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Narcisse en slip

16 juillet 2022

Ovide aussi a dû faire erreur quand il a attribué au fleuve Céphise la paternité de Narcisse. A mon avis, il est beaucoup plus probable que le célèbre personnage de la mythologie grecque soit le fils d’une plage tant la vanité s’y étale plus facilement encore que la crème solaire.

Quand je regarde les gens à la plage, qu’ils soient en slip ou en bikini, il m’arrive parfois de penser aux premiers bains de mer, au début du siècle dernier, lorsque les femmes se baignaient en robe longue, des costumes complets avec pour seule fantaisie des petites ancres marines brodées, je me dis alors quel chemin parcouru d’un point de vue vestimentaire depuis les premiers congés payés et ce front populaire à la mer.

Je pense aussi à cette révolution culturelle des années 50 que fut en effet le bikini. Encore que son origine remonte à beaucoup plus loin, les femmes grecques de l’époque antique, encore et toujours ces fichus Grecs, portaient déjà ce type de maillot deux pièces, non pas pour aller se baigner car on ne se baignait pas pour le plaisir à l’époque, mais pour pratiquer des activités sportives telles que l’athlétisme. On n’a donc rien inventé au milieu du XXème siècle comme on le pensait mais on a quand même libéré les femmes du vieux maillot en maille tricotée, d’où le nom « maillot », 500g à sec, 3 kilos tout mouillé, pour ne lui laisser que deux bouts de tissu ultra légrer, et ça ce n’est pas rien. Surtout, grâce à la publicité, et également au cinéma hollywoodien incarné par des actrices telles que Ava Gardner ou Rita Hayworth, le bikini, qui doit lui son nom à un atoll du pacifique où furent menés des essais nucléaires, fut une vraie bombe an-atomique qui se diffusa au monde entier. Il y eut néanmoins une période de résistance puritaine portée par les religieux et les conservateurs car le corps des femmes a toujours été l’objet de réactions épidermiques, symboliques, fantasmatiques depuis la nuit des temps et ce maillot du diable fut interdit sur certaines plages pendant plusieurs années. Nuit des temps dans laquelle quelques obscurantistes essaient de replonger les femmes aujourd’hui, que ce soit aux Etats-Unis avec les mouvements anti IVG, en Afghanistan et ailleurs, mais j’aurai l’occasion d’y revenir dans le billet suivant, celui-ci ayant un objectif récréatif.

Le bikini a été l’un des déclencheurs de la révolution sexuelle qui suivit dans les années 60 et depuis, ce n’est clairement pas le poids du maillot de bain qui alourdit la valise, tant celui-ci est devenu minimaliste, quasiment invisible. On se demande même parfois si certaines baigneuses n’ont pas inversé le sens de leur bikini vu le peu de tissu servant de cache sexe devant. Et non en fait, car en se retournant, on constate qu’il y en a encore moins derrière, une simple ficelle, un string comme on dit, perdu entre deux tranches de fesses. J’ai bien conscience que je vais moi aussi passer pour un vieux réac en écrivant ces lignes, que les femmes ont bien le droit de s’habiller comme elles le veulent en 2022, à la ville ou à la plage, qui suis-je pour leur donner des leçons de tenue. Dont acte ! Ceci étant, je me dis que quitte à être nue, autant l’être vraiment non ? Cela existe aussi, ça s’appelle le nudisme et c’est parfaitement admis et toléré de nos jours et sous nos latitudes, mais pas en tout lieu il est vrai. Se contenter d’un mini bout de tissu est une façon de se mettre à nu sans le faire vraiment, une forme d’ambiguïté qu’il serait intéressant d’analyser plus en détails. Une autre fois peut-être.

En tout cas, ce maillot de bain rikiki s’intègre parfaitement à notre époque où personne n’échappe à la dictature du paraître, surtout à l’heure du mobile et des photos en mode selfy. Les filles font leurs belles H24, comme dit mon fils avec une certaine exaspération, quand les garçons jouent eux les beaux gosses, rentrent le ventre, bombent les pecs, sortent les abdos, idéalement en forme de tablette de chocolat et se font raser ou épiler car les poils n’ont plus la cote. Narcisse n’a pas de poils voyons ! Et tout ce beau monde se regarde le nombril sur TikTok en boucle.

J’avoue une certaine jalousie à l’égard de Narcisse. Narcisse est glabre, bronzé et musclé, quand moi je dois rentrer le ventre façon Aldo Maccione pour dissimuler ma tablette de chocolat blanc fondu et me tartiner de crème solaire si je ne veux pas ressembler à un homard bouilli. Résultat, je suis ultraviolet car la crème solaire a l’indélicatesse de donner à l’homme pâle une couleur on ne peut plus improbable qui fait qu’on le croirait sorti tout droit d’un sanatorium, si ces lieux sordides n’avaient pas été fermés quand la tuberculose a été éradiquée.

Narcisse a un yacht et fait du jet ski avec ses amis et quelques mannequins pêchés dans un café à la mode du porc, du port pardon pour la faute de frappe ! Moi j’ai ramené une planche de paddle gonflable sur laquelle j’ai bien du mal à tenir debout. Je tombe sur les genoux, je tombe sur les fesses, je tombe à droite, je tombe à gauche et comme le courant est trop fort, je finis par rentrer à pied le long de la plage en traînant ma planche derrière moi sous le regard moqueur des surfeurs au repos. Dire que j’ai payé un supplément dans l’avion pour un sac hors gabarit, tout ça pour me payer la honte sur la plage, un sac qui pourrait servir à ramener mon cadavre car je suis bien capable d’aller m’éclater sur la barrière de corail ou me faire bouffer par un requin.

Narcisse a une villa au sommet de la colline, avec piscine à débordement et vue sur la baie, moi j’ai une tente au camping des flots bleus avec vue sur Patrick Chirac et son slip à débordement lui aussi. Enfin, ça c’était avant car le camping des flots bleu a cramé suite aux récents incendies à côté du Pila. Triste été sur la dune !

Si je voulais plagier Gad Elmaleh, je dirais que Narcisse est blond mais ce serait une connerie car il en existe de toutes les couleurs de cheveux des Narcisse, seule la couleur des dents est identique, un blanc ultrabright zéro défaut zéro carie, quand toi tu dois faire gaffe à ne pas bouffer trop de sucre si tu ne veux pas faire un crédit pour te payer des dents sur pivot au prix d’une Twingo, enfin s’il te reste un peu d’argent après ce que tu as dépensé pour l’orthodontiste de tes enfants. Bref, je déteste Narcisse, son dentiste, ses enfants et sa femme aussi.

Car Narcisse est aussi un nom féminin, celui d’une fleur même, une jolie fleur qui comme son homonyme masculin, subit la pression des réseaux sociaux et leurs diktats esthétiques. Il faut être belle, mince, la peau matinée, avoir de gros seins mais pas trop non plus, fermes en tout cas, comme les fesses, galbées, de beaux cheveux, doux, brillants, parce qu’elle le vaut bien, une bouche rebondie et sinon un chirurgien se chargera bien de la lui faire en cul de poule, demandez à Emmanuelle Béard ce qu’elle en pense, Manon a dû perdre la source de l’éternelle jeunesse.

Comment vivre sereinement dans cette époque de fous, tous les yeux rivés sur les écrans de téléphones, une époque photoshopée, instagrammée où les défauts sont de moins en moins acceptés alors qu’ils sont de plus en plus nombreux, la malbouffe ayant fait son chemin depuis l’Amérique jusqu’à nos assiettes. Je n’ai pas la réponse à cette question existentielle des temps modernes mais je me dois de me la poser car j’ai deux ados qui démarrent seulement leur vie et bien entendu, je leur souhaite tout le bonheur du monde.

Alors je leur reparle régulièrement du mythe de Narcisse. La morale de l’histoire, leur dis-je, c’est qu’en voulant embrasser son reflet, Narcisse s’est noyé. Un conseil les enfants, éteignez votre téléphone, allez vous baigner, même tout nu si cela vous plaît !

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