Homo automobilus

J’ai un point commun avec Dean Moriarty, l’un des deux personnages principaux de Sur la route, de Kerouac, c’est l’amour des bagnoles. D’ailleurs, je me livre parfois à un petit jeu auquel je suis peut-être le seul à jouer, à mi-chemin entre Qui est-ce ? et de la sociologie de comptoir, ce jeu s’appelle, Dis-moi la voiture que tu conduis, je te dirai qui tu es !

Moi par exemple, je conduis une Citroën Grand Picasso, c’est d’ailleurs ma troisième ou quatrième Picasso. Qu’est-ce que cela dit de moi à votre avis ? Moi ce que je pense que ça dit de moi, mais je peux bien entendu me tromper, mon analyse de moi-même étant peut-être trop personnelle, c’est que je suis une sorte de patriote économique, car je conduis une voiture française, oui Môsieur. D’ailleurs, vu le nombre de problèmes que j’ai eus sur la dernière, faut vraiment être complètement patriote, ou complètement con, pour continuer d’acheter des Citroën. A ce propos, je viens d’apprendre que le constructeur français – est-il encore français d’ailleurs, telle est la question – rappelle 600 000 C3 et DS3 à cause d’un problème d’airbag, un boulon se détachant de derrière le sac lors d’un choc venant couper la poire du conducteur en deux lui offrant un troisième oeil, de quoi mieux voir le fond de son cercueil. Chapeau Citro ! Apparemment, c’est un fournisseur japonais qui est à l’origine du défaut, règle n°1 dans l’industrie, toujours trouver un coupable idéal, idéalement un étranger, pour porter le chapeau à votre place. En plus de mon Picasso, j’ai une DS3 avec airbag à boulon, raison de retourner une fois de plus à la concession, sans concession cette fois. La dernière que j’y suis allé, le mois dernier, je leur ai demandé s’il n’avait pas un bureau inoccupé pour moi, ce serait plus pratique.

Patriote je suis, patriote je reste néanmoins, car je l’aime bien mon Picasso, malgré ses défauts. C’est même la voiture parfaite à mon avis, élégante et pratique, pouvant accueillir jusqu’à sept passagers pour transporter vos enfants et leurs amis, le chien, la belle-mère, les vélos, le bateau ou tous vos autres encombrants si vous rabattez les sièges, ce qui prend dix secondes. Un Picasso, c’est le couteau suisse de la voiture. Alors quand j’ai appris qu’ils arrêtaient le modèle, laissant le format familial à Peugeot et son 5008, j’ai été un peu triste. Les roues tournent que voulez-vous ! En résumé, le Picasso dit de moi que j’aime les voitures françaises, que je les soutiens même au delà du raisonnable, que je veux une auto pratique, modulable, familiale, mais pas trop moche non plus, et même belle si possible. La Picasso est tout ça à la fois. I Love Picasso !

Bon assez parlé de moi, bien que c’est le principe de ces chroniques, puisque mon monde tourne autour de moi forcément, mais pas forcément autour de mon nombril.

Que dire des autres autonombrilistes ? Prenons un exemple complètement opposé au Picasso à papa, prenons quelqu’un qui conduit une Porsche Cayenne (c’est un 4X4, je précise pour ceux qui ne connaissent rien aux voitures, qui s’en foutent et qui probablement ne lisent pas ce billet d’ailleurs). Qui est le conducteur de Cayenne ? Le conducteur d’une Porsche Cayenne, précisions qu’elle doit lui appartenir, car il se peut aussi qu’il l’ai volée, tel Dean Moriarty, est soit un boss, un patron, qui a bien réussi dans les affaires, l’immobilier, la finance, que sais-je et qui veut que cela se voit. Cela peut aussi être un footballeur, ou son agent, ou son frère, ou un copain du quartier qui lui a piqué du blé, à un rappeur, ou son agent, etc. ce qui vaut pour un footballeur vaut pour un rappeur ou un trafiquant de drogue, surtout si les vitres sont teintés. Bref, un conducteur de Porsche est quelqu’un qui a du fric et qui veut qu’on le sache. Si besoin, il fait changer le pot et accélère un bon coup, c’est encore plus visible, et surtout audible.

A propos de changer le pot, il y a tous ces ptits gars qui font du tunning et se croient dans un épisode de Fast’n Furious. En général, ça va de paire avec les tatouages, les pilotes des ces engins haut en couleur et en bruit formant une vraie communauté qu’ils aiment voir représentée sur leur épiderme.

A l’inverse, il est peu probable que le conducteur d’une Volvo se fasse dessiner sur la peau une roue ou un aileron. Car le conducteur d’une Volvo moderne, qu’il s’agisse d’une XC, d’une V, d’une EX ou d’une EC, est un cadre et profession intellectuelle supérieure, CPIS comme dirait le sociologue Emmanuel Todd, vivant dans une grande ville en général, amateur de beaux designs mais aussi d’une certaine fiabilité. Avec Volvo, il a la caution de sérieux des Nordiques avec le raffinement des designers italiens ramenés par le propriétaire chinois actuel. Autant dire que la Volvo de 2024 n’a plus rien de Suédois, heureusement diront les connaisseurs car les vieilles Volvo étaient plus des chars que des voitures, un peu comme les Skoda, devenues aujourd’hui tout à fait désirables.

Rien n’est plus désirable cependant qu’une Mini, que ce soit l’ancienne Mini, vraiment mini et mimi, que la nouvelle, détenue par BMW en 1994, mais toujours aussi sexy. Dans la vaste majorité des cas, les Mini sont achetées et conduites par des femmes, citadines, élégantes, sophistiques, limite pétasses, qui se la pètent avec leur petit bolide urbain. On peut en dire presque autant de la Fiat 500, mais en moins disant.

La Mini, c’est l’opposé du gros bourrin au volant de son pick-up de campagne depuis que les pouvoirs publics ont eu la bonne idée de considérer que ce véhicule importé des Etats-Unis et gros comme une moissonneuse batteuse, est un véhicule utilitaire avec TVA récupérable. Depuis, les campagnes françaises voient défiler ces 4×4 plus énormes les uns que les autres, il ne manque plus à leurs conducteurs qu’un chapeau de cowboy, un Stetson, pour ressembler à JR Ewing, Yi ha !

Le pick-up n’est pas la seule voiture que vous avons importé en masse d’Amérique. Si vous observez un tant soit peu la route des dernières années, vous me voyez sans doute venir. Je veux bien entendu parler des Tesla, modèles S, E, X ou Y, SEXY, ils sont tout de même forts en marketing et en com ces foutus gringos ! Les voitures sont belles certes, elles sont 100% électriques, ok, avec de grosses tablettes et toute la techno moderne dedans, soit ! Mais bon franchement, elles ne cassent pas trois pattes à canard non plus. Cela fait 150 ans qu’on dessine des automobiles et on en a vu des bien plus belles, bien plus puissantes, bien plus innovantes, c’est du moins mon point de vue. Tesla est avant tout un phénomène de mode et donc un phénomène médiatique, tout comme son fondateur Elon Musk, qui un jour s’arrêtera. Car la mode est ce qui se démode le plus vite, disait Chanel, et elle avait raison. Cela a déjà commencé là où Tesla est née, en Amérique. Les Américains n’en sont plus aussi friands qu’au début. Nous avons toujours un train de retard sur eux mais nous faisons toujours pareil en bout de course, et en moins bien. La Tesla s’est adressée au début à l’ultra bobo urbain puis s’est démocratisée ensuite au point qu’il est assez difficile de dresser le portrait robot du Tesleur, un testeur de tech sans doute, mais aujourd’hui tout le monde aime la tech, qui n’a pas un téléphone mobile, un smartphone comme on dit ? Reste que la Tesla n’est pas à la portée de toutes les bourses, même si son prix reste compétitif par rapport à d’autres véhicules thermiques de bonne facture.

Chez nous à Caen, la concession Tesla est juste en face de celle de Dacia, une marque à bas coût qui à l’origine a été imaginée par Renault pour conquérir les pays d’Europe de l’Est. Finalement, Dacia a conquis l’Europe de l’Ouest, notamment les anciens clients de Renault, Peugeot et Citroën qui ne veulent, ou ne peuvent, plus acheter leur ancienne marque préférée et se sont rabattus sur Dacia en pensant que c’est un peu français, alors que c’est complètement Polonais. Ce sont donc des gens qui ont un certain bon sens, en tout cas celui de ne pas mettre tout leur pognon dans leur bagnole. Avec l’appauvrissement général de la classe moyenne européenne, l’avenir de Dacia s’annonce radieux, d’autant que leurs designs sont de mieux en mieux. A l’instar des Chinois avec Volvo, ou de Volkswagen avec Skoda, ils ont compris qu’ils ne sont pas obligés de faire des voitures moches. S’ils se mettent à faire de belles voitures pas chers et relativement fiables, ils seront les rois du pétrole, ou du moins des véhicules qui le consomment.

A moins qu’ils ne fassent piquer leurs clients par les Chinois de BYD, par exemple, quel drôle de nom pour une voiture, qui ont investi massivement dans l’électrique et proposent aujourd’hui une très belle gamme de voitures bien dessinées, bien équipées et à des prix raisonnables. Ce qu’ont fait les Coréens avant eux, proposant même une garantie intégrale sur 7 ans. Si Citroën se met à garantir ses voitures sur 7 ans, ils mettent la clé sous la porte en deux ans ! D’accord pour changer les boulons des airbags, mais le reste des pièces, c’est bibi qui les paie. Bibi, c’est le couillon comme moi qui continue d’acheter Citroën alors qu’il pourrait se payer une BYD, une Kia ou une Toyota pour ne pas se casser les pieds à aller au garage tous les trois mois.

Sauf que, je le disais en introduction, le véhicule fait l’homme. Je ne serais pas contre avoir une Porsche à vitres teintées, une BMW ou une Mercedes, sans parler des magnifiques Italiennes, les Lancia, Alpha Romeo et les fantasmatiques Ferrari, Lamborghini et tutti cuanti, bien sûr que j’aimerais. Je pourrais aussi acheter chinois, japonais, coréen mais j’aurais l’impression ce faisant de trahir mon pays. Je n’y peux rien, je suis comme ça. Pour moi, on ne peut pas d’un côté se lamenter que l’industrie a disparu en France et acheter une voiture chinoise, ça fait tâche voyez-vous, et pas seulement d’huile.

Et puis Citroën, c’est un peu ma madeleine de Prost, pardon de Proust. J’ai été trimbalé toute mon enfance dans les Citroën de mon oncle et de ma tante, Visa, AX, BX, GS, GSA, Ami, DS,… et puis le père André Citron était un tel génie de l’automobile, que je suis fier de conduire une Citroën, même si je risque de me prendre un coup de boulon en plein front, populaire évidemment !

Allez les amis, automobilement vôtre !