# PhilosophiX

Le bonheur

25 juillet 2023

Le sujet est ce qu’on appelle un marronnier dans la presse, et pour moi aussi, c’est à dire une thématique qui revient tous les ans à la même époque, telle la minceur dans les magazines féminins avant l’été et la vie au travail après, ou les marrons en automne. Côté philo, un des sujets préférés des penseurs modernes, qu’ils soient citoyens ayant du temps à perdre, écrivains ou profs, notamment lorsqu’il s’agit de faire réfléchir les futurs bacheliers, est de savoir ce qui fait le bonheur. François Ruffin, mon souffre-douleur insoumis préféré, s’était lui-même posé la question au travers d’un ouvrage intitulé Il est où le bonheur ? (1) et je lui avais répondu quelques années après avec Épicure que celui-ci était peut-être dans le jardin (2).

C’est cette fois au tour d’André Comte-Sponville, philosophe grand public qui publie une chronique hebdomadaire dans le magazine Challenges (3), qui appartient à Bernard Arnaud, le copain de Ruffin. ACS est aussi l’ancien acolyte de l’ancien ministre de l’éducation nationale Luc Ferry, un ministre aussi éphémère et inutile que Pape N’Diaye, de s’y coller. Il a cependant la délicatesse, contrairement à la quasi intégralité de ses collègues philosophes, de tenir un discours simple, peut-être parce qu’il écrit ici dans un magazine économique et non dans une revue pointue pour initiés amateurs de jus de cervelle, une sorte de club d’encyclopédistes où l’on balance des références tous les trois mots, ce qui rend la discipline incompréhensible au plus grand nombre, après tout peut-être est-ce l’objectif, réserver la philosophie aux sachants, comme la bible avant sa traduction. Mais ceci est un autre sujet de philo, la philo est-elle réservée aux seuls philosophes ?

Sur la question du bonheur, André Comte-Sponville nous parle du paradoxe du bonheur, à savoir que le sentiment de bonheur moyen d’une population n’augmente pas avec le PIB, c’est-à-dire la richesse produite par un pays. Ce n’est pas moi qui le dis, ni le philosophe, c’est ce que les études de l’économiste américain Easterlin ont prouvé. Ce n’est pas parce que les gens sont plus riches qu’ils se déclarent plus heureux pour autant. La même étude montre néanmoins que les riches se déclarent en moyenne plus heureux que les pauvres. Je dis riches et pauvres pour simplifier, il est évident qu’en philosophie ou en sociologie, on n’utilise pas des concepts aussi simplistes. Vous me ferez remarquer qu’il existe un vieil adage qui dit que l’argent ne fait pas le bonheur mais il y contribue. Je vous répondrais que vous avez parfaitement raison, ce qui est intéressant cependant c’est de se demander en quoi il y contribue, dans le sens où ce n’est pas juste le fait d’avoir quelques millions sur votre compte en banque ou en patrimoine immobilier qui suffira à vous rendre heureux, ou alors peut-être à court terme, mais certainement pas à moyen et long terme. 

C’est là que le philosophe peut nous aider. Il suggère que le bonheur n’est ni dans l’avoir, quelle que soit le montant de l’avoir en question, ni dans l’être, contrairement à ce qu’essaient de nous faire croire des gourous et manipulateurs en tous genres, mais dans le faire, c’est-à-dire dans l’action. Nous sommes heureux de manière durable et solide lorsque nous pouvons mener à bien des projets personnels ou collectifs, et ce peu importe leur ambition. Il peut s’agir de cultiver son jardin, refaire une maison, écrire un roman, créer une entreprise ou entraîner une équipe de cyclisme, je prends cet exemple car chaque été est comme vous le savez le grand moment du Tour de France, et de l’emmener au sommet. Il y a donc mille manières d’être heureux, le tout étant de faire quelque chose de son temps et de sa vie, si courte soit-elle, et ne pas se contenter d’avoir ou d’être. En cela l’argent est utile car il ouvre le champ des possibles en matière d’action. Sans argent, je peux faire des choses mais forcément je me trouve vite limité. Avec un peu plus d’argent, je peux faire plus. Avec beaucoup d’argent, je peux faire beaucoup plus. C’est pourquoi le paradoxe d’Easterlin n’en est pas un. L’argent ne fait pas le bonheur mais il y contribue car il donne la liberté de faire, encore faut-il en faire quelque chose d’intéressant et de sensé, car si c’est pour faire des conneries avec, ce que certains héritiers ne manquent pas de faire, il n’est pas certain que le bonheur soit au bout du chemin.

A bien y regarder, on s’aperçoit que le bonheur est une notion plus complexe qu’il n’y paraît, un savant mélange d’être, d’avoir, de faire donc, j’ajouterai de savoir-faire et de faire savoir. Car on peut apprendre à être heureux, s’apprendre à soi et aussi apprendre aux autres, d’où le rôle de l’éducation et de l’enfance dans la capacité des uns et des autres à être heureux. Quand on est parent, on souhaite tout le bonheur du monde à ses enfants et parfois on en fait trop. Cependant, être trop gâté dans son enfance, surtout si c’est sans aucune contrepartie, peut se révéler être un handicap majeur au bonheur pour ces enfants devenus adultes. Cela est vrai individuellement et collectivement. Ici en France par exemple, nous avons objectivement tout pour être heureux et pourtant on a l’impression que les gens ne le sont pas, qu’ils ne sont jamais contents. Sommes-nous devenus un pays d’enfants trop gâtés ? C’est bien possible.

En tout cas, personnellement, je ne pense pas que le bonheur soit ailleurs. Je pense qu’il est ici et maintenant, hic et nunc, dirais-je pour faire le malin, à chacun de se bouger les fesses pour le trouver.

Et vous, c’est quoi le bonheur pour vous ?


Références / Sources

(1) Il est où le bonheur ? François Ruffin, Les liens qui libèrent, 2019.

(2) Le bonheur est dans le jardin, Citizen X saison, 3 juillet 2021.

(3) Et si le bonheur était ailleurs que dans l’être ou l’avoir, André Comte-Sponville, Challenges n°794, p. 41, 6 juillet 2023.

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