Macron, acte 2
Dire que la France est archipélisée, morcelée, éparpillée façon puzzle ou tout simplement divisée est un doux euphémisme, n’en déplaise à Gabriel Attal, qui se gargarise de la victoire de son maître, insistant sur tous les plateaux sur le caractère historique d’avoir été réélu hors alternance, une première au cours de la Cinquième République. Mais comment peut-on, comment peut-il, comment peuvent-ils, ces Marcheurs de la première et de la dernière heure, être fiers de cette élection ? Alors qu’un Français sur trois n’est pas allé voter, 40% chez les moins de 25 ans et que le Front National, pardon le Rassemblement National, est arrivé en tête dans le Nord, dans l’Est, dans les campagnes, les DOM TOM, en Corse, et surtout parmi les classes populaires et les jeunes, pour ceux qui se sont déplacés. La France des villes face à la France des champs, la France des vieux contre la France des jeunes, la France d’en-haut, chère à Raffarin face à la France d’en-bas, chère à… eh bien chère à Le Pen apparemment, voilà le triste bilan de cinq ans de Macronisme, premier cru. Donc non, M. Attal, il n’y pas de quoi être fier et jouer les fanfarons !
Et ce n’est pas en lisant le livre de l’ex députée LREM Frédérique Dumas, Ce que l’on ne veut pas que je vous dise (1), que l’on se fera une meilleure opinion du Président de la République et de celle et ceux qui l’entourent. J’insiste sur le « celle et ceux » car on découvre en la lisant que Brigitte Macron a un rôle important, dans l’ombre mais prépondérant, dans les décisions qui sont prises par Emmanuel, notamment en matière d’éducation et de culture. Autre homme fort de la Macronie, Alexis Kohler, le Secrétaire général de l’Elysée et lance roquette du Président Macron. Viennent ensuite les messagers tels que Gabriel Attal, Porte-parole du gouvernement et premier de cordée dès qu’il s’agit d’aller récupérer, ou abattre, les brebis égarées. C’est ce qui est arrivé à Frédérique Dumas lorsqu’elle s’est abstenue sur une loi visant à mettre fin au régime de faveur dont bénéficient les gros fraudeurs fiscaux, à savoir pouvoir négocier directement avec Bercy plutôt qu’avec un juge d’instruction. Le samedi soir, les députés en marche votent contre comme un seul homme et Frédéric Dumas s’abstient, en son âme et conscience et en députée a priori indépendante qu’elle pense être. Le dimanche matin, Gabriel Attal débarque chez elle pour qu’elle s’explique et que lui, lui explique quelle est la ligne à suivre au sein du mouvement En Marche, une, deux, trois, une, deux, trois… Personne ne nous avait parlé de marche militaire. Et pourtant, ce qu’on découvre dans ce livre, c’est une démocratie télécommandée depuis l’Elysée où ministres et députés n’ont qu’un rôle d’enregistreurs de décisions prises au plus haut niveau de l’Etat. Démocratie, Demos le peuple, Cratos le pouvoir. Avec Emmanuel Macron Président d’une Cinquième République très présidentielle, on est très loin d’un idéal démocratique. Et les personnages qu’elle décrit, elle qui est en politique depuis des décennies, ayant commencé au Ministère de la Culture de François Léotard, mais qui a aussi exercé dans le privé (elle a créé et dirigé sa propre maison de production de films, puis celle du groupe Orange) ne se distinguent que par le niveau de leur cynisme, c’est à qui aura le plus gros cynisme les gars. Je dis les gars car il n’y a pas beaucoup de femmes parmi les conseillers les plus influents d’Emmanuel Macron, hormis Brigitte bien sûr. Sans revenir sur les Gilets Jaunes, la tentative de réforme des retraites calamiteuse et la gestion de la pandémie, le premier acte de cette pièce de théâtre présidentielle fut vertical, sans partage, jupitérien, puisqu’il est de bon ton d’en plaisanter, sur France Inter bien sûr.
Cependant, hier soir, l’ex-président devenu candidat puis de nouveau président a semblé différent. Il nous a livré un discours émouvant, on voit d’ailleurs qu’il était lui-même ému sur la fin, ses yeux brillaient et ce n’était pas le reflet de la Tour Eiffel. Il nous a promis une France pour tous, une nouvelle « méthode » démocratique, une nouvelle « ère » même, rien que ça, les mots sont forts, peut-être parce que les maux sont forts et l’émotion forte. Une nouvelle ère pour la jeunesse, visée en première intention, une jeunesse qui s’est massivement abstenue, a voté pour Mélanchon au premier tour et aussi beaucoup pour « Marine » au second. Une jeunesse qui ne fait plus la différence entre La République en Marche et la République en marche arrière du Rassemblement National, rassemblement, l’expression est osée pour quelqu’un habituée à diviser plutôt qu’à rassembler, à jeter de l’huile sur les feux qui couvent un peu partout dans ce pays. Une nouvelle donne pour une jeunesse qui ne croît plus en rien disons-le clairement, ou si peu. Et pour cause, avec l’inflation galopante, de plus en plus de jeunes basculent dans la précarité, voire même dans la misère. Alors oui il a du pain sur la planche, le nouveau Président, et ce ne sera pas pour accompagner le camembert. Sa tâche ne sera pas de la tarte non, car ils ne sont pas si nombreux à le soutenir, contrairement à ce que les images, tournées en plans serrés, pourraient laisser penser. Ils n’étaient que quelques centaines, quelques milliers tout au plus, à être venus célébrer ce moment avec lui, et seulement à Paris, car nulle part en province, des rassemblements enthousiastes et des fêtes ont eu lieu, comme c’était le cas en 2017.
Mais ne soyons pas cyniques à notre tour et donnons-lui une seconde chance, accordons-lui le bénéfice du doute, croyons en sa sincérité. Et pourquoi pas après tout ? Puisqu’il est élu, autant qu’il réussisse, non ? Nous avons tous besoin d’espoir, d’avenir, de rêves, d’utopies, de projets pour vivre et avancer, lui comme nous, nous comme lui. Joueur de pocker hors pair, bluffeur, acteur, roublard ? Peut-être. Sans doute. Animal politique expérimenté quoiqu’on en dise. Mais il est aussi intelligent, apprend vite, s’adapte et il sait qu’il ne peut pas se permettre un second mandat comme le premier, nous ne pouvons pas nous le permettre collectivement, sinon ce vieux pays, ce pays de vieux, va exploser, dynamité par sa jeunesse et ses classes populaires. Il le sait très bien et sait aussi où est son intérêt.
En 2017, j’avais voté pour lui deux fois. En 2022, je n’ai pas voté pour lui au premier tour mais je l’ai fait au second. Alors je veux croire en lui, encore une fois.
Allez Manu, descend de ta tour d’ivoire et fais-nous rêver un peu.
Sources / Notes
Ce que l’on ne veut pas que je vous dise, Frédérique Dumas, 2022
Voir aussi l’interview de Frédérique Dumas par Denis Robert sur Blast :
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