# MusiX

Old school

24 août 2022

J’ai grandi avec le rap, le rap des années 80. NTM bien sûr, Nique ta Mère, maman bouche toi les oreilles ! Comme Joey Starr et Koolshen, j’avais commencé par le graffiti, pour eux c’était Paris sous les bombes, pour moi c’était Caen sous la pluie, façon Orelsan et Stromae un peu plus tard. Cette musique de ghetto arrivait progressivement des Etats-Unis et inspirait les ptit jeunes du 9.3 et de toutes les banlieues métissées de France, parfois la campagne aussi. Le rap de NTM était avant tout politique, nique ta mère, nique la police, nique le pouvoir, nique les bourgeois du 9.2, nique tout !

Tout au Sud apparut le groupe IAM, made in Marseille. Leur musique était plus culturelle, faisant référence aux origines de la ville et de ses populations, aux influences du monde entier, l’Orient avec L’Ecole au micro d’argent ou l’Egypte ancienne avec Ombre et Lumière. Il y avait presque quelque chose d’ésotérique avec IAM, des textes écrits avec précision, érudits, un rap intello presque, mais avé l’assent du sud, fada. Bon, ils ont commis au moins un titre facile, Je chante le mia, un radio edit qui les fit connaître du grand public mais on leur a pardonné, le mia c’était plus un délire de potes et un hommage à Marseille et aux Marseillais que du pure rap. Tout le monde est d’accord sur ce point.

Retour à Paris, j’aimais la violence verbale d’Assassin et de son chanteur Rockin Squat, le frère de Vincent Cassel, mais aussi à l’opposé la coolitude des trois acolytes du Ministère Amer, Stomy Bugsy, Passi et l’indescriptible Doc Gynéco, mi-rappeur mi-showbiz cheap et foncedé. J’ai aimé aussi certains rapprochements entre le rap et la pop comme ce single de Calogero et Passi : Face à la mer.

On ne choisit ni son origine, ni sa couleur de peau
Comme on rêve d'une vie de château quand on vit le ghetto
Naître l'étau autour du cou comme Cosette pour Hugo
Naître en treillis dans le conflit et prier le très haut
Fils du C.O.N.G.O, cette haine j'ai au M.I.C.R.O
J'ai l'poids des mots
Sortir d'en bas, rêver de déchirer ce tableau
Fait d'armes, de larmes
Fait de sang et sanglots

Face à la mer
J'aurais dû grandir
Face contre terre
J'aurais pu mourir
Je me relève
Je prends mon dernier rêve
Tous deux la même dalle et tous deux déçus
Je prends mon dernier rêve (1)

Ce pont entre pop et rap, rap et pop, nous amène forcément à des artistes tels que MC Solaar, dont les textes étaient vraiment originaux, moins gansta, plus écrits, plus imaginatifs et dont les clips étaient réellement enthousiasmants. Un rappeur sortait enfin du carcan des cités. Solaar pleure…

Puis y avait le rap US forcément, avant tout même, sans vouloir renier le rap français, mais la langue anglaise à une puissance rythmique que n’a pas le français, c’est vrai pour le rap comme pour tous les styles de chansons, c’est d’ailleurs pour cette raison que certains artistes français font le choix de chanter en anglais. Le rap US des années 80, c’était pêle-mêle Run DMC, LL Cool J, De la soul, Public Enemy, Nas. Y avait aussi l’opposition entre la côte est et la côte ouest, East coast vs West coast avec côté west des figures tels que Snoop dog, Dr Dre, Ice Cube, Ice-T, Coolio ou Cypress Hill. Trois décennies plus tard, certains sont encore là et Dre est même devenu milliardaire en vendant sa société de casques audio (Beats) à Apple.

A l’image de Dre, le rap a fait son chemin depuis les années 80 au point qu’il domine aujourd’hui les plateformes. Aux débuts, on parlait des bacs à disques, aujourd’hui on se concentre sur le streaming. L’industrie de la musique a évolué, elle repose désormais sur deux jambes, le digital et les concerts, en tournée ou en festival. Terminées les ventes de disques, bien que le vinyle fasse son retour en grâce auprès des amateurs de platines vintage. Une industrie dominée par le rap où quelques producteurs qui ont tout compris au « rap biz », tel le New-yorkais Jay-Z, qui engrange les succès commerciaux et les centaines de millions de dollars, lui qui dans sa prime jeunesse dealait en bas de son immeuble du Bronx pour aider sa mère à boucler les fins de mois difficiles, c’est à dire dès le 5. Sortir la famille de la misère et du ghetto, un fil conducteur majeur au sein du rap, qu’on soit noir ou blanc, comme Eminem, son enfance chaotique en caravane et son flow au couteau.

Le rap a évolué et les successeurs, confirmés ou aspirants, sont nombreux. Netflix vient de produire un TV crochet façon The Voice intitulé Nouvelle Ecole (2), avec trois rapeurs.euses en vogue dans le jury : SCH, Shay et Niska. Je dois avoir un petit côté old school car franchement je n’accroche pas du tout à cette nouvelle école. Déjà, qui sont ces trois guignols qui ont sorti un ou deux albums à peine audibles et se prennent pour des cadors sous prétexte qu’ils font des millions de « streams » ou de vues sur Youtube ? Et c’est quoi cette rappeuse qui change deux cent fois de coupe ou de couleur de cheveux et d’ongles ? On est où là, dans un salon d’esthétique ou sur une scène rap ? Et puis le pompon, ce sont les battles de rapeuses ! Je dois dire que j’ai vu le coup venir. Une des nanas avait des dents franchement pas terribles et je me suis dit, si elle va en battle, elle risque de se faire allumer sur ce détail de son physique. Ce n’est pas fairplay, rien à voir avec sa musique en tout cas, mais c’est le risque de ce jeu qui ressemble davantage à une arène de gladiateurs qu’au conservatoire de musique de Paris. Au moins au conservatoire, où ils ont je pense tous de belles dents, ils auraient évité cet écueil bucco dentaire. Et ce qui devait arrivait à La Nouvelle Ecole, arriva. La rapeuse en face lui refait le portrait et se moque de ses ratiches. L’autre se croyait solide, capable d’esquiver ce coup bas, mais non la bad girl a surestimé sa capacité à encaisser, au bout de deux couplets, elle part chialer sur le côté et revient avec l’envie de mettre un bon coup de boule à l’autre. Franchement, elle l’aurait mérité. Vous êtes sérieux ? C’est du rap ce truc ? De la musique, de la créativité ? Pour moi, c’est zéro votre show. Celui qui a gagné (Fresh) a un certain talent, c’est incontestable, mais il a copié collé son nom sur celui du prince de Bel Air (Fresh Prince) et son style vestimentaire et son flow sur celui de 50 cents, pas très original tout ça !

On dit le rap, on devrait plutôt dire les raps, tant cette musique est hétéroclite. Rap US, rap français, rap allemand, turc, grec, coréen, rap hard core, rap pop, slam, autant de styles et d’artistes très différents les uns des autres. Définitivement veille école, je continue d’aimer le rap des années 80, années fondatrices, mais j’apprécie aussi le rap cool de Big Flo et Oli, le slam de Grand Corps Malade et de Gaël Faye, l’univers artistique de Stromae et d’Orelsan.

En tant que caennais d’hier et d’aujourd’hui, Orelsan occupe forcément une place à part dans mon panthéon rap. Je n’avais pas tout de suite perçu les qualités de l’artiste au début, quand il balançait des disques depuis des ponts ou des immeubles. Je n’avais pas vu non plus l’intérêt artistique de la chanson Sale pute. Quinze ans après sa sortie, et le scandale qui a suivi, je n’en vois toujours aucun d’ailleurs. Mais Orelsan a pris de l’épaisseur, ses textes sont devenus plus intéressants, plus puissants, tout comme ses clips, aidé par les meilleurs techniciens du moment, sans parler de ses concerts qui envoient du lourd comme on dit. Allez-y, vous ne regretterez pas les 50 ou 70 euros que vous aurez dépensés, ou peut-être même pas si vous avez eu la chance d’avoir un ticket d’or en achetant son album. Le ticket d’or, ou comment continuer à vendre de vrais cédés ! Malin cet Aurélien !

Il y a peu de femmes dans le rap, ou alors en petites culottes et gros seins, par grappe de 25 autour d’une piscine ou d’une voiture de sport couleur vive, avec un rappeur dedans, forcément ! Mais peu de rappeuses au volant en effet, ce qui peut se comprendre si celles-ci, à peine arrivées ,ou même pas encore arrivées du tout comme dans La Nouvelle Ecole, commencent à s’envoyer des vannes sur leur zikfi (physique en verlan) lors de joutes à la sauce testostérone. On pourrait s’attendre à un peu plus de bienveillance de leur part, d’originalité et de solidarité féminine, mais non, la plupart des jeunes femmes qui se rêvent en rappeuses vedettes reprennent bêtement les codes masculins, langage, vêtements, attitude. Parfois cependant, y en a une qui débarque et qui déchire tout…

Alors ouais, j'me la raconte
Ouais ouais, je déconne
Nan nan, c'est pas l'école qui m'a dicté mes codes
On m'a dit qu't'aimais le rap, voilà de la boulette
Sortez les briquets, il fais trop dark dans nos têtes

Alors ouais, j'me la raconte
Ouais ouais, je déconne
Nan nan, c'est pas l'école qui m'a dicté mes codes
On m'a dit qu't'aimais le rap, voilà de la boulette
Sortez les briquets, sortez les briquets, sortez les briquets (3)

Ça c’était de la bombe bébé ! Dommage qu’elle ait mal tourné, Diam’s. Je dis mal tourné même si en réalité, je m’en fous de sa religion et si elle veut mettre un foulard sur la tête, c’est son problème après tout, tant que ce n’est pas son bonhomme qui l’y oblige, consciemment ou inconsciemment. Ce qui m’embête en revanche, ce que le rap est une musique rebelle à la base, une musique d’émancipation, de liberté, une musique de minorités, noire en particulier, qui ont un message à faire passer. Certes depuis, d’autres couleurs leur ont emboité le pas, Eminem en tête ou Eddy de Pretto aujourd’hui, quelle audace tout de même de s’affirmer gay dans une musique qui aime si peu les pédés. Chapeau mec ! Respect ! Bref, le rap ça sert à s’affirmer tel qu’on est et c’est ce que Diam’s a fait à son époque, elle a mis les pieds dans le plat et a bousculé les codes. Franchement, je ne comprends pas comment elle a pu faire un tel volte-face. Mais qu’importe Diam’s après tout, the show must go on et il y en a pour tous les goûts et les égouts.

Le seul truc qui compte, c’est que ça vous fasse bouger, ou réfléchir, ou les deux tiens, encore mieux.

Vive la musique et vive le rap. Vive le(s) rap(s) !


Sources / Notes

(1) Face à la mer, chanson interprétée par Calogero et Passi, 2004.

(2) La Nouvelle école, série Netflix avec Shay, Niska et SCH comme membres du jury, 2022.

(3) La boulette, chanson de Diam’s, 2006.

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