# CitizenX

La Vélo francette

27 avril 2024

Par où tout ça a commencé déjà ? En lisant un article sur une balade à vélo allant de Ouistreham dans le Calvados à La Rochelle en Charente-Maritime, 600 kilomètres de pistes, voies et routes en tout genre pour traverser ce quart nord-ouest de la France. Non, non, ce n’est pas ça le début en fait, le début c’est ce fichu beau-frère, enfin c’est pas vraiment mon beau-frère car je ne suis pas marié, disons alors le frère de ma chérie, Vincent, il s’appelle. Avec ses voyages à vélo aux quatre coins du monde, Amérique du Sud, Birmanie, Népal, Hollande, l’autre pays du vélo, et du fromage forcément, sans oublier la… mais bon on va oublier ce point spécifique des Pays-Bas. Bref, tout ça finit par vous donner des idées forcément. Seulement, n’étant pas un puriste de la bicyclette, je ne me voyais pas partir en vélo « musculaire » comme on dit aujourd’hui, pas opposition au vélo électrique, dont je suis un adepte paresseux. A l’opposé, y a les puristes. Les puristes, c’est par exemple les gars à l’atelier vélo à qui tu demandes des conseils et qui te regardent de travers avec leur air narquois, il va faire quoi celui-là, 600 bornes avec un vélo électrique, le rigolo, le bobo, la baltringue en short. Et c’est vrai que je suis une baltringue du vélo, d’ailleurs j’ai commencé mon périple par crever, vous y croyez ? Encore la faute au beau-frère qui m’a conseillé de gonfler mon pneu arrière à 3,2 bars, moi je voulais rester à 2,5. Je lui fais confiance et j’entends mon pneu faire pschiiiiiiiiiiiiii… Putain il commence bien ce voyage ! Je démonte ma roue, la roue arrière pour bien faire, pas la plus simple et j’ai un mal de chien à remettre le pneu en place après avoir remplacé la chambre à air. Sans doute manquais-je de technique. Je replace ma roue. Je la fais rouler sur elle-même et je constate qu’elle gondole grave, pire qu’à Venise. Bon, pas la peine de jouer les faux héros mécanos, je suis une baltringue du vélo c’est acquis, direction l’atelier, comme ça les puristes vont bien se foutre de ma gueule avec ma vélo francette en vélo élec. Résultat, je pars avec 3 heures de retard au départ. Mais je pars, c’est le plus important.

Rassurez-vous, je ne vais pas vous faire mon récit de voyage, pas à pas, étape après étape, perso j’ai horreur que les autres me racontent leurs vacances car je suis jaloux. Ok vas-y garde tes vacances pour toi, ne me raconte pas la fin, ni le début et encore moins le milieu tu veux bien ! Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse. Alors je vais simplement partager avec vous quelques impressions, quelques découvertes et quelques rencontres.

L’impression générale quand on part comme ça seul à vélo, même électrique, c’est la liberté. On a le sentiment d’être une sorte de marin du bitume qui part au long cours, toute notre vie tient dans un sac à dos et deux sacoches accrochées à ce radeau de la méduse qu’est votre vélo. Il y a aussi la nature, à vélo, on peut la voir, la ressentir, la respirer, s’arrêter pour la regarder, un cours d’eau, une forêt, une vue en haut d’une colline ou d’une falaise. Il y a aussi l’histoire qui vous entoure, presque partout, car un voyage à cette petite vitesse n’est pas seulement un voyage dans l’espace, c’est aussi un voyage dans le temps. Une villa dans le style néo-normand à côté d’une usine attire votre attention, un panneau un peu plus loin sur la piste vous explique qu’il y a un siècle et demi, s’agitaient ici des centaines d’ouvriers et des métiers à tisser pour confectionner des pansements. Aujourd’hui, il ne reste que les fantômes du passé et ce panneau, et bien sûr moi qui le lis, alors je pense à Marx dont j’ai attaqué la lecture à cause de Macron, mon conseil à la jeunesse, a-t-il dit un jour, lire Marx. Me considérant encore jeune, je lis donc Marx. Et quand je vois les vestiges d’une usine du XIXème siècle, je pense à lui et à sa lutte des classes, mais j’y reviendrai.

Un peu plus loin sur le chemin, j’arrive à Domfront et j’erre seul sur ce piton rocheux de quelques trois mille habitants. Pas âme qui bouge, là où pourtant l’un des fils de Guillaume le Conquérant avait érigé un château imprenable, si imprenable que c’est le dernier lieu de résistance repris aux Anglais à la fin de la guerre de cent ans. Il s’en est passé des choses ici en dix siècles, il ne se passe plus rien. C’est un peu triste je trouve.

Plus au sud, je découvre la Mayenne, le département et la rivière. Moi qui suis né dans l’Orne et connais assez bien ce département rural, je pensais que la Mayenne c’était un peu pareil, un coin paumé où en dehors des gros agriculteurs qui possèdent des centaines d’hectares et adhèrent à la FNSEA, les gens ont du mal à joindre les deux bouts et ça se voit un peu quand ton voisin en face entasse des carcasses de bagnoles et de caravanes et vient gâcher la beauté du paysage. Eh bien la Mayenne, c’est pas ça du tout comme ça, mais alors pas du tout. La Mayenne, c’est super riche les gars, je ne sais pas si c’est grâce à Lactalis, numéro un mondial du lait tant décrié par les écolos, dont le siège est à Laval, mais en Mayenne, les fermes sont nickel chrome, rien ne dépasse, les stabulations sont en bois foncé, pas en ferraille toute moche, les tracteurs sont bien rangés, les allées tondues, on finirait par douter qu’ils bossent vraiment dans ces pâturages. Mais le pompon, c’est château Gonthier, dans le sud de la Mayenne, entre Laval et Angers, une petite bourgade d’une dizaine de milliers d’habitants. C’est bien simple, la maison standard à Château Gonthier, c’est l’hôtel particulier. Et y en n’a pas quatre ou cinq par-ci par-là, y en a à tous le coins de rue, aussi bien entretenues que les fermes de la campagne, fières et aristocratiques. Je n’ai jamais vu un coin pareil. Il y a un an pile poil, nous étions avec les enfants à Los Angeles – je sais ça fait un peu celui qui se la pète de dire que nous étions à Los Angeles, mais bon que voulez-vous, nous étions à Los Angeles, je ne vais pas dire que nous étions à Argelès pour vous faire plaisir – nous étions donc à Los Angeles, notamment à Bervely Hills et voir ces centaines de villas les unes à côté des autres était impressionnant. Eh bien croyez-le ou pas, les maisons magnifiques, et magnifiquement entretenues de Château Gonthier m’ont encore plus impressionné. J’ai d’ailleurs séjourné dans l’une d’entre-elles qui proposait des chambres d’hôtes, les propriétaires m’ont alors appris que la Mayenne est le département français où il y a le plus de châteaux privés. Vous m’en direz tant, ça ne passe pas inaperçu. Leur maison à eux date du milieu du XIXème siècle et fut rachetée par les grands-parents de madame qui avaient fui le nord de la France avec leur dix enfants pendant la Seconde Guerre mondiale. A l’époque, ce n’était pas rare d’avoir dix ans, aujourd’hui c’est moins courant faut avouer. Résultat, à la dernière cousinade qui s’est tenue ici même, ils étaient 250 !

J’ai laissé Château Gonthier à regret, je tiens de ma mère un certain goût pour les belles choses et les beaux endroits, d’aucuns diront des goûts de luxe, sachez que je les emmerde. D’ailleurs, lorsque plus loin le long de l’eau, la Mayenne était venue se jeter dans la Loire quelques kilomètres plus tôt, je vois un panneau avec écrit « Château, glacier, brocante, vue panoramique », ni une ni deux, j’ai monté la pente et je me suis pris deux boules vanille, je prends des boules vanille depuis que je suis tout gosse, je n’ai pas changé. Je mange ma glace en contemplant la Loire, fleuve nerveux et immense, et je me dis, que c’est beau la France.

Je parlais de rencontres, en voici une autre d’ailleurs. La dame qui tient ce château, glacier, brocante, elle pourrait ajouter gîtes, est une ancienne prof qui s’ennuyait dans son métier, ou peut-être n’avait-elle pas envie de finir zigouillée par un parent d’élève mal luné, a décidé de changer de métier pour se lancer dans la déco avec un certain succès, dont elle ignore la raison dit-elle avec un peu d’espièglerie. Son goût pour la déco et le succès faisant, elle a fait l’acquisition d’un premier château qu’elle a retapé et transformé en lieu de réception et de fêtes. Puis un jour un Islandais fortuné est passé par là, il est tombé sous le charme et lui a demandé si son château était à vendre. Arrivée au bout de cette aventure, elle s’est dit pourquoi pas. Elle a donc vendu pour racheter ce nouveau château qui domine le fleuve des rois de France, un lieu unique qui fut autrefois la propriété d’Elisabeth Amiot, plus connue dans la région sous le nom de Veuve Amiot, qui fit fortune en vendant son vin pétillant, la richesse de cette région viticole, dans le monde entier, bien avant que l’on parle de mondialisation.

La pluie, qui ne s’était pas invitée au voyage jusqu’alors, s’est mise à tomber soudain et je suis arrivé trempé à Saumur. Depuis, je suis scotché dans la cité des Ducs d’Anjou, car comme je le disais en préambule de ce billet, je suis une baltringue du vélo, pas un puriste, et je ne prends aucun plaisir à rouler sous la pluie, surtout quand vous vous faites parfois doubler par des voitures à 80 kms/heure, à la campagne les gens ne sont pas toujours très sensibles aux bobos qui font du vélo.

J’ai fait 350 kilomètres en trois jours et la première partie de mon périple s’arrête là. Une vraie bouffée d’air frais et de liberté cette vélo francette malgré les petites galères du départ. Un voyage dans la géographie et un voyage dans l’histoire, disais-je, celles de ce beau et vieux pays qui le nôtre.

Allez, voici une dernière anecdote insolite pour la route, insolite comme ce couple franco-japonais qui élève des bœufs Wagyu au bord de la Mayenne entre tradition, puisque cette race fut initiée au Japon à la fin du XVIIIème siècle, et modernité avec aujourd’hui la recherche génétique pointue et le commerce mondialisé, quand je vous disais que la Mayenne était riche. Et ce sera le dernier mot de ce billet et de ce voyage à vélo : riche.


Sources / Références

Lavelofrancette.com

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