# MetaphysiX

Nikita’s

8 juillet 2022

Poursuivons avec le quantique en mode estival, juste le temps d’un petit billet. Avez-vous déjà joué au jeu du Marabout avec vos enfants ? Ce jeu qui consiste à enchaîner des mots qui n’ont rien à voir les uns avec les autres mais dont la dernière syllabe vous permet de trouver le suivant : Marabout, bout de ficelle, selle de cheval, cheval de course… etc etc. Ou cet autre jeu dans les cahiers de vacances des tout petits consistant à relier des points entre eux comme vous le feriez en regardant le ciel étoilé pour identifier telle ou telle constellation : Grande Ourse, Cassiopée, Orion, Centaure… toutes ces étoiles qui mises ensemble forment une figure, un dessin sur la Voie lactée, des points scintillants bien mystérieux pour les petits humains que nous sommes et qui confirment la théorie selon laquelle quelque chose peut être à la fois vivant et mort, puisque certaines étoiles que nous regardons n’existent déjà plus, nous les voyons uniquement le temps que la lumière fasse son chemin, fascinant non ? Vous avez forcément joué à l’un de ces jeux.

Vous pouvez pareillement vous amuser à relier les évènements de votre vie, petits ou grands, significatifs ou totalement insignifiants, leur trouver des points communs, des liens, le tout formant une carte dont vous ignorez le sens mais vous y distinguez vous en tout cas des concours de circonstance amusants à observer, impossibles à déchiffrer, si tant est qu’il y est quelque chose à comprendre. Essayez vous verrez, prêtez attention.

Moi par exemple, qui suis fan des premiers films de Luc Besson, tous les étés depuis une dizaine d’années, je me rends sur une petite île grecque des Cyclades dénommée Koufonisia et chaque après-midi, je vais au Nikita’s café, je commande un café frappé, milk and sugar, et Nikita me broie systématiquement de deltoïde entre son pouce et son index en signe de sympathie. Nikita est donc le patron de ce café, un type improbable qui semble avoir été construit avec ce lieu, la bonne cinquantaine, ancien DJ, le teint cireux, enchaînant cigarette sur cigarette tout en surveillant les clients qui arrivent ou repartent et aussi le chat qui dort de chaise en chaise et qui s’appelle : Le chat ! Lunettes de soleil vissées sur le nez du matin au soir, il veille à ce que ses invités soient bien reçus et que la musique ne marque aucune pause, des intemporels du rock et beaucoup de jazz aussi. Quand vous entrez au Nikita’s, le temps s’arrête, la musique vous embrasse et vos yeux sont inévitablement attirés par l’eau bleue, les bateaux des pêcheurs, parfois un yacht s’incruste dans ce tableau méditerranéen et en face, l’île de Keros où il y a quelques millénaires des philosophes grecs se livraient peut-être au même exercice de contemplation en savourant un ouzo, va savoir ! 

Mais quand je prononce ce nom d’origine russe, Nikita, je pense forcément à Besson et son film éponyme sorti en 1990 avec Anne Parillaud, Jean-Hugues Anglade et Jean Réno dans les rôles principaux, un film culte. Ce qui est drôle, et c’est là que le jeu du Marabout commence véritablement, c’est qu’à quelques encablures à l’ouest de Keros, on trouve Amorgos, une île montagneuse tout en longueur où fut tournée la première scène du film Le Grand Bleu lorsque Enzo, interprété par Jean Réno, est appelé à la rescousse d’un plongeur américain coincé dans une épave. Cela ne doit rien au hasard quand on creuse un peu car avant de devenir le cinéaste qu’on connaît, Luc Besson fut moniteur de plongée au Club Med en Grèce, une expérience qui lui inspira Le Grand Bleu. Marabout

Grand Bleu, Big Blue en anglais, c’est aussi le nom d’une exposition de street art qui a eu lieu en juin cette année sur Koufonisia, un art auquel je suis particulièrement attaché comme vous le savez si vous avez lu mes précédents billets et 2022 fut d’ailleurs une année riche pour moi de ce point de vue car j’y ai animé un club pour des collégiens. Je doute que le collectif d’artistes grecs à l’origine de cette initiative ait eu en tête le film de Luc Besson en choisissant ce nom mais cela est amusant à relever. Bout de ficelle.

Continuons, en bas du café de Nikita, on trouve une boîte à livres où on peut prendre des livres lus par d’autres et laisser les siens, des bouteilles à la mer littéraires, libre à chacun d’y ajouter un petit mot ou pas. Cette année, j’y ai trouvé Le jour des cendres (1), le dernier roman de Jean-Christophe Grangé, un thriller au sein d’une communauté religieuse marginale alsacienne, un récit haletant entre Le Nom de la rose et Da Vinci code. Mais Grangé est surtout connu pour un polar en particulier, Les rivières pourpres (2), qui sera porté à l’écran en 2000 par Mathieu Kassovitz, avec pour acteur principal : Jean Réno ! Ce qui nous renvoie une fois de plus à Luc Besson puisque Réno fut propulsé en haut de l’affiche par Besson, d’abord dans Le Grand Bleu bien sûr, puis ensuite dans Nikita mais surtout dans Léon (3). Savez-vous d’ailleurs comment ces deux-là se sont rencontrés ? Non ? Eh bien, ils devaient avoir à peine vingt ans et sont arrivés en retard en même temps à une audition pour jouer dans un film. Les portes étaient fermées. Qu’à cela ne tienne fit l’un des deux, je ne sais pas lequel, il proposa à l’autre de lui faire la courte échelle pour passer par une fenêtre restée ouverte, ou peut-être ont-ils cassé un carreau, à charge pour le premier entré de revenir ouvrir la porte au second. Voilà comment les deux comparses ont fait une entrée fracassante dans ce monde fermé à double tour du cinéma. J’adore ce genre d’histoires ! J’ignore si elle est vraie mais je l’ai lue quelque part et comme elle me plaît, je la propage. Selle de cheval.

Le soir, je vais souvent à l’hôtel Koufonisia, le bien nommé, pour boire quelques verres et discuter avec mon ami Panaiotis qui est accessoirement le barman de l’hôtel, même si lui préfère dire « Manager », en tout cas, barman ou manager, c’est pratique quand on veut boire des coups par cher. Un soir, il me regarde fixement et me dis, tu me fais penser à cet acteur français. La chute de mon histoire serait trop évidente s’il s’agissait de Jean Réno, n’est-ce pas, d’autant que je ne ressemble pas du tout à Jean Réno, mais comme je ne ressemble pas non plus à l’acteur auquel je lui faisais penser, tout est possible. D’ailleurs, petite parenthèse rapide, cette anecdote me fait penser à une autre histoire. Une fois, à Paris, j’étais assis à côté d’un clochard dans le métro et le type me fait la même que Panaiotis. Il me dévisage et me dis, tu me fais penser à cet acteur, qu’il me dit. Cet acteur canadien, enchaîne-t-il. Je voyais à qui il faisait référence, il ne s’agissait pas d’un acteur, mais d’un chanteur. Sadique comme je suis, je ne lui donnais pas la réponse. Le gars s’entêtait pourtant. Au bout d’une dizaine de minutes, le gars bondit. Ahrrrr j’ai trouvé !, fit-il, Ricky Martin !!! Autant dire que je ressemble à tout le monde, Rock Voisine, Ricky Martin, Jean Réno et… ta ta ta roulement de tambour, Christophe Lambert ! Enfin, d’après Panaiotis. Et pour moi, Christophe Lambert, c’est surtout Subway et donc Besson. A moins que ce ne soit pour son rôle dans Greystoke et qu’il me prenne pour un sauvage élevé par des singes. C’est possible aussi remarquez, en ce moment j’ai les cheveux longs. Espérons que je ne vais pas choper la variole !

Marabout bout bout, bout de ficelle, bout de ficelle…


Sources / Notes

(1) Le jour des cendres, Jean-Christophe Grangé, Albin Michel, 2020.

(2) Les rivières pourpres, Jean-Christophe Grangé, Albin Michel, 1997. Porté à l’écran par Mathieu Kassovitz en 2000.

(3) Léon, film de Luc Besson, 1994

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