# PolitiX

Les grandes espérances

30 mars 2023

Introduction des Cahiers d’Espérance, document central et fondateur de la campagne présidentielle 2006/2007 de Ségolène Royal, Désir d’Avenir.

« Vous tenez entre vos mains – ou vous lisez sur votre écran – les Cahiers d’espérance, résultats d’un an de travail d’écoute et de recueil participatif de la parole des citoyens. Cahiers d’espérance et non de doléances car, au-delà des constats sévères, des dénonciations poignantes, de la colère et du sentiment d’urgence qui s’y expriment, ce sont surtout les idées nouvelles, les expérimentations réussies, les propositions astucieuses, qui frappent à la lecture des synthèses des débats participatifs engagés par le parti socialiste et Désirs d’avenir depuis un an.

Ces cahiers étaient un temps nécessaire de la campagne. Leur rédaction collaborative a été un travail considérable, qui nous a tous changé –l’équipe de campagne comme tous ceux qui ont contribué, participé, lu ces textes. Le résultat est plus qu’à la hauteur de nos attentes : première mondiale dans son ambition, mais aussi dans sa qualité, il démontre l’efficacité de la méthode participative tant pour améliorer nos propositions que pour renouer le contact avec ceux qui doutent de la politique, qui ont fini par oublier la promesse de la Démocratie : chaque voix compte, non seulement dans les urnes, mais aussi dans la conception de l’action publique.

Pourquoi une campagne participative ?

La politique française se distingue, parmi les démocraties, par une conception du pouvoir entachée d’archaïsme. Les institutions de la Ve République organisent la stabilité du pouvoir plus qu’elles ne lui fournissent les voies d’un dialogue harmonieux avec la société. Le mythe de l’Homme providentiel, qui nous sauverait tous sans qu’aucun effort ne soit demandé à chacun, reste l’aune à laquelle on veut juger des candidats et des gouvernants. La crédulité des électeurs, organisée par l’habitude de ne jamais donner les clefs des politiques menées, de ne jamais dévoiler ni les incertitudes ni la génétique des décisions prises, se satisfait de solutions simplistes et de boucs émissaires.

Cette abdication du pouvoir citoyen, remis entre les mains d’un seul sur la base de la générosité de ses promesses ou de la force de sa rhétorique, a conduit à multiplier les simplifications, et parfois les mensonges, induisant les déceptions qui nourrissent aujourd’hui l’abstention et le vote pour les extrêmes.

Il n’y a là nulle fatalité, mais simplement le souhait des puissants du jour. Notre pays accuse dans le renouveau du dialogue citoyen et de l’élaboration démocratique un retard par rapport à ses voisins européens – Allemagne, Grande-Bretagne, Suède, etc. – mais aussi vis-à-vis de pays émergents comme le Brésil qui voient dans les nouvelles formes de débat politique le moyen de ne pas reproduire, dans leur développement, les injustices du passé. Les institutions nationales sont également en retard sur les collectivités territoriales, mairies, départements, régions, qui sont nombreuses à avoir ouvert de nouveaux espaces de discussion citoyenne.

La soif de participation et de politique est pourtant forte dans notre pays, où elle se nourrit de l’élévation du niveau de connaissances, de la disponibilité de nouveaux outils de communication comme Internet et de la prise de conscience croissante de l’absolue nécessité d’améliorer notre modèle social. Mais les politiques n’ont pas voulu le voir, ne comprenant pas que seule la co-conception des politiques avec les citoyens permettrait de sortir de l’immobilisme auquel condamne la défiance – comme l’a montré par exemple le résultat du référendum de 2005, le « non » n’arrivant pas plus à construire que le « oui » n’avait su convaincre.

La démocratie participative n’est pas une idée neuve – Aristote, à sa manière, en parlait –, mais c’est une pratique nouvelle dans notre pays. Et qui dit nouveauté dit caricature. J’ai dit, et je répète, que les citoyens sont les meilleurs experts de ce qu’ils vivent. On a voulu y voir une défiance vis-à-vis des experts. La vérité, c’est que tous les citoyens sont des experts, et que tous les experts sont des citoyens. La démocratie participative, c’est le dialogue politique entre citoyens, éclairé par les contributions d’experts, débouchant sur des positions politiques. Et de fait, les débats de la phase d’écoute de notre campagne, qui fournissent la matière de ces Cahiers, ont bien souvent commencés par des interventions d’universitaires et de militants associatifs, par des comptes-rendus de livres, etc. Plus souvent encore, et cela fait partie de ce qui était demandé aux organisateurs, Ils ont débouché sur un travail collectif d’approfondissement d’une question ou d’une proposition, en allant se confronter à des textes, à des professionnels, etc.

Tels étaient nos objectifs. Permettre aux politiques de prendre la mesure de l’insatisfaction, de l’inquiétude, de la colère des citoyens, mais aussi de leurs initiatives, de leurs propositions, pour s’en faire les porte-parole ; permettre aux citoyens de « rentrer en politique », de ne plus tenir dans l’indifférence, mépris, l’incompréhension ou le mépris les choix politiques qui nous engagent tous. C’est ce à quoi je m’étais engagée, au-delà de la défense du projet des socialistes, en acceptant d’être notre candidate à la présidence de la République. C’est ce à quoi nous répondons aujourd’hui. 

Comment ont été rédigés les cahiers d’espérance ?

Il n’est pas de précédent aussi vaste de co-conception d’un projet politique avec les citoyens. Si nous avons pu nous inspirer des nombreux exemples étrangers et locaux (notamment dans la région que je préside), il a donc fallu résoudre des problèmes nouveaux, à commencer par celui du volume de la consultation. Pour cela, nous avons mis en œuvre depuis un an deux techniques principales : les débats participatifs locaux, et les forums sur Internet.

C’est sur Internet que les choses ont commencé, avec l’ouverture du site Désirs d’avenir en février 2006. 50 débats sur tous les principaux thèmes de la vie politique, ont attirés 2,7 millions de visiteurs, qui ont rédigé plus de 135 000 contributions. A raison de 9 minutes par visite en moyenne, la somme de réflexion collective est supérieure à celle que produirait en trois siècles un aréopage d’une dizaine de conseillers. 70 « mod’s » (pour modérateurs-synthétiseurs) ont été nécessaires pour lire ces contributions et animer ces forums. 

Dès le départ, nous avons voulu également susciter des rencontres locales, Internet ne pouvant s’y substituer. Avec l’accélération de ces dernières semaines, 6 500 débats locaux ont été organisés à travers toute la France, métropolitaine, DOM et TOM, ainsi qu’à l’étranger, rassemblant plus de 700 000 personnes. Un référent – parfois plusieurs – était systématiquement chargé de rendre compte des discussions, et plus de 4000 comptes-rendus et synthèses thématiques départementales nous sont ainsi parvenus.

De nombreux autres lieux de débat ont enrichi ces deux « lignées » principales : en ligne, avec plus de vingt blogs thématiques, consacrés aux seniors, à l’éducation, au développement durable, à l’intégration et à la diversité ou à l’éthique, mais aussi sur tout le territoire, des sections du parti socialiste et des autres partis qui me soutiennent aux associations citoyennes, aux syndicats qui ont accepté de jouer le jeu de la participation en passant par les « Cafés Ségolène » ou même des randonnées-débats.

Le dispositif de suivi et de synthèse, mis en place dès l’origine, n’a cessé de croître et de se structurer pour parvenir à ces Cahiers. Les synthèses quotidiennes des débats en ligne, qui sont transmis à toute l’équipe de campagne, ont fourni les premières « pépites ». Les synthèses d’étapes, qui citent toujours les contributions les plus marquantes, m’ont permis de formuler ce que je retiens de chaque débat thématique. Cette synthèse est d’ailleurs elle-même participative, car les contributeurs sont appelés à repérer, au sein des contributions, celles qui retiennent leur intérêt et à le signaler aux synthétiseurs à travers un système de notation. Pour les débats locaux également, un outil de recueil des synthèses a été mis en place sur Internet, permettant d’assembler dans un temps record l’ensemble des documents à synthétiser.

Les textes qui composent ces cahiers sont donc extraordinairement riches, et respectent rigoureusement les contributions de chacun. Pour autant, une synthèse n’est pas un résumé : c’est un acte politique que de mettre en cohérence les contributions, et de dégager les grandes alternatives entre lesquelles il s’agit de trancher. Et c’est là aussi une caricature grossière que de croire qu’il n’y aurait plus de place pour les politiques, pour les représentants, dans ce dispositif. Au contraire, j’ai eu à chaque étape à assumer mes responsabilités : celles d’engager les débats, d’en choisir les thèmes, d’en formuler les attendus en cohérence avec le projet du parti socialiste, d’affirmer les valeurs qui fondent notre combat – de l’ordre juste à l’excellence environnementale, en passant par la République du respect ; en aval des cahiers, il me revient de choisir entre les stratégies, et bien sûr de porter au nom de tous les propositions qui en découlent. A chaque étape de la campagne, j’ai utilisé les débats pour préciser, améliorer, amender mes propositions et, réciproquement, les contributions n’ont jamais été aussi nombreuses que sur les sujets que j’avais moi-même ouverts. Le dialogue entre nous est déjà nourri.

Enfin, on aurait tort de ne voir que des textes et des idées dans ce travail collectif. Les débats participatifs, cela a d’abord été une affaires de femmes et d’hommes, de militants, de sympathisants ou simplement de citoyens, proches de la politique ou très éloignés et qui s’en sont rapprochés, retissant le lien démocratique au sein du pays. Cette force-là est la plus importante. Selon les détracteurs même de ma méthode, plus de 22% de la population française ont déjà été touchés par l’organisation des débats participatifs (sondage LH2, 2-3 février), soit plus de 14 millions de personnes… Qui dit mieux ?

Et avec quels résultats ?

Le premier résultat, ce sont ces Cahiers, qui nourrissent mon programme, le complètent, lui donnent tout son sens. Cet acquis nous servira tout au long des semaines de la campagne, c’est un réservoir inépuisable de situations, d’analyses, d’expériences, qui rendent plus concrètes, plus vivantes, plus crédibles, nos propositions pour la France.

Le deuxième résultat est certes moins palpable, mais il est essentiel. Ce travail a été un formidable dispositif de formation de l’ensemble des participants à la campagne, à travers leur exposition aux idées et aux émotions de ceux qu’ils veulent représenter et servir. Les milliers d’heures à modérer et synthétiser, à lire les synthèses, à écouter les participants et à interagir avec eux, ont modifié, affiné leur regard et leur position, leur ont donné une énergie nouvelle et une conviction affermie. Entre vous et moi, c’est à présent une histoire personnelle. 

Car il y a eu beaucoup d’émotion, aussi, dans ces débats. On ne peut se passer d’émotion en politique, et en même temps il faut s’en méfier, car elle peut nourrir tous les populismes. C’est là le grand danger, celui de la démagogie, des émotions dévoyées, mises au service d’une logique de renfermement sur soi, sur le passé, sur ce(ux) qui nous ressemble(nt), aux dépends des moins bien lotis et du lien social. Mais il ne sert à rien de nier le danger. Il nous faut au contraire établir et renforcer le lien entre les émotions généreuses et les propositions progressistes. 

En ce sens, la démocratie participative n’est pas le contraire de la démocratie représentative, qu’elle vivifie, qu’elle nécessite, avec laquelle elle fait bon ménage. Elle s’oppose au contraire au communautarisme, car elle n’est rien d’autre que l’effort de « sortir de soi » pour comprendre le point de vue des autres, de ceux qui ne nous ressemblent pas, et imaginer ensemble de nouveaux équilibres.

Si la phase d’écoute est à présent derrière nous, la campagne qui se poursuit reste évidemment participative. D’ici l’élection, nous discuterons de mes propositions. Nous démontrerons ainsi leur cohérence et leur crédibilité, qui manque par nature aux programmes faussement généreux des démagogues. Nous préparerons également leur mise en œuvre : loin de perdre du temps, nous allons en gagner beaucoup, pour engager dans les semaines qui suivront l’élection les changements profonds dont notre pays a besoin.

De même, une fois élue, je serai liée par le contrat participatif entre nous. Je rendrai compte régulièrement de l’état des projets et des orientations prises. Nous discuterons ensemble de ce qui marche, de ce qui ne marche pas, des nouveaux problèmes, des nouvelles étapes de l’action. Mon gouvernement fera de même, pour gouverner enfin non pas à la place du Peuple, mais avec chacun, et progresser ensemble.

La démocratie participative est en marche dans notre pays. Faisons-là avancer ensemble pour bâtir la République du respect. »


Les Grandes espérance, c’est aussi le titre d’un film de Sylvain Desclous avec la magnifique Rebecca Marden, qui vient d’incarner Simone Veil, et le non moins formidable Benjamin Lavernhe, actuellement dans toutes les bonnes salles de cinéma. On suit le parcours d’une jeune femme brillante et engagée trahie par son compagnon.

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