# EcologiX

La dernière reine

22 décembre 2022

Il y a plusieurs manières de sensibiliser les gens à l’écologie et au respect de la nature. Ils peuvent regarder les documentaires de Cyril Dion (qui n’est pas le petit frère de Céline, je le précise au passage, ce qui aurait été cocasse cela dit, Céline n’étant pas vraiment connue pour ses économies d’énergie), des documentaires qui les feront sans aucun doute culpabiliser d’utiliser leur voiture, de manger, de boire, de consommer, d’avoir une poubelle et de la remplir, de partir en vacances, de prendre l’avion alors que lui a bien dû le prendre des dizaines de fois pour pouvoir réaliser ses interviews aux quatre coins du globe. Après les écolos bobos ne sont pas à un paradoxe près, c’est tout le problème. Cyril Dion habite probablement Paris et pas au fond du Larzac. Il est peu probable donc qu’il cultive lui-même son lopin de terre, sauf si ses reportages lui rapporté des millions et qu’il s’est acheté un hôtel particulier avec, mais j’en doute. Alors il se déculpabilise en faisant ses courses dans une épicerie bio, un magasin où le kilo de poulet approche parfois les 40 euros quand il est découpé en fine escalopes et destiné aux grosses dindes que nous sommes. Sa dernière idée, inspirée d’une émission suédoise, est de sensibiliser les gens grâce aux arbres, car les gens, c’est bien connu, aiment bien les arbres. Quand tu leur parles de GES (gaz à effet de serre), de rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) ou de couche d’ozone, ça finit par les saouler car ils n’y peuvent pas grand chose au climat, les gens ! Les gens, ils se contentent, pour la plupart d’entre-eux, d’aller au boulot, quand ils en ont un, pour subvenir à leurs besoins et surtout à ceux de leur famille. Ils veulent bien trier leurs poubelles, diminuer leur consommation d’énergie, manger bio et local, acheter une bagnole électrique quand ils ont le pognon pour, car il en faut un paquet, mais ils en ont marre qu’on leur dise tous les matins qu’ils vont crever à cause de la pollution et du réchauffement climatique, et qu’en plus c’est de leur faute. Alors Cyril Dion peut leur parler d’arbres comme à des enfants de 5 ans, ça ne changera rien à l’affaire. Pourtant, il a raison au fond, Cyrille Dion, et son documentaire Demain (1) était intéressant et éclairant, clairement il y a urgence à agir mais encore une fois, les gens en ont marre de l’écologie punitive et culpabilisante et ça ne sert à rien de leur enfoncer encore plus le nez dans la merde qu’ils produisent à leur corps défendant.

Une autre manière de procéder, plus indirecte et plus douce, plus inspirante surtout, c’est de lire les bandes dessinées de Jean-Marc Rochette, par exemple Ailefroide, Le loup et son dernier album, de la haute couture, La Dernière Reine. Ailefroide (2) est une autobiographie en bande dessinée, un peu comme l’Arabe du futur, sauf que notre héros ne grandit pas entre la Libye, la Syrie et la Bretagne (cherchez l’erreur), mais à Grenoble, haut lieu de la haute montagne. C’est là qu’il découvre l’escalade avec des copains du quartier, des premières séances d’initiation aux expéditions plus longues et plus périlleuses dans les Alpes. Quand enfin il est question de faire un choix entre la montagne et la peinture, son autre passion, il choisira de peindre et dessiner. Quelques années plus tard, au moment de grimper cette Aile froide, il se retourne sur le chemin parcouru et constate que bon nombre de ses amis de l’époque sont morts en essayant d’atteindre les sommets, sans doute le sommet des dieux (3). Le paradoxe concernant les alpinistes, c’est qu’ils sont les premiers défenseurs de la montagne, et donc de la nature sauvage qui y vit, ce qui ne les empêche pas cependant d’aller s’agglutiner au sommet de l’Himalaya en y laissant des tonnes d’ordures au cours de l’ascension. Va comprendre !

Dans Le loup (4), il est question de la vie pastorale et de la relation particulière entre les bergers et les loups. On y suit Gaspard, un vieux berger solitaire et son chien Max, l’image d’Épinal, qui une nuit se retrouve face à une louve qui attaque son troupeau. Il prend alors son fusil et tue la louve. Il découvre alors qu’elle n’est pas seule, un jeune louveteau l’accompagne et pleure à présent sa mère avant de s’enfuir, il devra désormais survivre seul. Une année passe, nouvelle transhumance, le louveteau a survécu et les épreuves qu’il a endurées ont fait de lui un jeune loup puissant, affamé et vengeur. Une nuit, le loup attaque le troupeau de Gaspard et tue Max. Ivre de rage et de peine, Gaspard poursuit le loup jusqu’au sommet des alpages où il se fait surprendre par une tempête de neige qui le contraint à rester enfermé dans un refuge pendant plusieurs jours, sans eau ni nourriture. La tempête finit par se calmer, au bout de ses forces le vieux berger reprend malgré tout sa chasse. Il finit par le rattraper, le met en joue mais fait une chute et se casse la jambe. Cette fois, son compte est bon, pense-t-il, perdu dans cette immensité blanche, exténué, gelé, la jambe cassée, il n’a pas mangé ni bu depuis des jours, sa dernière heure a sonné. Je ne divulgâcherai pas la fin de cette BD palpitante, vous n’avez qu’à vous l’offrir pour Noël, avec Aile Froide et La dernière reine par la même occasion.

Dans La Dernière Reine (5) enfin, la dernière reine n’est pas un loup, ou plutôt une louve, mais une ourse, même dilemme pour les bergers, même combat, même confrontation homme-animal. Sauf que le personnage principal n’est pas ici un berger mais une gueule cassée de la première guerre mondiale. Au début, on se dit que Rochette marche sur les pas de Pierre Lemaître et son Au revoir là-haut et on se dit alors que c’est casse-gueule de s’approcher du chef d’oeuvre d’un autre sans risquer la comparaison, voire les critiques si ce n’est les accusations d’inspiration ou de plagiat. Mais non, Rochette évite cet écueil et réalise même une bande dessinée unique et majuscule. La gueule cassée en question, c’est Edouard. Il fait la rencontre de Jeanne, sculptrice animalière, qui lui fabrique un masque, lui redonne vie, visage et dignité. En échange, Edouard fait découvrir à Jeanne le plateau du Vercors, le cirque d’Archiane où il a grandi et lui raconte l’histoire du dernier ours. Là encore, je vous raconte pas la fin, ce ne serait pas vous rendre service. Le vrai service est encore une fois de vous conseiller de courir chez votre libraire acheter cette bande dessinée avant qu’il n’y en ait plus, d’en prendre trois ou quatre même et de les offrir autour de vous pour Noël.

Rochette, c’est un peu le Jack London de la BD. En parcourant ces pages, vous partez en voyage au coeur de la nature sauvage, et croyez-moi ça vaut cent fois les discours écolos.

Courez je vous dis !


(1) Demain, documentaire de Cyril Dion et Mélanie Laurent, Mars films, 2015.

(2) Ailefroide, Rochette, Casterman, 2018

(3) Lire Le Sommet des Dieux : https://citizn.org/le-sommet-des-dieux/

(4) Le Loup, Rochette, Casterman, 2019

(5) La Dernière Reine, Rochette, Casterman, 2022

Vous souhaitez intéragir ? Écrivez un commentaire !

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • Olympe de G.
    # HistoriX

    Olympe de G.

    3 novembre 2022
    En ce jour important pour moi, puisque c'est mon anniversaire, je voudrais rendre hommage à une femme qui fut guillotinée ce même jour, près de deux siècles plus tôt, une femme extraordinaire en tout point, ...
    Lire la suite
  • Dorcel ou Pornhub ?
    # SeX

    Dorcel ou Pornhub ?

    30 mars 2023
    J'ai décidé de terminer ma mini-série sur le sexe par le porno. Interrogée en 2018 par Ali Badou dans le cadre de son émission Drôle d'endroit pour une rencontre - tiens, tiens ! - Virginie Despentes y déclarait se ...
    Lire la suite