# SociétiX

Cannabisness

2 août 2021

Alors que des centaines de magasins de CBD poussent à tous les coins de rue comme des herbes sauvages, l’Express vient de publier un reportage sur le poids économique du cannabis en France (1).

Mais avant de rentrer dans les chiffres, je m’aperçois qu’un peu de botanique ne nuira pas à la santé de mon lecteur. Le cannabidiol (CBD) est un des constituants (on dit aussi cannabinoïde) du cannabis, autrement appelé cannabis sativa ou encore chanvre cultivé, car le cannabis c’est du chanvre en fait. Le CBD est utilisé médicalement pour traiter les convulsions, les inflammations, l’anxiété mais également pour freiner la prolifération des cellules cancéreuses. Le CBD n’est pas soumis à la loi concernant les stupéfiants si celui-ci contient moins de 0,2% de THC (TétraHydroCannabinol), c’est pourquoi depuis 2018 une foule d’entrepreneurs opportunistes tentent de surfer la vague verte, à l’instar du téléphone mobile ou de la cigarette électronique quelques années plus tôt.

Si l’Etat a laissé cette filière prendre de l’ampleur, c’est que le CBD est jugé inoffensif, tout du moins en comparaison de son cousin de le THC. C’est lui qui possède des propriétés psychotropes puissantes qui font du cannabis, qu’il soit vendu sous forme de résine (shit ou haschich) ou de feuilles séchées et broyées (beuh), une plante considérée comme une drogue dont la culture, la vente et la consommation sont condamnées par la loi française.

J’en profite pour faire une petite parenthèse sur les autres drogues connues car dès que l’on parle de « drogue » avec Pierre, Paul et Jacques, tout le monde quoi, on a l’impression qu’elles ne forment qu’un seul et même ensemble, la « Drogue », avec un grand D, consommée par des drogués, avec un petit d. Or toutes les « drogues » ne se valent pas, botaniquement parlant, chimiquement, économiquement, sociologiquement, géographiquement, historiquement. Il y a donc, entre autres, le fameux cannabis, dont il est question dans ce billet, la cocaïne, une poudre issue de la plante de coca, cultivée principalement en Amérique du sud et centrale, monopole non-négociable des cartels, et l’héroïne, issue du latex de pavot, tout comme l’opium, au coeur de nombreux conflits en Asie au cours des siècles précédents et source d’inspiration de nombreux artistes occidentaux. Voilà pour les plus connues. Mais revenons à notre chichon national.

En bons journalistes, L’Express n’y va pas avec le dos de la cuiller et titre « Cannabis : premier employeur de France », le comparant même à La Poste, la SNCF ou Carrefour, comme si le cannabis constituait une seule et même entreprise, parfaitement organisée, structurée, verticale. Tu fais quoi dans la vie toi ? Eh bien moi, je suis le patron de Cannabis & Co, une petite boîte de 200 000 salariés qui vend du shit et de la beuh, chiffre d’affaire : plus d’un milliards d’euros mec ! Et voici MoMo, mon directeur des ressources humaines, mon DRH, comme on dit. Actuellement, nous sommes en plein recrutement. Nous recherchons des choufs, pour surveiller les rues, des gros bras pour sécuriser les halls d’immeubles, des dealers pour la vente au détail, avec scooter ou trottinette électrique de fonction. Nous embauchons aussi des cadres qui assurent la logistique et la distribution en gros, mais également des « Go fast » ou conducteurs de bolides, des « Go slow » ou conducteurs de vieux tacos pourris qui roulent skrédi (discret en français à l’endroit), des marins d’eau douce sachant traverser la méditerranée à toute berzingue en évitant si possible les migrants qui flottent, ceux qui ne flottent pas encore mais crèvent de faim sur leurs rafiots, les ONG qui tentent de les secourir, les gardes côtes, les mercenaires libyens… bref toute une kyrielle d’obstacles à contourner pour amener la marchandise depuis le rif marocain jusqu’à bon port en Europe.

Il paraît que nous allons avoir un grand débat au sujet de la légalisation du cannabis d’ici la fin de l’année, Macron l’aurait apparemment promis. Après, on sait ce que ça donne les grands débats façon Macron. Des semaines, des mois même, d’échanges, de cahiers de doléances, de contributions citoyennes, sur papier ou digitales, et surtout une énorme poubelle pour tout mettre dedans à la fin. Le résultat de ce débat, on le connait par avance, Emmanuel Macron est farouchement opposé à la légalisation du cannabis, donc point de légalisation, point barre. Et c’est tant mieux se disent certains, car comme le pointe le reportage de l’Express, celle-ci pourrait provoquer un véritable chaos social tant le poids économique du cannabis dans certains quartiers est prépondérant, des quartiers et des gens à qui on n’a rien d’autre à proposer. La question est par conséquent extrêmement délicate et ne doit pas être prise à la légère.

Il faut dire que légal ou non, force est de constater que ce secteur économique souterrain a beaucoup évolué ces dernières années. Les dealers utilisent aujourd’hui les outils modernes pour communiquer (Facebook, Whatsapp, Snapchat, Telegram, etc.) et mènent de véritables campagnes marketing. Plus besoin de se planquer sur le « dark web », cet internet souterrain où tout s’achète et tout se vend (drogues, armes, prostituées, produits volés, bitcoins…) pour faire sa promotion, le business se fait au grand jour ou presque. Certains proposent des promos, un paquet gratuit pour dix achetés, des cartes de fidélité, la livraison à domicile façon Ubershit, des emballages fun à l’effigie de clubs de foot ou de personnages de jeux vidéo, des billets de tombola, etc. Coca Cola n’a plus l’apanage de la créativité publicitaire. Faut dire que certains dealers ont fait des études de commerce à un niveau supérieur et fait des stages dans de grandes entreprises internationales. De quoi donner des idées.

Côté demande, l’usage récréatif occasionnel augmente progressivement mais sûrement, bien que, comme le montre le graphique ci-dessous, la consommation de cannabis est plus significative chez les jeunes.

Source : Cannabis, 200 000 employés en France, l’Express, 22 juillet 2021

Une autre tendance à noter, c’est que le cannabis ne concerne pas uniquement les banlieues chaudes des grandes agglomérations, Paris et Marseille en tête. En campagne également, le chichon fait florès comme à Limoux dans l’Aude où il n’est pas rare de voir des clients à la terrasse des cafés, fumer un petit bedo en prenant l’apéro, le fameux ricard+pétard. Et tout autour, des centaines de petits producteurs amateurs cultivant leur petit lopin de cannabis pour leur consommation personnelle et revendre le surplus pour arrondir les fins de mois tout en vantant les mérites du Made in France. A quand la beuh chez Biocoop ?

Toute la question est donc là. Le cannabis est un vrai marché, on ne peut plus le nier : 1,2 milliards d’euros selon les estimations, toujours difficile d’estimer une activité illégale, 150 à 200 000 personnes actives chacun à son niveau, du gamin qui surveille le coin de la rue pour 50 à 100€ au caïd du coin qui peut gagner plusieurs centaines de milliers d’euros par an en passant par les chauffeurs qui gagnent de 5000 à 10 000 euros par convoyage. Sans parler des grossistes, qui habitent le plus souvent en Espagne ou au Maroc (70% de la résine consommée en France vient de la région du Rif au Maroc où plus de 700 000 personnes y travaillent quotidiennement) et réalisent des chiffres d’affaires qui se comptent en millions d’euros. Sachant qu’un gramme de shit (résine) coûte entre 5 et 7 euros au détail et la beuh (l’herbe) environ 10 euros. Voilà pour les chiffres.

Alors que faire ? Légaliser ou ne pas légaliser ? That is The question, isn’t it ? Eric Coquerel, député de la France Insoumise, suggère de se soucier de la réinsertion professionnelle des acteurs de la filière en cas de légalisation. Euh, merci Eric pour ta participation éclairée. On est déjà pas foutus de trouver du travail à des mômes qui ne trempent pas dans le trafic de drogue et il faut trouver une solution de « réinsertion professionnelle » pour les trafiquants. Avec la France Insoumise, on est sauvés. On va pouvoir créer une nouvelle filière : l’enfoncement de portes ouvertes ! Et dans ce secteur d’activité, y a jamais la crise croyez-moi.

En ce qui me concerne, contrairement à d’habitude, je ne vous ferai pas part de mon avis. Non pas que je n’en ai point, il n’y a que le jour de mon enterrement que je me passerai d’avoir un avis sur le sujet tant cela importera peu. Non, j’ai un avis évidemment mais je ne suis pas certain que ce n’est pas une grosse connerie. Bien malin en vérité celui qui sait ce qu’il faut faire. Légaliser, c’est soumettre ce secteur à la concurrence d’acteurs légaux et de ce fait tarir leur sources de revenus. Que vont-ils faire en l’absence de revenus ? Se tourner vers d’autres formes de drogues plus dangereuses encore ? Ou alimenter la colère sociale qui gronde dans ces quartiers ? Savez-vous que certains dealers distribuent des allocations familiales ? Je ne plaisante pas hein ! En début de mois, vous vous pointez hall B de l’immeuble 2 de la cité des trois feuilles, vous dîtes que vous vivez dans le quartier et que vous avez trois gamins à charge et vous recevez 500 ou 1000 euros d’allocation. On devient vite populaire quand on joue les Robins des bois.

Bref, je le disais au début de ce billet, le sujet est complexe et la solution tout autant. Dans tous les cas, dans un vieux pays judéo chrétien tel que la France, où on cultive les tabous sans jamais vouloir vraiment les casser de façon pragmatique (prostitution, fin de vie, trafic de drogues…), on n’est pas près d’avoir un vrai débat sur le sujet, un débat dont encore une fois, les contributions finiront par être complètement ignorées pour laisser le pouvoir en place décider seul, ou entouré de quelques experts, en son âme et conscience.

Le temps que les choses bougent, j’ai donc le temps d’aller me fumer un petit joint, en toute illégalité.


Références

(1) Cannabis, 200 000 employés en France, l’Express, 22 juillet 2021

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