L’Anomalie
Avez-vous lu L’Anomalie de Hervé Le Tellier, prix Goncourt 2020 (1) ? C’est l’histoire improbable d’un avion de ligne Paris-New York qui se pose deux fois à trois mois d’intervalle, une fois en mars, une autre fois en juin, avec deux fois 243 passagers à son bord, 243 passagers parfaitement identiques, dupliqués, des clones en quelque sorte, sauf que ceux de juin n’ont pas vécu les trois mois entre mars et juin. Il leur manque par conséquent trois mois de leur vie que seuls ceux de mars ont vécu et donc en mesure de raconter à leur double ce qui les attend, ou ce qui les aurait attendu, des événements heureux comme la venue d’un enfant ou tragique comme un cancer du pancréas inopérable, pour le premier comme pour le second, où un suicide. Une histoire alambiquée et perturbante façon The Matrix (2).
Ceux qui ont lu le livre auront compris ce pitch, du moins je l’espère sinon ça veut dire que c’est moi l’anomalie, pour les autres ce n’est pas certain. Bien entendu, on peut parler ici de science fiction dans la mesure où la science, ou les sciences, exactes s’entend, ne sont pas encore parvenues à prouver de manière indiscutable l’existence de mondes parallèles bien que certains y consacrent tout leur génie et leur énergie, notamment les spécialistes de la physique quantique. Je ne suis pas métaphysicien mais je suis un des rares je pense à avoir lu L’anomalie dans le cadre d’une boucle temporelle. Je m’explique.
J’ai commencé le livre lors de mes vacances d’été l’année dernière. Le récit était extrêmement captivant et j’avais hâte d’arriver à la fin pour avoir une explication du phénomène, même totalement imaginaire ou purement littéraire. J’étais tellement accroché au bouquin que je l’avais avec moi dans l’avion du retour et l’ai déposé dans le panier du trolley sur lequel j’avais ma valise et celles de toute la famille. Dans la précipitation du retour… – vous imaginez sans doute la suite – j’oublie ce fichu roman à l’aéroport, god dam it !!! Vous me direz, il me suffisait d’aller en racheter un dans la première librairie venue et l’histoire était bouclée. Seulement, vous savez comment sont les retours de vacances, on repart vite dans ses habitudes et cela m’est sorti de la tête… Jusqu’à ce que je reprenne le même avion dans l’autre sens et qu’en déambulant dans un Relay – j’ai déjà eu l’occasion de dire mon goût des librairies de gare ou d’aéroport – je me retrouve de nouveau face à cette anomalie, au format poche cette fois. Ma boucle temporelle allait enfin être bouclée et j’aurai lu l’Anomalie entre deux vols, tout comme l’auteur lui même ou son personnage (Victor Miesel) dans le livre. J’adorerais savoir ce que penserait Hervé Le Tellier de mon histoire. Et aussi de cette autre histoire qui m’est arrivée à Noël dernier.
J’avais évoqué dans un précédent billet sur la physique quantique le chat de Schrödinger, un chat théorique, mais pas un chat de laboratoire, à la fois vivant et mort, prouvant toujours de manière théorique la possible existence de mondes parallèles complètement distincts, parallèles mais étanches les uns des autres. A Noël, notre chat, un vrai chat cette fois, fait de chair, d’os et de beaucoup de poils, fut pris de sortes de vertiges, s’écroulant même à quelques pattes de sa gamelle. Je suis rappelé en urgence par ma femme complètement affolée, j’étais allé souhaité mes voeux à mes chers parents. De retour à la maison, je constate en effet que le matou n’est pas en très bon état malgré ses trois et quelques années. Ni une ni deux je l’embarque chez le véto d’urgence du coin qui après une analyse de sang et quelques examens rapides revient la mine défaite, le regard fuyant, pour m’annoncer qu’il est mourant, plus une goutte de globules rouges dans son sang. Joyeux Noël ! me dis-je, avec un enthousiasme relatif et surtout beaucoup d’humour, noir évidemment. Une possibilité néanmoins, me dit-il, lui faire une transfusion et voir comment ça évolue dans les prochains jours. Bien sûr cette transfusion et ces quelques jours allaient me coûter un bras et peut-être bien les yeux de la tête (drôle d’expression au passage, a-t-on des yeux ailleurs que sur la tête) mais en ce qui me concerne, qu’importe le coût, quoiqu’il en coûte comme dirait Macron, s’il y a ne serait-ce qu’une toute petite chance, un tout petit globule, de le sauver, je la tente en croisant les pattes.
En revenant chez moi seul, j’ai repensé à cette histoire de chat de Schrödinger à la con, si seulement le mien pouvait passer de ce monde parallèle où il est pratiquement mort à un autre où il serait vivant, je serais prêt à croire à la physique quantique, au Metaverse (3) et à tout ce que vous voulez.
Quelques jours après, je récupérais un chat pétant la forme et prêt pour de nouvelles aventures félines. J’ai demandé au véto s’il avait déjà vu un chat sans globules rouges survivre. Jamais, m’a-t-il répondu ! Depuis, nous avons renommé ce chat Schrödinger. Avant il s’appelait Misti, moi je suis devenu mystique.
Pour revenir sur L’anomalie, je ne vais pas vous révéler la fin de l’histoire, cela ne se fait pas, les Anglosaxons appellent cela « spoiler », les Québécois, ardents défenseurs de la langue française, disent « divulgâcher », néologisme alliant divulguer et gâcher. Je ne vais donc ni vous divulguer la fin ni vous gâcher le plaisir de lire ce livre original, je me contenterais de constater la somme de commentaires qu’il a suscités sur les réseaux sociaux, son auteur ayant un goût prononcé pour les énigmes. Mais au delà du mystère caché derrière ce livre, la question qui est posée est la même que celle que la plupart des humains se posent depuis la nuit des temps. Qu’y a-t-il derrière le décor de notre vie ? Sommes-nous de simples Guignols dont une force inconnue tire les ficelles et nous articule. Tout ceci n’est-il qu’une mise en scène, un scénario écrit à l’avance par on ne sait qui on ne sait quoi, aujourd’hui on parle volontiers de programme, de données ou d’algorithmes là où la place était précédemment occupée par des dieux et autres croyances quelconques. Il est certain que nous rencontrons tous un jour ou l’autre des concours de circonstances, des hasards étonnants et n’en comprenons pas le sens, si sens il y a d’ailleurs. Des trucs tout bêtes par exemple, il m’est arrivé parfois de dire un mot dans la voiture, mot repris dans la seconde, tel un écho par un animateur radio à l’autre bout des ondes. Comment est-ce possible, me suis-je dit, que deux personnes complètement différentes prononcent le même mot au même moment dans deux lieux distincts réunis en un seul par la magie de la radiophonie ? Ou une autre fois où j’ai retrouvé un ami à Paris alors que nous ne nous étions pas donnés de lieu de rencontre précis et nous nous sommes retrouvés au coin d’une rue d’un quartier où nous n’étions pas censés aller à la base et ce dans une ville de plusieurs millions d’habitants. Nous nous sommes croisés à la seconde près, au même endroit. Quelles sont les chances, statistiquement, que pareils phénomènes arrivent ? Une chance sur un million, dix millions, cent millions ? Et pourtant cela arrive. Cela n’a aucune incidence sur la marche du monde bien entendu, même si des exemples comme cela, il y en a sans doute des milliards, autant que d’individus et de vies sur cette terre. Qu’est-ce que cela signifie ? Rien probablement.
M is j’ai era s qu nd m m s voir…
Sources / Notes
(1) L’Anomalie, Hervé Le Tellier, ed. Galimard, 2020.
(2) The Matrix, film de Les Wachowski, 1999
(3) Le métavers, metaverse en anglais, contraction de meta (au delà en grec) et universe. Le metavers, c’est le monde virtuel, internet pour ne pas le nommer et en particulier les réseaux sociaux et les jeux vidéo en réseau, dans lequel de plus en plus de gens, en particuliers les jeunes générations, passent leur vie. Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook et propriétaire également des applications Whatsapp et Instagram a d’ailleurs décidé de rebaptiser son groupe Meta, en référence au metaverse justement.
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