Chicxulub

McKinsey is back ! L’un des cabinets de conseil en stratégie les plus prestigieux au monde est de retour sur le devant de la scène française à la faveur, ou défaveur, d’un documentaire Cash Investigation qui leur est consacré. J’ai déjà consacré un billet à l’affaire dite McKinsey que j’avais intitulé Le Casse du Siècle en référence à l’escroquerie sur la taxe carbone, cette paille fiscale de quelques milliards plantée dans le derrière de l’Etat français, mais qui n’est rien à côté de ce qu’il dépense, ou dépensait car après ça je pense que les choses vont bouger, en conseil en stratégie. Cash Investigation, ce magazine de France Télévision qui fait peur a certains, et sa présentatrice vedette, Elise Lucet, que ces mêmes gens certains aimeraient voir renversée par un camion poubelle et mise dedans. Mais ce jour n’est pas encore arrivé et cette fois elle a décidé de se payer McKinsey. J’aime bien Elise Lucet pour deux raisons, un parce qu’elle joue avec son équipe de journalistes et enquêteurs un rôle indispensable de contre-pouvoir dans un pays démocratique digne de ce nom, surtout à l’heure où les principaux médias sont détenus par des groupes privés, et deux, parce qu’avant d’être journaliste vedette, elle a travaillé l’été à la poste juste en face de chez moi, là où j’ai travaillé moi aussi, là où ma mère a travaillé puisque je suis fils et petit-fils de facteur. Voilà une raison toute personnelle de défendre cette journaliste, vous me direz, je l’assume volontiers. J’admets que ces méthodes sont parfois agressives mais que voulez-vous, quand les gens ne veulent pas répondre, cela peut être pertinent d’aller à leur rencontre et s’ils n’ont rien à se reprocher, il n’y a aucune raison qu’ils se sentent agressés, à part peut-être par le fait qu’il y a une caméra braquée sur eux et une journaliste blonde qui les regarde droit dans les yeux avec ses yeux revolvers qui les intime d’avouer. Cela peut être stressant en effet.

Sur le fond, de quoi est-il question ? Il est question de choses très sérieuses, de financement illégal de campagne politique, de favoritisme, de détournement de fonds publics et plus grave, même si on ne va pas en prison pour cela, sinon la plupart des dirigeants politiques y dormiraient, de mauvaise utilisation des deniers de l’Etat. Car Cash Investigation montre très bien, livrables à l’appui, les livrables ce sont les rapports A4 reliés par une spirale en plastique facturés par McKinsey des centaines de milliers d’euros mais qui ne sont la plupart du temps que des généralités faciles à trouver partout sur internet, des copier-coller d’autres rapports qu’ils ont fait pour d’autres clients, des conseils à la mords-moi le nœud du genre prendre exemple sur la Malaisie pour réformer l’action publique, la Malaisie ce pays connu pour son exemplarité démocratique, le tout finira dans un placard à prendre la poussière. Le plus drôle, ou le plus triste, c’est que McKinsey travaille pour la France depuis un demi-siècle et le magazine a retrouvé des notes de responsables politiques des années 60 et 70 se désolant que ces études ne servaient à rien et étaient de l’argent public gaspillé. Le plus drôle, ou le plus triste, c’est que Michel Barnier nous dit découvrir une situation catastrophique financièrement et qu’il va devoir augmenter les impôts. Qu’il commence par supprimer ces dépenses inutiles que sont les cabinets de conseil en stratégie qui coûtent à la France des milliards d’euros. Car des présentations Powerpoint comme celle-ci, nous en achetons des centaines par an, des centaines de présentations qui coûtent encore une fois des centaines de milliers d’euros chacune, je vous laisse faire le calcul. Si encore elles étaient utiles et utilisées, on pourrait comprendre. Ok c’est cher mais ça vaut le coup, ces gars sont des cerveaux, ils coûtent un bras, mais avec l’autre on n’a plus à se gratter la tête pour savoir que faire. Mais non, même pas, la très grande majorité de ces rapports ne sont pas utilisés ! Ce n’est pas moi qui le dis, c’est d’anciens de McKinsey eux-même interrogés anonymement par Cash. Dans le conseil, on a une phrase qui en dit long, le conseil en stratégie, c’est donner l’heure avec la montre de son client. Tout est dit.

J’avais appelé l’affaire McKinsey le casse parfait mais j’ai eu tort. Car la perfection aurait été que l’on n’en parle pas, que cela passe ni vu ni connu. Dans le conseil comme dans la plupart des milieux d’affaires, ce qu’on aime par dessus tout, enfin juste en-dessous des dollars, c’est la discrétion. Et c’est valable partout dans le monde, quel que soit le secteur d’activité ou le pays. Là, force est de constater que c’est raté. On n’a jamais autant parlé de McKinsey, mais pas de la manière dont ils auraient aimé. De toute façon, ce qu’ils aiment, encore une fois, c’est qu’on ne parle pas d’eux, qu’on les laisse faire leurs affaires dans le dos des contribuables, sans bruit. Karim Tadjeddine, l’éminence grise d’Emmanuel Macron chez McKinsey, a d’ailleurs quitté le cabinet depuis. Remercié.

On peut néanmoins lui reconnaître le sens de la formule à Karim Tadjeddine. L’opération qui consistait à faire arriver Emmanuel Macron au pouvoir s’appelait « Chicxulub », du nom de cette explosion de météorite qui avait fait disparaître les dinosaures. Sur ce point, on peut dire qu’il a réussi. Emmanuel Macron a vraiment été cette météorite qui a signé l’extinction des vieux dinosaures de la politique, à gauche comme à droite. Le problème, c’est qu’en ratiboisant la forêt, il a aussi laissé le champ libre au FN, devenu RN, qui lui aussi a su aller chercher du sang neuf en la personne de Jordan Bardella. Est-ce que c’était ça l’objectif de Tadjeddine ? Quand on le voit bégayer devant la commission du Sénat qui l’a interrogé en 2022, on ne sait plus trop bien si on a affaire à une tête pensante, une éminence, un mage ou à un pauvre type dépassé par ce qu’il a fait.

Le plus triste finalement, c’est de constater qu’on a eu recours à des gens aussi brillants, sortis des meilleures écoles, pendant des années, que cela nous a coûté des milliards, et qu’on n’en est arrivé là, c’est à dire nulle part. Ruinés ! Etranglés par notre dette, quasiment en dépôt de bilan, incapables de remettre de l’argent dans nos services publics, l’éducation, la santé, la justice, la sécurité, la défense.

Faudra-t-il une nouvelle astéroïde, un nouveau Chicxulub, pour repartir du bon pied ? Je l’ignore, en tout cas, ce sera sans McKinsey ! Thanks guys, but no thanks ! Fini les repas gratuits à l’Elysée !

Sources / Référence

McKinsey, une firme au cœur du pouvoir, Cash Investigation, France TV, 17/9/2024