La Maison des femmes
Il y a toutes sortes de maisons, des petites, des grandes, des rondes, des rectangulaires, certaines sont faites en bois, d’autres en briques, en terre ou en glace, chacun ses coutumes, chacun sa maison. Et puis il y a des maisons créées pour les autres, des maisons qui comptent plus que d’autres. C’est le cas de la Maison des femmes à Saint-Denis (93), à l’initiative de Ghada Hatem-Gantzer, gynécologue-obstétricienne franco-libanaise.
La Maison des femmes accueille chaque jour une centaine de patientes de tous horizons, toutes nationalités, toutes situations personnelles et sociales, et les accompagne dans trois cadres principaux : planification familiale (contraception, IVG), violences (coups, harcèlement, viol, violences conjugales et intra-familiales) et enfin, et non des moindres, les mutilations sexuelles (excision, infibulation).
Cela répond à un véritable phénomène de société, universelle et séculaire, non à des situations marginales. Une femme sur trois a déjà été victime de violences dans le monde, en France une femme décède tous le deux jours sous les coups de son conjoint ou de son ex, 7% des femmes sont victimes d’un viol au cours de leur vie et 86% de ces viols sont commis par des proches. Ajoutons que 720 millions de filles dans le monde sont victimes de mariages précoces, j’insiste ici sur la notion de victime, et qu’on ne vienne pas me parler de tradition ou de coutume, et 130 millions de fillettes ont été excisées. C’est pour répondre à ces violences de façon spécifique et encadrée, que la Maison des femmes a été créée en 2016 juste à l’entrée de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis.
La Maison des femmes est pluri-disciplinaire afin de répondre aux problèmes sur tous les angles : médecins, psy, avocats, policiers (à la retraite) pour accompagner les victimes au commissariat, où il arrive qu’on ne les prenne pas au sérieux, cours d’auto-défense par des profs de karaté et de Krav Maga, ce sport de combat inventé par l’armée israëlienne, profs de français et bien entendu des chirurgiens gynéco pouvant réparer ces survivantes.
Quand on dit excision ou infibulation, ce ne sont que des mots un peu compliqués qui au fond ne disent rien de la barbarie dont il est question. Petit cours d’anatomie de l’horreur. Il y a trois types d’excision au sens large. Le premier type, c’est l’ablation du capuchon et du gland du clitoris – la partie visible de l’organe – si si les filles ont aussi un gland. Dans le second type, on enlève aussi les petites lèvres. Enfin, le troisième type, qu’on appelle infibulation, consiste à rétrécir l’orifice vaginal avec recouvrement par l’ablation et l’accolement des petites lèvres ou des grandes lèvres, avec ou sans ablation du clitoris. Les mecs ne verront peut-être pas bien à quoi ça fait référence car très peu d’entre-eux ont une réelle connaissance de l’anatomie féminine, malgré les cours de biologie au collège et au lycée, pour ceux qui y sont allés. Les filles elles auront sans doute une idée plus précise et peuvent imaginer la souffrance que cela crée et la mutilation qui cela représente pour le restant de leur vie. Il y a un mot pour ce genre de pratique : barbarie. Le pire, c’est que cette pratique est défendue et considérée comme légitime dans bon nombre de pays dans le monde. Quand le docteur Hatem-Gantzer fait des conférence sur le sujet, elle est parfois prise à partie par des gens qui lui disent de se mêler de ses affaires, que c’est une toubab (une blanche) et qu’elle ne comprend rien aux us et coutumes des autres. On rêve là ! Si la coutume avait été de couper le gland et les couilles des mecs, de rouler ce qui reste du pénis comme un fourré à la framboise et de le coudre sur le plancher pelvien, il y a longtemps que la pratique aurait été abandonnée. Elle n’aurait même jamais débuté car il est fort probable qu’ainsi mutilé, un homme ne puisse plus avoir de rapport sexuel, donc plus de procréation et plus d’humanité, ou d’inhumanité. Seulement voilà, il est ici question des femmes, donc c’est pas grave, on peut taper, exciser, infibuler, bousiller, on s’en fout, ce ne sont que des femmes après tout ! Quantité négligeable et négligée.
Evoquer ce sujet me renvoie inévitablement au livre de Denis Mukwege (La Force des femmes), ce chirurgien gynécologue et prix Nobel de la Paix, qui répare les femmes violées et mutilées en RDC et dans les pays environnant. J’avais démarré la lecture de ce livre en forme d’auto-biographie puis je me suis arrêté, ne supportant plus ces récits de femmes qui arrivent à la clinique le vagin découpé à la machette. Parfois l’histoire se finit bien pour elles, mais c’est si rare. Difficile dans ces cas-là de conserver intacte sa foi en l’humanité, Mukwege n’a vraiment pas volé son prix Nobel.
Les violences faites aux femmes ne sont toutefois pas l’apanage d’un pays ou d’un continent en particulier. Cela arrive tous les jours, partout et cela peut concerner tout le monde, vous moi, votre voisin ou le mien. Il suffit pour s’en convaincre de feuilleter la BD de Nicolas Wild consacrée à la Maison des femmes et à ses protagonistes, professionnels de santé et patientes elles-mêmes. Par exemple Nour, dont le frère n’acceptait pas les tenues et les fréquentations de sa soeur et pensait légitime de lui faire son éducation à coups de poings. Ou Sophie, qui dessinait sa vie en bouillie aux côté de son compagnon artiste guitariste à l’ego sur-dimensionné, qui entre deux baffes, écrasait et humiliait en permanence sa compagne. Les exemples comme ceux-ci sont nombreux, leur point commun c’est que la victime est une femme et le bourreau un proche.
Alors je tire mon chapeau à Ghada Hatem-Gantzer pour son initiative d’utilité publique, et je rajouterai personnellement, vitale. Dire qu’elle existe surtout grâce aux dons de mécènes privés, cela en dit long sur la santé publique dans ce pays, mais ceci est un autre débat que j’ai déjà abordé dans d’autres chroniques. Ironiquement, quand on demande à Ghada si elle est féministe, celle-ci répond qu’elle revendique une forme de féminisme pragmatique, qu’elle préfère s’attaquer aux problèmes concrets, par exemple les violences, plutôt que les combats symboliques tels que l’écriture inclusive. A bonne entendeur.e…
Sources / Références
Dr Ghada Hatem-Gantzer, Aux pays du machisme ordinaire, entretien avec José Lenzini, Edition Mikros L’aube, 2020.
A la Maison des Femmes, Bande dessinée de Nicolas Wild, Delcourt / Encrages, 2021
La Force des femmes, Denis Mukwege, Gallimard, 2021
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