# Monsieur X

BHL

21 septembre 2021

BHL, à ne pas confondre avec le BHV, le Bazar de l’Hôtel de Ville, quoique. Pour moi, c’est surtout un vrai OCNI, un objet chevelu non identifié, un peu comme la plupart des philosophes, me direz-vous. Il y a aussi une expression que l’on utilise souvent à propos de Bernard Kouchner, qui va bien à cet autre Bernard, on dit de lui qu’il est un tiers mondiste, deux tiers mondain.

Voilà que notre BHL national, car il faut bien admettre que c’est un monument de la culture française depuis plus de cinquante ans, s’est mis dans l’idée de faire le tour du monde des endroits sordides : du Nigeria à l’Ukraine en passant par la Somalie, la Libye, le Kurdistan ou l’Afghanistan. Faut dire que ce n’est pas la première fois qu’il entreprend ce genre de voyage, il s’en est même fait une spécialité : défendre les peuples opprimés, peuples, qui au demeurant ne lui ont rien demandé et qui, s’il connaissait vraiment l’animal, lui sauraient gré de rester chez lui bien au chaud dans son hôtel particulier parisien de la rue des Saints-Pères, plutôt que de venir les emmerder avec ses grandes idées à la con sorties tout droit des manuels de philo de terminale.

Avec Le monde en face, une autre idée du monde, cette série de reportages commandée par Paris-Match, puis diffusée sur Canal+ et maintenant sur France 5, on a du BHL dans toute sa splendeur. Et que je te débarque dans des tranchées au Kurdistan avec mes chaussures vernies, mon sempiternel costume noir, ma chemise blanche de philosophe, uniforme obligatoire, et ma redingote, et que je roule dans la boue jusqu’aux genoux, un casque militaire vissé sur les oreilles, non mais de quoi t’as l’air, vieux. Tu imagines la tête des Kurdes quand il te voient débarquer : hey Moktar, c’est quoi cet épouvantail à moineaux, on va se faire canarder avec ces conneries ! Et puis c’est quoi cette voix off, il ne dit pas son texte, il le gémit. On dirait qu’il va trépasser le Bernard. Il est vrai que les sujets dont il est question ne prêtent pas à rire.

Et pourtant je rigole. Je rigole car ce type me fait rire, par son décalage historique, on le croirait tout droit sorti d’un roman du XIXème siècle, sa grandiloquence tout terrain et son épouse, enfin son ex-épouse, Arielle Dombasle, qu’il a souvent mise en scène, elle aussi on ne peut plus romanesque et grandiloquente. Ils se sont bien trouvés ces deux-là.

Néanmoins, quand on creuse un peu la biographie du specimen, cela force tout de même le respect. Tout gosse de riche élevé dans le 9-2 qu’il est, très tôt dans sa vie, il a pris des risques pour défendre ses idées, et même celles des autres, si perchées soient-elles. Roland Barthes apportait par exemple son soutien à BHL dans un texte publié dans Les nouvelles littéraires, en se demandant : « « Est-ce qu’il n’y aurait pas une sorte d’accord entre l’idéologie optimiste du « progrès » historique et la conception instrumentaliste du langage ? Et à l’inverse, est-ce qu’il n’y aurait pas le même rapport entre toute mise en distance critique de l’Histoire et la subversion du langage intellectuel par l’écriture ? Après tout, l’ars scribendi, succédant à l’art oratoire, a été historiquement lié à un déplacement de la parole politique (de la politique comme pure parole). Votre projet ne fait que relancer ce déplacement, occulté depuis qu’on a cessé d’écrire la politique, c’est-à-dire depuis Rousseau » (1) Voilà un bel exemple s’il en est de discussions entre philosophes germanopratins, si quelqu’un a compris quelque chose, qu’il me fasse signe.

Mais pour le jeune BHL passé par le Lycée Pasteur de Neuilly, Louis Le Grand et Normale sup, à une époque où la plupart des gens s’arrêtaient au certificat d’étude (il est né en 1942), tout ça c’est du BA.BA. Arrivé 8ème à l’agrégation de philosophie en 1971, il se fait remarquer très tôt par toute l’intelligentsia intellectuelle et politique. Mitterrand en parle même dans l’Abeille et l’architecte (2), essai paru en 1978, en ces termes : « J’ai connu Bernard-Henri Lévy alors qu’il venait d’entrer à Normale supérieure. Je me flatte d’avoir pressenti en ce jeune homme grave le grand écrivain qu’il sera. Un danger le guette : la mode. Mais la souffrance, amie des forts, le sauvera. Tout l’y prépare. Je ne m’inquiète pas de ce goût de plaire qui l’habite et l’entraîne aujourd’hui hors de son territoire. Quand il s’apercevra qu’il possède en lui-même ce qu’il cherche il reviendra à sa rencontre. Le voudrait-il qu’il n’échapperait pas au feu qui le brûle. Il a déjà dans le regard, ce dandy, de la cendre. Peut-être me trompé-je, peut-être cédera-t-il aux séductions du siècle au-delà du temps qu’il faut leur accorder. J’en serais triste. J’accepte qu’il dépense encore beaucoup d’orgueil avant de l’appeler vanité. J’ai apporté de France avec moi La Barbarie à visage humain que j’annote pour mes chroniques. C’est, à l’image de son auteur, un livre superbe et naïf. Superbe par le verbe, le rythme intérieur, l’amère certitude qu’il n’est qu’incertitude. Naïf par l’objet de sa quête, qui le fuit dès qu’il en approche. […] Bernard-Henri Lévy, caressé, adulé, propulsé, trituré par les médias, adieu sourire de connivence, geste ailé d’une main amie, adieu langage à demi-mot ? Non, au revoir. « 

Mitterrand visait juste, comme toujours. Car le problème avec BHL est là. On ne sait pas très bien au juste s’il fait tout ce qu’il fait, encore aujourd’hui à 75 ans, pour les gens dont il raconte l’histoire et les souffrances, ou pour lui et son ego.

L’histoire le jugera.


Références

(1) Wikipedia : « Contre les totalitarismes, commémorer Babi Yar par Bernard-Henri Lévy » [archive], sur liberation.fr, 10 mars 2016

(2) François Mitterrand, L’abeille et l’architecte, Flammarion, 1978

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