE vous explique que compte tenu de l’effet qualité, il est vrai que le Picasso 3, pardon le Spacetourer, n’a plus rien à voir avec le Picasso 1, ni la ligne, ni les équipements ou le moteur qui sont bien plus performants, le prix est considéré comme stable. C’est par ce genre d’aberration que l’Institut peut affirmer que le pouvoir d’achat est stable et l’inflation faible. Parallèlement, on s’aperçoit que les Français se jettent sur les Dacia, qui étaient à l’origine prévues pour être vendues sur les marchés d’Europe de l’Est. Mais dans ces conditions tarifaires, il est évident que de moins en moins de gens peuvent se permettre de s’acheter un Picasso, la voiture hein, j’insiste, pas un tableau 😉
Dernier poste que je prendrais en exemple : l’alimentation. Idem, on nous raconte qu’il n’y a pas d’inflation, ou peu, en ce qui concerne la nourriture. C’est sûr, si vous allez faire vos courses chez Lidl, Aldi ou n’importe quel autre discounter alimentaire, il est probable que votre ticket de caisse n’ait pas explosé. Mais si vous avez le malheur d’aller chez le boucher du coin, chez Biocoop ou l’épicerie en bas de la rue parce que vous vous dites que le tout industriel n’est pas la solution pour bien manger, dans ce cas préparez-vous à douiller. Le passage à l’Euro n’a pas aidé de ce point de vue. En divisant la valeur faciale des produits par pratiquement 7, il a ouvert la voie vers une augmentation généralisée des prix. Le petit café du matin qui coûtait avant 2 ou 3 FF coûte à présent 1€20, voire 1€50, ce qui n’a l’air de rien comme ça mais c’est l’équivalent de 10FF. Le petit café a donc été multiplié par au moins deux en vingt ans et tout est comme ça avec les petits prix. Encore récemment, j’achète un boîte de granulés pour le lapin de ma fille et je constate que celui-ci est passé de 6€90 à 8€20 après la sortie du confinement. Là encore, 1€30 d’augmentation, cela n’a l’air de rien mais c’est une augmentation de 19%. Si toute l’économie se met à faire la même chose, ce qu’elle fait, mon pouvoir d’achat va être amputé de 20%.
Quand l’INSEE nous dit, études à l’appui, qu’il n’y a pas d’inflation, et que c’est en particulier grâce à l’Euro que nous le devons, il nous enfume, purement et simplement. Il nous enfume parce qu’il ne prend pas suffisamment en compte le logement, nous embrouille sur des histoires de qualité et semble oublier qu’on n’est pas obligés de bouffer de la merde pour devoir se nourrir et nourrir nos enfants. Ainsi, contrairement à ce que prétend l’INSEE, il y a bel et bien une inflation galopante depuis vingt ans et l’Euro y est pour quelque chose. Et face à cette flambée des prix, force est de constater que les salaires n’ont pratiquement pas augmenté et que le salaire médian en France, celui qui sépare la population en deux, la moitié gagnant plus, l’autre moitié gagnant moins, n’est que de 1700€ net mensuel. Or on ne peut pas vivre confortablement avec 1700 € par mois. Avec 1700 €, on se contente de travailler, quand on a la chance d’avoir un travail, et de payer ses charges, en constante augmentation.
L’erreur d’Emmanuel Macron dans la première année de son mandat a été considérer que le prix de l’essence n’était pas un sujet. L’erreur dans sa dernière année, serait de considérer qu’un chèque de 80 euros va empêcher les Français de se révolter alors que les prix flambent à tous les niveaux. Qu’ils soient jaunes, orange ou rouge, il est plus que probable que l’on retrouve prochainement des gilets autour des ronds points.
Références
Emmanuel Todd, Les luttes des classes en France au XXIème Siècle, Points, 2021.
Philippe Herlin, Pouvoir d’achat, Le grand mensong, Eyrolles, 2018.
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