# PolitiX

Borgen

12 novembre 2022

Je viens enfin de terminer la série Borgen (1), près de douze ans après la sortie de la première saison. On y suit le parcours de Birgitt Nyborg, femme politique de premier plan au Danemark, un parcours parsemé d’embûches et d’aléas comme il se doit qui nous en apprend beaucoup sur le monde politique.

A commencer par le fait d’être une femme en politique, quelles sont les difficultés spécifiques, les avantages, s’il y en a, la façon de faire de la politique au féminin est-elle différente de celle des hommes ou non ? La question se pose comme elle s’est posée pour Obama en 2008 aux Etats-Unis. La plupart des noirs américains ont voté pour lui pensant sincèrement qu’il ferait plus pour eux que tous les blancs qui l’avaient précédé. Résultat, a-t-il mené une politique plus en faveur des noirs, a-t-il réduit la pauvreté dans cette communauté, a-t-il réussi à réduire les bavures policières et son coronaire la délinquance ? Tout le monde connaît la réponse et la réponse est clairement non. Obama n’a même pas eu le temps d’aller au bout de son plan santé ambitieux (Obama Care), un plan vite balayé par son successeur. Obama aura surtout permis l’arrivée au pouvoir d’un débile aux cheveux blonds peroxydés. En regardant Borgen, on fait le même constant s’agissant du pouvoir au féminin. Birgitt Nyborg est une femme certes, mais sa politique est-elle davantage en faveur des femmes ou s’agit-il plus ou moins du même mode opératoire que celui des hommes ? Car la politique, c’est la politique, il y a des codes, un mode de fonctionnement, des jeux démocratiques entre partis qui ne varient pas d’une élection à l’autre, que le leader soit un homme ou une femme, qu’il soit blanc, noir, métisse ou de n’importe quelle couleur de peau, n’importe quelle culture ou origine géographique. La politique, tout du moins dans nos vieilles démocraties représentatives, obéit à des règles beaucoup plus puissantes que ceux et celles qui pensent avoir le pouvoir et tout maîtrise. Le cavalier a certes les rènes en main mais en réalité c’est le cheval qui décide.

On y observe également les conséquences de l’engagement politique sur la vie privée, et de ce point de vue, les hommes et les femmes ne sont clairement pas égaux. Dans la saison 1, Birgitt démarre sont mandat de première ministre tout sourire, avec un mari prof de fac, une ado et un jeune garçon de 8 ou 10 ans. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes pour cette petite famille danoise de Copenhague. Puis Birgitt rentre de plus en plus tard le soir, quand elle rentre, son mari est bloqué dans sa carrière à cause des trop nombreux cas de conflits d’intérêt possibles avec le poste de sa femme, on en a un autre exemple aujourd’hui avec Agnès Pannier Runacher, ministre de la transition écologique dont le père travaillait dans l’industrie pétrolière – heureusement qu’il est la retraite, mais pas son argent apparemment – son fils a des problèmes de pipi au lit et son aînée finit en hôpital psy, ne supportant plus la pression médiatique qui entoure sa mère. Résultat, avant même le début de la saison 2, Birgitt doit divorcer et relever seule les nombreux challenges qui l’attendent. Alors un soir, le désespoir et l’alcool aidant, elle se tape son chauffeur, et son spin doctor (conseiller en com), doit s’activer pour que l’affaire ne sorte pas dans la presse. Quand on veut faire de la politique, il faut être prêt à saccager sa vie perso et celle de sa famille, c’est un sacrifice que l’on doit être capable de faire si on veut y faire de vieux os. Il semble que à ce titre que ce soit plus difficile pour les femmes que pour les hommes.

Les relations avec les médias sont aussi au coeur de la série, relations au sens large, c’est à dire de la simple relation professionnelle classique à la relation sexuelle assumée ou non, enfin en général ce n’est pas conseillé d’afficher son tableau de chasse, demandez à DSK. Toujours est-il que politiques et médias couchent dans le même lit, avec ou sans rapport, car les uns ont besoin des autres et réciproquement, tout ce petit monde se tenant donc par la queue. Les médias ont besoin de scoops, d’indiscrétions, de « off » comme on dit, d’invités pour les plateaux, de dérapages, de grandes gueules, de bons clients, d’audience, il faut donc avoir le numéro de tous les politiques en vue du moment dans son mobile. Les politiques ont besoin d’être vus, filmés, écoutés, entendus, relayés, twittés, re-twittés, invités, plébiscités, commentés, il faut donc le numéro de tous les journalistes influents de la place dans son mobile. Interdit de perdre son iphone et son carnet d’adresse, sinon vous êtes chassés de la cour. Dans Borgen, les politiques passent plus de temps sur les plateaux TV qu’à s’occuper des sujets de fond, s’agit-il d’une caricature ?

Cinq ans avant la création d’En marche par Emmanuel Macron et ses amis de Mc Kinsey, Birgitt crée elle aussi un tout nouveau parti centriste baptisé Les nouveaux démocrates. Très instructif là encore, car on voit les difficultés, financières notamment, qu’il faut affronter quand on créé un mouvement politique de zéro. Lorsque le responsable de la politique économique trouve des partenariats avec des entreprises importantes et que Birgitt s’aperçoit de l’influence que cela a sur le programme, elle fait machine arrière toute. Mais elle doit donc rembourser l’entreprise et galérer pour financer la campagne. Le financement de la vie politique en démocratie est un vrai sujet, central même, on voit bien par exemple que les millions qu’Emmanuel Macron a reçus de la part de différentes entreprises et riches particuliers de premier plan pour financer sa campagne de 2017 n’ont pas été sans contrepartie, la suppression de l’ISF en est une évidente. Donnant donnant, tel est le principe, les lois peuvent parfaitement s’acheter en démocratie car comme partout ailleurs, l’argent est le nerf de la guerre et sans contrepartie, rares sont les donateurs.

Ironie de l’histoire, ou inspiration volontaire, voire même plagiat de la fiction par la réalité, quand Aurélien Taché et Emilie Cariou créent en 2020 un parti dissident à La République en Marche, ils décident de l’appeler : Les Nouveaux Démocrates (LND) ! Tiens, tiens ça me rappelle quelque-chose dites-moi ! Résultat, LND se rapprochera d’EELV faute de financements autonomes suffisants pour finir par disparaître complètement.

L’argent fait beaucoup certes, mais pas tout. Il faut pour être élu, savoir nouer les bonnes alliances et pour cela savoir mettre ses idées, voire ses idéaux, de côté. Birgitt et les Nouveaux Démocrates – dois-je dorénavant ajouter Danois, NDD, bah non puisque les NDF, Nouveaux Démocrates Français, et non Note de frais, ont disparu de la carte politique, oups ! – sont des centristes et pensent à ce titre pouvoir s’entendre avec tout le monde. Les socialistes et l’extrême droite lui proposent une alliance en skred (secret en langage jeune), drôle de mariage à trois tout de même, gauche + extrême droite + nouveaux démocrates (des démocrates prêts à s’allier à l’extrême droite, c’est cocasse) et lui proposent même pour la convaincre le poste de Premier ministre, bis repetita, puisqu’elle avait démarré la série, dois-je le rappeler, en tant que Première ministre. Plusieurs accords sont alors étudiés avec ses camarades ND de la première heure, finalement ce sera un accord avec la droite traditionnelle en contrepartie d’engagements sur la fiscalité et l’écologie. Finalement, Birgitt ne redeviendra pas PM mais ministre des affaires étrangères, un poste moins exposé puisque souvent en voyage, et donc plus soutenable pour elle et sa famille.

Après quatre saisons et quarante épisodes sur ce tempo, on a une certaine affection pour la femme mais on est plus tout à fait sûr d’aimer la politique, si tant est qu’on ne l’ait jamais aimée.


Sources / Références

(1) Borgen, série danoise en 4 saisons diffusée à partir de 2010.

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