Anna P

Une autre Anna, russe elle aussi, Anna P, P pour Politkovskaïa. Anna Politkovskaïa était une journaliste bien connue dans le monde pour s’être opposée frontalement au Kremlin sous l’ère Poutine. Poutine n’était pas le seul dans le viseur de la journaliste, tous les criminels de guerre, ou de paix, pouvaient faire l’objet d’une enquête approfondie et publiée dans le journal Novaïa Gazeta, tel ce trio d’officiers sibériens dénoncés pour avoir torturé et tué un Tchétchène de trente ans. L’un d’entre eux a pris onze ans de prison et les deux autres ont juré qu’ils se vengeraient. Dont acte. Anna a été assassinée le 7 octobre 2006, le jour de l’anniversaire de Valdimir Poutine, l’Histoire a parfois le sens de l’humour. Elle venait juste de publier Douloureuse Russie, Journal d’une femme en colère (1).

Sont-ils vraiment coupables ou l’ordre est-il venu d’ailleurs, d’en haut, « Navierkh » en russe, comme le confie un chauffeur de taxi moscovite, interrogé par Emmanuel Carrère, lors de l’un de ces nombreux voyages en Russie ? Qui sait ?

Alors que Poutine et la Russie occupent le devant de la scène médiatique dans le monde entier avec cette guerre en Ukraine, j’ai souhaité relire quelques chroniques de l’écrivain français à succès, auteur entre autres de Un roman russe, de Limonov ou dans un autre registre, mais avec un autre psychopathe comme personnage principal, L’adversaire.

Dans un article paru en décembre 2006 dans Marie Claire (2), Emmanuel Carrère évoque sa rencontre avec Galina Mursalieva, qui partageait le bureau d’Anna Politovskaïa à Novaïa Gazeta depuis 1999. Selon elle, ce qui distinguait Anna des autres journalistes, même d’opposition, c’était justement cette prise de « responsabilités », on pourrait dire « prise de risques », ce serait sans doute plus juste, face au pouvoir et à l’injustice dont elle était la témoin privilégiée, nombre de parents de victimes venant la voir pour lui confier leur désespoir de voir justice un jour leur être rendue. Politovskaïa était bien plus qu’une journaliste, elle était « une sorte d’ONG à elle toute seule ». Sa manière de concevoir le métier était plus proche du combat que de l’information ou de la littérature. Née à New-York, fille de diplomate, elle était sans doute destinée à sortir des sentiers battus. Durant toute sa carrière professionnelle, Anna Politovskaïa n’a cessé de mettre en lumière les dangers du système Poutine cependant que les dirigeants européens serraient chaleureusement la paluche du dirigeant russe lors des sommets internationaux. Qui peut aujourd’hui être surpris de la tournure des évènements avec un tel individu au pouvoir ? Personne !

Mais l’article de Carrère n’était pas consacré uniquement à Anna P. Il évoque également Marina L, L pour Litvinovitch. Etudiante en philo à Moscou au milieu des années 90, Marina trouve un job à la Fondation russe pour une politique efficace, dirigée par Gled Pavloski, sorte de Séguéla à la sauce Russe. Brillante, elle est vite repérée par le pouvoir qui lui confie la gestion du site internet de la Présidence et les relations avec les médias. Marina est une star montante du Kremlin mais le drame du Koursk, celui du théâtre de Moscou ou celui de l’école de Beslan, lui font réaliser qu’elle officie pour un sorte de monstre à sang froid, incapable de se rendre à Mourmansk auprès des familles de marins pour partager leur douleur. « Il ne sait pas exprimer sa compassion », confit-elle à Emmanuel Carrère. « Il ne sait pas ou il n’en éprouve pas ? » lui rétorque l’écrivain-journaliste. « En fait, je crois qu’il n’en éprouve pas ! « .

Tout est dit, je crois. Ne pas attendre la moindre compassion, émotion, pitié, de la part de Vladimir Poutine. Ni hier, ni aujoud’hui, ni demain.

L’article s’intitulait Marina Litvinovitch est-elle l’espoir de la Russie ? Seize ans après sa parution, je pense qu’on a une idée de la réponse.

Sources / Notes

(1) Anna Politovskaïa, Douloureuse Russie, Journal d’une femme en colère, Buchet-Castel, 2006

(2) Emmanuel Carrère, Il est avantageux d’avoir où aller, POL 2016