La Saison des femmes
Je poursuis mon voyage en Asie avec Arte, direction l’Inde cette fois.
Un voyage dans le temps d’abord avec l’indépendance il y a 75 ans aujourd’hui, le 15 août 1947. On parle d’indépendance mais on devrait plutôt dire partition de l’Inde puisque en fait d’indépendance, l’Inde a surtout été coupée en morceaux, Pakistan occidental, Inde, Pakistan oriental, entraînant l’un des plus grands déplacements de population de l’histoire avec plus de 10 millions de personnes sur les routes pour rejoindre l’un ou l’autre des nouveaux pays ainsi créés. Une période extrêmement troublée avec de nombreuses exactions et règlements de comptes entres musulmans, hindous et sikhs au cours desquels près de 1 millions de personnes moururent, massacrés le plus souvent.
Lord Mountbatten, dernier vice-roi des Indes, donnera son nom au plan de partition de l’Inde. Croyant agir dans l’intérêt général, il comprendra rapidement qu’il est manipulé par le 10 Downing Street et le Premier ministre Churchill. La découpe de l’Inde n’a jamais été imaginée dans l’intérêt des Indiens mais bel et bien dans celui du Royaume-Uni qui comme son allié américain craignait la menace soviétique au nord et voulait sécuriser son accès au pétrole. La géopolitique et la stratégie passent avant la vie et les droits des citoyens ordinaires, ainsi fonctionne le monde.
Voyage dans l’espace ensuite avec La Saison des femmes (1), qui nous emmène dans un petit village au fin fond du Rajasthan, cet Etat du nord-est de l’Inde, bordé par le Pakistan et le Pendjab et qui compte 90% d’hindous, 8 à 9% de musulmans et quelques sikhs et jaïns qui trainent par-ci par-là. Voyage dans l’espace, remarquez, ce n’est pas si évident tant les moeurs de ce village semblent nous renvoyer au Moyen-âge de l’humanité.
On y suit la vie de trois jeunes femmes, Rani, Lajjo et Bijli qui tentent de survivre dans ce microcosme patriarcal de brutes épaisses. Le point commun entre ces trois amies, c’est de prendre des coups à longueur de journée et quand je dis des coups, croyez-moi ça cogne ! Enfin pour Rani, ça s’est terminé le jour où son mari est mort dans un accident de voiture. Depuis, elle élève son fils tant bien que mal, plus mal que bien d’ailleurs, puisque celui-ci ne trouve pas la mariée que sa mère lui a trouvé en solde dans le village d’à côté à son goût, du coup il la cogne, c’est le cas de le dire. Et quand il ne la cogne pas, il va aux putes et s’endette, des dettes que sa mère devra solder en vendant un bijou qui lui est cher. Voilà pour Rani.
Lajjo elle prend des raclées parce qu’elle n’arrive pas à avoir d’enfant. Quoiqu’elle fasse de toute façon, elle prend sur la figure. Un jour, son travail est remarqué pour sa qualité. Elle est félicitée et augmentée. Cela se sait. Le mari revient le soir, lui met une droite et lui demande si elle veut qu’il soit la risée du village. Sa femme mise sur un piédestal et lui considéré comme un bon à rien, elle n’y pense pas ! Mais elle a une bonne nouvelle, elle est enceinte ! Bijli a eu l’idée audacieuse de l’emmener voir une espèce de chaman qui ne s’est pas contenté de l’ausculter. Résultat, le traitement a fonctionné. Elle n’était pas stérile, surnom que lui avait donné son mari, c’était lui le stérile. Et il le savait parfaitement le salaud car sa réaction ne s’est pas faite attendre, pluie de coups sur la future maman, à la tête, au ventre, coups de poings, coups de pieds. Aidée par Rani qui a entendu les cris, les deux femmes parviennent à le bousculer, sa manche prend soudain feu dans le feu de camp de la cahute, puis c’est le torse qui s’embrase puis toute la maison. Qu’il crève dans ce brasier, fumier !
Bijli enfin est une danseuse dans le cirque qui a élue domicile à la sortie du village. Elle danse jusqu’à 22 heures et enchaîne les passes le reste de la nuit. Un jour, les femmes du village demandent au conseil des hommes qui dirigent le destin de cette société, le droit d’avoir une télé. Pas une télé par case hein, une télé pour tout le village. Le propriétaire du cirque est alors venu protester pensant que si la télévision faisait son apparition, les hommes ne viendraient voir ses spectacles de danses et vider leur(s) bourse(s) au bar et au bordel. Il n’y aura donc pas de télé. Mais Bijli ne rajeunit pas et son mac a bientôt fait de lui trouver une jeune concurrente. Alors Bijli lui montre c’est qui la pute en cheffe ici et prends les clients par un, par deux, par trois, quitte à y perdre sa dignité et son âme. Une autre fois, une jeune femme à peine majeure revient chez sa mère au village en pleurant. Son mari la délaisse et elle est violée par les autres hommes de la famille. Le conseil se réunit. Il ne peut accepter pareil affront. Pas que la jeune mariée soit violée, mais qu’elle s’enfuit de son nouveau foyer. Que va-t-on dire des filles de leur village ? Décision est prise à l’unanimité de la renvoyer dans sa belle famille, qui n’a de belle que l’expression consacrée, malgré les protestations de la jeune fille en question et celles de son amie Lajjo.
Lorsque la mère de Rani meure soudainement, que le mari de Lajjo prend feu et que Bijli touche le fond du fond, celle-ci comprend qu’il est grand temps pour les trois femmes de prendre leurs cliques et leurs claques, elles ont tant reçues, et d’aller voir ailleurs. Elle vole un ORNI, objet roulant non-identifié, subtil mélange mécanique de mobilette, de rickshaw et d’une boîte de nuit roulante, elles fuient le village et voguent vers des rivages inconnus, en tout cas le plus loin possible de toute cette merde.
Cette histoire a lieu dans l’Inde rurale d’aujourd’hui. J’ignore si Leena Yadav, la réalisatrice, grossit le trait, sans doute un peu, histoire d’appuyer justement là où ça fait mal. Il n’en demeure pas moins qu’on enrage d’un bout à l’autre du film. On a envie de débarquer tel un super héros avec sa cape et son slip moulant, prendre par l’oreille le vieux sage, chef du conseil du village, et lui dire, c’est toi que je vais envoyer dans la belle famille mon gars, et j’espère qu’ils vont t’arranger. Tu reviendras au village en pleurant et on t’y renverra une deuxième fois pour la rincette.
Il est toujours délicat de porter un jugement sur la culture des autres peuples du monde. Néanmoins, il s’agit ici de droits humaines fondamentaux, le droit d’être libre, le droit de s’instruire, le droit de ne pas être frappé, violé, le droit d’être aimé pour autre chose que pour faire des enfants, main d’oeuvre bon marché. Il est délicat de juger.
Ne pas juger non, mais constater que des sociétés patriarcales anciennes et rurales telle que celle qui est dépeinte dans le film ne conduisent qu’à l’oppression des femmes, même en 2022. Il existe pourtant dans le monde, et dans l’histoire et la préhistoire, des exemples de sociétés matriarcales, certains anthropologues préfèrent parler de sociétés « matrilinéaires » pour marquer davantage l’idée de filiation et de transmission, et moins celle du pouvoir. Les Zapothèques au Mexique, les Minangkabau en Indonésie ou les Navajos aux Etats-Unis fonctionnent encore ainsi, des communautés où on hérite du pouvoir, d’un nom ou d’un bien, de mère en fille. On peut être tenté de penser que dans de telles sociétés, la vie des femmes y est facilitée. Le philosophe Friedrich Engels y voyait même une forme d’idéal, considérant à l’opposé le patriarcat comme « une oppression paternelle nuisible et assimilait domination masculine, apparition de la propriété privée et naissance des inégalités »(2). Mais ce n’est pas si évident car la loi humaine s’incline souvent devant la loi naturelle, ou loi de la jungle, qui veut que le plus fort l’emporte sur le plus faible. Ainsi chez les Zapothèques par exemple, les femmes reportant des violences conjugales sont tout aussi nombreuses que partout ailleurs.
Ne pas juger, mais combattre les violences faites aux femmes partout, tout le temps et encourager toutes les Rani, lajjo et Bijli du Radjasthan, d’Inde et du monde entier à ne pas se laisser cogner dessus et à faire valoir leurs droits. Quoi qu’il en coûte, comme dirait l’autre, quitte à faire cramer la baraque et le mari violent avec ! Ce n’est peut-être pas politiquement correct mais j’assume.
Sources / Notes
(1) La Saison des femmes, film de Leena Yadav, 2015. A voir en VOD sur Arte.tv
https://www.arte.tv/fr/videos/106220-000-A/la-saison-des-femmes/
(2) Dans le monde, ces sociétés où les femmes gouvernent, Laure Dubesset-Chatelain, article publié dans le magazine Géo à l’occasion de la Journée international de la femme, le 8 mars 2022. Petite info complémentaire au passage, toujours livrée par le magazine Géo, le 8 mars 1917, des ouvrières manifestent à Saint-Pétersbourg, Pétrograd à l’époque, pour réclamer du pain et le retour des hommes du front. C’est le premier acte qui conduira à la révolution russe la même année et qui fera dire à Lénine que ce jour sera désormais celui de la célébration des femmes. Les 364 autres étant réservés aux hommes bien entendu. Les mouvements féministes s’emparent de cette date dans les années 70 et l’ONU en fera la Journée internationale de la femme en 1977.
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