# CinémiX

Petites

23 mars 2023

Cela fait toujours bizarre quand on retrouve son quotidien sur grand écran ou quand quelqu’un qui a grandi au même endroit que vous devient tout à coup connu sans oublier d’où il vient, qu’il le dit haut et fort même, ça fait bizarre en effet, encore que bizarre n’est pas le mot le plus approprié, fier serait sans doute plus adapté. Pour nous, ce sont des gens comme Orelsan ou Jean-Pascal Zadie, acteur et réalisateur du long métrage Tout simplement noir (1) et de la série En Place (2). Le point commun entre les deux, c’est de parler de vies et de gens ordinaires, de parler comme des gens ordinaires et de sublimer tout ça par la musique, la poésie ou par l’humour.

Dans un registre moins poétique et moins marrant, il y a Sur le quai de Ouistréham, cette fiction documentaire, façon Streep tease (4), tournée par Emmanuel Carrère et inspirée du récit autobiographique écrit en immersion par Florence Aubenas (3), un film où je peux pratiquement vous donner le nom de chaque rue dans lesquelles les personnages vont et viennent parce que c’est là que j’ai grandi, et pas seulement à Ouistréham où les femmes de ménage embarquent sur les ferries pour récurer les chiottes et refaire les lits avant la prochaine traversée.

Maintenant, il y a aussi Petites (5), le premier film de Julie Lerat-Gersant, principalement filmé à Caen. Dans la même veine que Rosetta des frères Dardenne, Petites, c’est l’histoire de Camille, une gamine de 16 ans qui tombe enceinte mais qui faute de moyens (car elle pense un temps aller en Belgique pour avorter) et surtout d’informations adéquates et au bon moment, de celles qu’on donne à la Maison des femmes de Saint-Denis par exemple, laisse passer le délai légal pour pratiquer cette fameuse IVG et doit maintenant affronter seule ou presque les conséquences de ses actes. L’histoire se répète puisque sa mère à elle l’a également eue très jeune, trop jeune, a d’abord décidé de la laisser à l’assistance publique puis a changé d’avis, pour le meilleur et surtout pour le pire. Seulement aujourd’hui, la juge dit stop !, décide de séparer la mère et la fille, future mère, et la fait placer en foyer pour jeunes femmes, ou jeunes filles j’hésite, dans le même cas. Un drôle d’écho à l’actualité outre-Atlantique où de plus en plus d’Etats n’autorisent plus l’IVG, même en cas d’inceste ou de viol. On se dit forcément en reliant ces deux fils, celui de l’actualité et celui de la fiction, qu’il y aura sans doute beaucoup de filles dans le cas de Camille dans les années à venir là-bas. C’est désespérant !

Le foyer où est placée Camille est dirigée par Nadine, interprétée par Romane Bohringer. Là encore, il y a de l’écho dans la pièce, de la sérendipité, volontaire ou non, quand on sait que Romane Bohringer elle-même a été abandonnée par sa mère et élevée par son père, que l’on ne présente plus, et qui nous manque un peu. Un foyer comme celui-ci, des vies comme celles de ces filles-mères là, c’est parfois des rires et de la connivence de circonstance, entre galériennes il arrive qu’on se serre les coudes, mais ce sont surtout des pleurs, des cris et beaucoup de violence, telle celle d’Alison quand on lui arrache sa fille de 3 ou 4 ans, qu’elle a trop souvent laissée seule, mouillée et désespérée pour aller picoler et fumer avec ses potes ou son mec, alors que la petite est asthmatique. Pas de jugement, surtout pas de jugement. Le rôle d’Alison est joué par Lucie Charles Alfred, impressionnante, radicale, puissante, on l’avait déjà vu dans le même type de rôle dans La Traversée (6), ici c’est la traversée du désert dont il s’agit, et à quatre pattes bien entendu. Simone de Beauvoir disait qu’on ne naît pas femme, on le devient. Je me dis en voyant Petites que ce chemin peut parfois ressembler à un putain de chemin de croix, car est-ce de sa faute à Camille si elle n’a pas été aimée, entourée et conseillée comme il le faut, si livrée à elle même, elle a reproduit les mêmes conneries que sa mère avant elle. Est-ce sa faute je vous demande ? Au fond j’en sais rien moi si c’est sa faute ou pas et je m’en fous pour tout vous dire, ce que je sais c’est que, comme une autre petite (Little Simz), cette histoire me met le coeur en feu.

Hmm, yeah, yeah, yeah
Simz, Simz, Simz, Simz

Je suis sur le point d'exploser, mes pensées sont lourdes comme des enclumes
Je suis fatiguée de me sentir coincée, j'ai besoin d'espace pour respirer
Je veux juste être libre, mais je suis prise dans cette routine
Je suis fatiguée de me plaindre, mais j'ai l'impression que je m'éteins

Mon cœur est en feu, je suis prête à tout détruire sur mon chemin
Je ne veux plus jouer selon les règles, je veux briser la chaîne
Je ne vais plus attendre, je vais saisir ma chance
Mon cœur est en feu, je suis prête à tout détruire sur mon chemin

Je me sens seule dans une foule, comme si j'étais invisible
Je suis fatiguée de prétendre que tout va bien, alors que je suis mal
Je suis fatiguée de me faire marcher sur les pieds, je suis fatiguée de me taire
Je veux être entendue, je veux être vue, je veux être là où ça se passe

Mon cœur est en feu, je suis prête à tout détruire sur mon chemin
Je ne veux plus jouer selon les règles, je veux briser la chaîne
Je ne vais plus attendre, je vais saisir ma chance
Mon cœur est en feu, je suis prête à tout détruire sur mon chemin (7)

Et maintenant un peu de son de Little Simz dans vos oreilles, cliquez sur ce lien : 

https://deezer.page.link/i7ZCMso4rMZQkXWA6

---

(1) Tout simplement noir, film de Jean-Pascal Zadie, 2020
(2) En Place, série de Jean-Pascal Zadie, diffusée sur Netflix, 2023
(3) Sur le quai de Ouistréham, Florence Aubenas, Editions de l'Olivier, 2010
(4) Strip-tease est une série documentaire sur les "vrais gens, dans la vraie vie", des gens plus vrais que nature d'ailleurs, diffusée sur la RTBF puis en France de 1985 à 1992
(5) Petites, film de Julie Lerat-Gersant, 2023
(6) My heart on fire, morceau puissant de l'album No thank you de de Simbi Ajikawo, alias Little Simz, 2022

Vous souhaitez intéragir ? Écrivez un commentaire !

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • Alpha, bétas, ga…ga
    # PandémiX

    Alpha, bétas, ga…ga

    10 juillet 2021
    Et c'est reparti pour un tour, à peine sorti de la troisième vague du Covid-19, que l'on voit poindre la suivante. Comme le fait remarquer Marc Gozlan dans Le Monde du 8 juillet (1), il ne se passe pas un jour sans qu'on ...
    Lire la suite
  • Baskette
    # CitizenX

    Baskette

    16 octobre 2022
    Le basket-ball a été ma première histoire d'amour. C'est arrivé comme ça, par surprise, sans prévenir, love at first sight ! Mes parents m'avaient inscrits à tous types de sport, équitation, judo, ping-pong, ...
    Lire la suite