Je ne bois jamais…
… avant le petit déjeuner ! disait Churchill, ce stratège militaire qui a largement contribué à la victoire des alliés lors de la Seconde guerre mondiale, journaliste, ministre, premier ministre, homme d’Etat, homme de lettres, prix Nobel de littérature, homme de tous les talents en somme, pour qui l’alcool et le cigare étaient un mode de vie.
L’alcool peut-il, comme le clament les publicités Red Bull, vous donner des aiiiiilllles ? Peut-il vous sublimer, vous désinhiber au point d’oser faire des choses que jamais vous n’auriez pensé possibles et changer ainsi radicalement le cours de votre existence. C’est l’idée au coeur de Drunk, le dernier film de Thomas Vinterberg (1).
Comme le dit le réalisateur, de grands intellectuels, artistes et écrivains, comme Tchaïkovsky ou Hemingway, ont également trouvé le courage et l’inspiration au fond d’un verre. Nous connaissons tous le sentiment de l’espace qui s’agrandit, de la conversation qui prend de l’ampleur, et des problèmes qui disparaissent à mesure que l’on boit de l’alcool.
Quatre amis, quatre profs de lycée, vont tenter l’expérience de maintenir leur niveau d’alcool dans le sang à au moins 5g par litre et voir les effets concrets que cela produit sur leur vie.
Martin est un prof d’histoire qui s’étiole au point qu’il ne sait même plus où il en est dans le programme et se mélange les pinceaux entre la deuxième et la première guerre mondiale. A la maison aussi, il est devenu transparent. Sa femme travaille la nuit, lui le jour. Ils ne voient plus, ne parlent plus, ne se touchent plus. L’alcool produit d’abord sur lui l’effet d’un électrochoc. En classe, il aborde ses cours sous un autre angle, prend les étudiants par surprise, les accroche, les intéresse et de cette étincelle renaît la passion de l’enseignement. Cette énergie nouvelle relance aussi sa vie personnelle mais un peu trop tard car sa femme n’a pas eu la patience de l’attendre. Les assiettes volent. Séparation.
Nicolaj est prof de philo. C’est lui qui introduit les autres à la théorie du psychologue norvégien Finn Skårderud, selon laquelle l’homme serait né avec un taux d’alcool dans le sang qui présenterait un déficit de 0,5g/ml, qu’il conviendrait de compenser. Marié à une femme « sublime » et « riche » comme il le dit lui-même, il vit dans une magnifique maison au bord de la mer mais il est en réalité le loser de l’histoire. Mené à la baguette, on lui dicte les courses qu’il faut ramener le soir et doit absolument prévenir sa femme avant de ramener son pote, trop ivre pour conduire, à la maison. Il finira par rentrer chez lui à quatre pattes un soir où ils ont voulu pousser le curseur alcoolique à son paroxysme et uriner sur sa sublime femme pendant son sommeil. Classe !
Peter est prof de musique et de chant chorale. Ses étudiants le dépriment quand ils chantent mais après une ou deux rasades de vodka, lui vient l’idée de les bousculer, leur fermer les rideaux et les yeux, se mettre debout et laisser leur esprit s’accaparer la musique et une fois encore la magie opère. Et quand il voit un étudiant en pleurs parce qu’il a déjà raté une fois son bac et craint d’échouer à nouveau (tiens ça me dit quelque chose), il lui met de la vodka dans une bouteille de flotte et roule ma poule, le voici qui déroule Soren Kierkegaard et sa théorie sur la faiblesse assumée. Les larmes ont séché et le bac est en ligne de mire.
Tommy enfin, est le prof de sport qui lève la patte de son chien grabataire pour qu’il puisse pisser. Il est aussi celui qui prend sous son aile le petit binoclard qui vient d’arriver dans l’équipe de foot qu’il entraîne et à qui personne ne veut passer sa gourde. L’alcool lui permettra de galvaniser ses jeunes joueurs, les emmenant à la victoire et le petit à lunettes deviendra même le héros du jour avec un magnifique tir du droit, pleine lucarne ! Mais l’alcool a la fâcheuse tendance de mettre votre âme et votre vie à nue et quand il se retourne, il ne voit que le néant. Alors il part sur son bateau avec son chien, qui ramènera le bateau tout seul.
Au delà de l’alcool, ce film est une ode à la vie, une incitation à vivre intensément, quitte à s’aider de quelque potion magique, qu’importe le nectar, pourvu qu’on ait l’ivresse. Il met également en scène la figure du prof génial, ce professeur Keating (2) que tout le monde rêverait d’avoir eu en classe, ce genre de prof qui vous change une vie (3).
Quant à la scène finale… que dire ? L’acteur, Mads Mikkelsen, alias Le Chiffre dans Casino Royal reconverti ici en danseur de jazz virevoltant, la chanson, What a life du groupe danois Scarlett Pleasure, l’ambiance enivrée de fin des épreuves du bac avec les copains copines, pour un peu on en serait aussi saouls que ces carabins, saouls d’en prendre plein les mirettes, plein les oreilles. Sublime !
What a life, what a night
What a beautiful, beautiful ride
Don’t know where I’m in five but I’m young and alive
Fuck what they are saying, what a life
Lire aussi : Lettre à ce professeur
Références
(1) Drunk, de Thomas Vinterberg, avec entre autres Mads Mikkelsen, 2021
(2) Le professeur Keating est le personnage principal interprété par Robin Williams dans Le cercle des poètes disparus, 1989
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