# PolitiX

Leur folie, Nos vies

25 juillet 2021

J’avais écrit à François Ruffin, journaliste et député, suite à la sortie de son livre Il est où le bonheur. Celui-ci m’avait répondu par l’intermédiaire de son assistant parlementaire en quelques lignes, façon polie de dire qu’il avait bien reçu mon message, qu’il ne l’avait pas lu, pas personnellement s’entend, mais qu’il me remerciait. Pas de quoi François. Après, tu dois en recevoir des kilo octets de mails divers, des fans qui t’encouragent, des « haters » qui te crachent dessus, des citoyens ordinaires qui te font part de leurs problèmes ordinaires. Alors je ne t’en veux pas. J’ai même acheté ton dernier livre, Leur folie, Nos vies, la bataille de l’après.

Rien que de lire la quatrième de couv, on sait qu’on ne va pas beaucoup se marrer, une fois encore en te lisant. « On en était où ? Ah oui. On fonçait vers le gouffre, à vitesse accélérée. La calotte glacière fondait, les ours polaires se noyaient, le Mont-Blanc reculait, les oiseaux ne se cachaient même plus pour mourrir… » On dirait un bout de la chanson Respire de Mickey 3D. Après ça, soit tu prends un lexo, soit t’achètes une corde pour te pendre. Clairement, tu ne vends pas de la joie, François, et tu ne donnes pas espoir non plus.

Ceci dit, il était inutile de tourner le livre, rien que dans le titre, il y avait un hic. Leur folie, Nos vies. Leur folie, la folie de qui exactement ? Qui sont ces fous ? Pour beaucoup, « eux » , ces gens qui nous emmènent droit dans le mur, ce ne sont pas nécessairement les entreprises ou les grands patrons à leur tête, ce sont les politiques, qui au mieux les laissent faire, au pire sont complices, se mettant quand c’est possible un petit chèque dans la poche, peut-être pas en France, plus en en France ou plus beaucoup disons, mais à l’échelle du monde, combien d’hommes politiques corrompus par le pouvoir de l’argent ? Leur folie, c’est donc celle de ceux censés être des remparts face à la loi de la jungle, la loi du marché, être les garants de l’intérêt général contre les intérêts particuliers. Eux c’est donc un peu toi, le député, au moins symboliquement.

Quand on te lit, on a le sentiment que le problème vient de l’économie, de la mondialisation, des entreprises, apparemment sans scrupules, toutes, grandes, moyennes ou petites, Amazon et Google, les rois de l’optimisation fiscale, au même rang que les PME de la Somme. Tu me répondras que non, bien évidemment, mais moi c’est ce que je lis dans ton texte. Je ne vois pas de nuance. Je vois du blanc et du noir, des méchants et des gentils, des jedis avec leurs sabres laser contre les forces obscures de l’Empire.

Même réflexion sur le « Nous » de Nos vies. C’est qui Nous ? Ce Nous qui est censé symboliser les victimes du système. Nous, c’est qui ? Nos vies. Nous avons tous une vie, les grands patrons aussi. Nous avons tous une famille, les grands patrons aussi. Tu crois qu’ils souhaitent un monde d’épidémies et de grandes catastrophes « naturelles » pour leurs enfants, leurs petits-enfants ? Tu le crois vraiment ? Sais-tu qu’il y a des gens bien qui travaillent chez Amazon, des milliers même. Et même un certain nombre qui aiment leur travail et leur entreprise, si si je t’assure, même si Amazon ne paie tous les impôts qu’elle devrait, là où elle le devrait. Ces salariés-là, ce sont des gentils ou des méchants ? Et que dire des entreprises comme Veja, Picture et des tas d’autres, qui essaient de produire, des chaussures pour l’une et des vêtements pour l’autre, de manière éthique et équitable. Méchants ou gentils ?

Cette vision manichéenne, dialectique humaine infernale, on sait où ça conduit. Au pire ! Ce Eux d’un côté et ce Nous de l’autre, on en connaît, l’histoire nous l’a suffisamment enseigné, les conséquences. Catholiques contre protestants, noblesse et clergé contre Tiers-Etat, révolutionnaires contre bourgeois réactionnaires, rouges contre bleus, blancs contre noirs, noirs foncés contre noirs clairs, Hutus contre Tutsis… eux contre nous, nous contre eux… cela produit des goulags, des camps d’extermination, des massacres, des guerres civiles.

Tu dénonces, tu alertes, tu accuses, tu cries et d’une certaine manière c’est utile, mais tu proposes peu ou alors des mesures si radicales qu’elles n’ont aucune chance d’aboutir dans le monde de démocratie représentative qui est le nôtre. Tu appelles de tes voeux une nouvelle donne, un renversement des priorités pour sauver notre planète et les gens qui s’agitent dessus, mais comment comptes-tu t’y prendre concrètement ? Par un soulèvement populaire ? Mais les soulèvements populaires ne produisent que de la violence, avec ou contre eux, souvenons-nous par exemple de la Commune de Paris, et ne feront guère avancer la problématique écologique car celle-ci, pour le coup, est mondiale, mondialisée et une petite révolution dans un petit pays comme la France ne changerait rien au problème. Et surtout une fois la table renversée, il faudrait bien quelqu’un pour la relever et remettre des chaises autour pour discuter et avancer de manière constructive et non dans la haine des autres et la défiance généralisée. Qui pour tenir ce rôle au bout de la table ? Car l’histoire nous a aussi enseigné que tout mouvement avait besoin d’un bon porte-parole pour émerger, s’élargir et finir par s’imposer. Qui ? Jean-Luc Mélanchon ? Homme politique professionnel depuis toujours et qui a donc accompagné et validé toutes les réformes, tous les abandons, industriel, social, humain depuis des dizaines d’années ? C’est lui qui va incarner le changement de cap, l’espoir ? Ou toi ? Et pourquoi pas ? Plutôt que nous dire qu’on va tous crever de chaud ou engloutis sous un méga tsunami, pourquoi ne prends tu pas tes responsabilités et que tu nous expliques comment tu t’y prendrais si tu avais le pouvoir, le pouvoir de changer les choses.

Le pouvoir de changer les choses ! J’y arrive. Quelqu’un ici bas, avec un grand Q et surtout un gros melon à la place de la tête, a-t-il réellement le pouvoir de changer les choses ? On nous annonçait le meilleur avec Obama parce qu’il était noir, enfin noir pour les Américains, métisse en réalité. On nous annonçait le pire avec Trump parce que c’est un abruti. On a eu ni l’un ni l’autre. On a rien eu du tout en définive. Et on parle de la première puissance mondiale. Je n’évoque pas la Chine, pays « communiste » qui n’est pas près de changer de leader, puisque Xi Jimping s’est autoproclamé Président à vie, voilà qui est plus simple. Alors que pourrait bien y faire un président français dans ce maelstrom planétaire ? Soyons réaliste, au moins une demi seconde, rien ! Voilà la réalité. Qu’il s’agisse de Macron, de Mélanchon, de Fillon, de Hamon ou d’un autre nom à la con, aucun président d’aucun pays ne pourra rien face la marche du monde. La mécanique à l’oeuvre est bien trop puissante et inéluctable.

Alors plutôt que de remplir des pages pour nous dire que le monde va droit dans le mur, ça on le sait très bien, du moins c’est ce qu’on nous vend à longueur de journaux, essaie plutôt d’améliorer ce que tu peux à ton petit niveau de journaliste et député de la Somme et si tout le monde fait pareil, chacun à son petit niveau, le monde ne s’en portera que mieux.

La bataille de l’après n’aura pas lieu. C’est maintenant qu’il faut la gagner.


Leur folie, Nos vies, la bataille de l’après, François Ruffin, Ed. Les Liens qui Libèrent, 2021.

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