# CitizenX

Les chemins noirs

3 septembre 2023

J’ai parfois l’impression de vivre dans un monde de fous. Pas vous ? Je ne dis pas ça parce que les filles des voisins passent leur temps à tourner en rond dans leur trampoline telles des hamsters à deux pattes. Non, ce n’est pas ça. C’est en fait que tout va tellement vite. Un processeur pas plus gros qu’une tête d’allumette calcule cent fois, mille fois plus vite, sans doute davantage encore, que les premiers calculateurs qui remplissaient des pièces entière et pesaient des tonnes. La science a fait de tels progrès en quelques dizaines d’années, qu’il est difficile d’en prendre réellement la mesure. Un peu comme dans Star Wars, lorsque l’on décide d’enclencher les turbos, de passer à la vitesse de la lumière, en une fraction de seconde, le vaisseau disparaît, laissant derrière lui quelques raies de lumières dans cette immensité noire de l’espace. Résultat de ce bon technologique, un message met moins d’une seconde à arriver au bout de la terre via internet quand une lettre traditionnelle, papier, enveloppe et timbre, mettait des semaines il y a peu encore. Car on ne parle d’il y a plusieurs siècles, on parle de la fin du XXème siècle, c’est à dire il y a un peu plus de vingt ans, seulement. Et cette vitesse devrait encore accélérer de manière prodigieuse grâce au calcul quantique, une puissance si phénoménale dit-on, qu’on pourra déchiffrer n’importe quel mot de passe en quelques secondes, de quoi affoler tout ce que notre planète compte d’experts en sécurité informatique. De quoi en tout cas y perdre la boule non ? Il y a pourtant un remède à cette frénésie, et c’est Sylvain Tesson qui me la donnée.

Pour ceux qui ne le connaissent pas, Sylvain Tesson, fils de l’éditeur Philippe Tesson, est un écrivain aventurier qui a donc passé sa vie à écrire, avec ses mains, et à voyager, avec ses pieds. Il a parcouru à pied le monde entier, avec une prédilection pour les vastes horizons de l’est, Russie, Mongolie, Asie. Sylvain était aussi un adepte émérite de l’escalade et un alcoolique mondain, amateur de cigares et de vodka. J’utilise le passé en effet. Non pas que Sylvain soit mort, encore que l’on peut considérer sans le connaître personnellement qu’une partie de lui est morte ce jour-là. Ce jour où lui est venue l’idée folle de passer voir son éditeur en passant par la façade l’hôtel, qu’il glissa et se ramassa huit mètres plus bas. En morceau l’écrivain, l’inverse de One Piece, pour les amateurs de mangas. Vous avez eu de la chance, lui a-t-on dit. A quelques millimètres près, votre colonne vertébrale était sectionnée et vous ne seriez pas là sur ce lit d’hôpital avec des broches plantées un peu partout dans le corps, éparpillé façon puzzle – Audiard, sors de mon corps ! Le chirurgien qui l’a opéré lui a dit, si tout se passe bien, dans un an vous pourrez remarcher. Sylvain lui a répondu, dans un an, je traverse la France à pied par les chemins noirs. Et un an plus tard, il traversait effectivement la France d’est en ouest et en diagonale, du Mercantour à la pointe de Jobourg, de l’arrière pays niçois au Cotentin, à pied et le corps cabossé. En lisant le récit qu’il en a fait (1), j’ai pris une claque. Je me suis dit, si quelqu’un peut marcher aussi longtemps (80 jours) dans de telles conditions, je n’ai aucune excuse pour ne pas marcher moi aussi, au lieu de rester le cul vissé sur ma chaise à écrire des billets sans intérêt. Et puis le fait qu’il finisse son périple par le Cotentin, tout près de chez moi, était en soi une incitation au voyage. Alors avec ma chérie – je dis chérie car nous ne sommes pas mariés, nous sommes certes pacsés mais l’expression n’est pas jolie, mon amour serait un peu nian nian, ma partenaire un peu business, va pour chérie, comme les chocolats Ferrero avec une cerise dedans – nous avons décidé de faire le tour du Cotentin à pied, de Carentan à Port Bail, en passant par Utah, Saint-Vaast, Barfleur, Cherbourg, La Hague et Barneville-Carteret, tout un programme, une petite semaine de marche, que nous découperons en plusieurs étapes.

C’est incroyable l’effet que cela fait de marcher, au lieu de courir sans arrêt. Un retour à une vitesse normale, humaine, qui permet d’avoir le temps, le temps de contempler le paysage. Vous apercevez un cloché au loin, il paraît assez proche et vous mettez deux heures pour y parvenir. Entre temps, vous vous serez arrêté pour ramasser des mûres ou des noisettes, votre regard se sera perdu sur l’horizon, réfléchir, respirer, écouter son rythme cardiaque, son corps, en corps une fois, se faire doucher par la pluie car vous avez eu la mauvaise idée, ou la bonne qui sait, d’oublier votre Kway, cette vieille marque d’imperméable ringarde qu’on avait tous quand on était gamins, que Dany Boon portait pour son premier spectacle et qu’une boîte italienne a racheté il y a quelques années pour en faire à présent une marque fashion, le vieux Kway pourri valant dorénavant près de 100 euros. Le monde est fou, disais-je en préambule. Mais revenons à la marche à pied, sous la pluie c’est encore meilleur, faire corps avec les éléments, c’est enivrant, même si ça caille un peu, les étés en Normandie ressemblant à présent à des automnes, et on nous parle de réchauffement climatique ! Si cela se sait, le monde entier va débarquer ici, pour la deuxième fois en moins d’un siècle. La marche à pied, l’antidote à la folie du monde moderne, voilà ce que nous avons découvert, le temps de quelques bivouacs.

Sur les chemins noirs a été porté à l’écran par Denis Imbert (2). Si Ludo, le personnage interprété par Jean Dujardin n’était pas mort suite à son accident de scooter dans Les petits mouchoirs, qu’aurait-il fait de sa vie ensuite ? Il serait peut-être parti traverser la France à pied, du Mercantour au Nez de Jobourg, avec un petit détour par le bassin d’Arcachon pour déguster quelques huitres chez son ami Jean-Louis.

Alors, je vous le dis mes amis, mettez-vous en marche ! (3)


(1) Sur les chemins noirs, Sylvain Tesson, Galimard, 2019

(2) Sur les chemins noirs, film de Denis Imbert, 2023

(3) Toute ressemblance avec un parti politique actuel ou passé n’est que fortuite.

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