# EconomiX

Pik-Pocketty

15 mai 2024

En cherchant le bouquin de Thomas Piketty à la bibliothèque Alexis de Tocqueville, je suis tombé sur celui d’un de ses détracteurs (1). Selon son auteur, que l’on pourrait qualifier de tendance libérale classique, c’est en tout cas ainsi que Wikipedia le définit, Piketty serait un imposteur qui tordrait les chiffres pour leur faire dire ce qu’il a envie d’entendre, à savoir que les riches sont des salauds qui s’enrichissent continuellement tandis que les pauvres, forcément tous gentils, font la même chose mais dans l’autre sens. Une thèse qui me rappelle une scène fameuse du film Ah ! si j’étais riche (2), avec le non moins fameux Jean-Pierre Daroussin, qui s’adresse en substance à son banquier en disant : « Y a une erreur sur mon relevé de compte. Y a plus qu’avant. » Et le banquier, dont on voit à travers les fenêtres que son bureau se situe Place de la Concorde, lui répond : « C’est normal, ce sont les plus-values de vos placements. » Daroussin, Aldo dans le film, a alors cette formule que l’on ne peut pas oublier : « Avec tout ce que j’ai claqué, j’ai quand même gagné 5%. Donc, quand on est riche ça ne s’arrête jamais ? » Et c’est pareil quand on est pauvre, rétorque le banquier avec un petit rictus amusé.

Bien entendu, Ah ! si j’étais riche est juste un film, du cinéma, une comédie pour être précis, donc il faut grossir le trait, caricaturer, pour amuser. Mais on sait bien que les caricatures sont aussi un moyen de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas et s’agissant des riches, on est je pense assez près de la réalité, surtout en France. En tout cas, ce qui est certain, c’est que l’argent passionne et divise, notamment Piketty et ses détracteurs, qui sont assez nombreux il faut dire. Il y a sans doute aussi un peu de jalousie car le bougre a réussi l’exploit de vendre un livre d’économie relativement indigeste à plusieurs millions d’exemplaires, faisant de lui si ce n’est un riche, au moins un homme fortuné. Faire fortune en dénonçant les riches, c’est pas mal je trouve. On comprend donc qu’il puisse agacer.

Mais sur le fond, que nous dit Piketty et que nous disent ses opposants ? Piketty dit que l’écart entre riches et pauvres grandit et que si on ne fait rien, les riches vont tout s’accaparer. Il faut donc les taxer lourdement, 80% sur les revenus au-dessus de un million d’euros et jusqu’à 10% sur les gros patrimoines. Pas besoin de sortir sa calculette bonux, fort utile en économie, pour savoir qu’à ce niveau les revenus ne permettent pas de payer l’ensemble des impôts et qu’en dix ans, un milliardaire se retrouvera en slip. Pas besoin non plus d’avoir étudié ou enseigné au MIT pour connaître la courbe de Laffer, que l’on peut résumer par la formule bien connue, trop d’impôt tue l’impôt. A vouloir trop imposer, les riches trouvent des solutions de contournement, optimisation, évasion, qu’importe le nom. En économie ouverte, mondiale et digitale, rien de plus facile désormais. D’ailleurs, cette formule ne vaut pas que pour les riches, les moins riches essaieront aussi de payer moins d’impôts en ne déclarant pas tous leurs revenus, en magouillant les comptes d’une manière ou d’une autre. Bref, quand on est un économiste objectif, on cherche un niveau d’impôt qui maximise et non marximise, l’assiette fiscale, c’est à dire la somme collectée et ce n’est pas ce que cherche Thomas Piketty. Clairement Piketty fait davantage dans la politique que dans l’économie pure.

Dit autrement, Piketty défend une certaine idéologie, issue, bien qu’il s’en défende en partie, du Marxisme, une idéologie selon laquelle la bourgeoisie industrielle exploite le prolétariat et que celui-ci doit s’unir pour zigouiller la première. On a vu ce que donne ce type d’idées dans la réalité, en Russie, en Chine, au Cambodge, etc. partout où des révolutions de type marxiste ont eu lieu, on a vu une partie de la population exterminer l’autre. Je n’évoque même pas le national socialisme des années 30 en Allemagne car l’histoire est plus complexe que cela. Complexe comme le jugement pas très flatteur que portait Marx lui-même sur « Le Juif » au XIXème siècle, alors qu’il était issu d’une famille juive convertie au Protestantisme pour pouvoir devenir avocat et se faire une place dans la bonne société prussienne. Tout ça nous éloigne de Piketty et de l’impôt me direz-vous, et je vous répondrai pas tout à fait car quand on parle de riches, on parle d’argent forcément, et quand on parle d’argent, la question de l’antisémitisme n’est jamais très loin, faites l’expérience, vous verrez. L’argent est un sujet sulfureux.

Moi personnellement, le sujet de l’argent des autres ne m’intéresse pas trop. Si vous avez de l’argent, tant mieux pour vous, je ne veux surtout pas tomber dans le piège de la jalousie. Ce qui m’intéresse davantage, c’est l’entreprenariat, qui peut au choix faire de vous quelqu’un de riche, si votre idée est très bonne, ou très pauvre, si votre idée est très con et qu’un banquier plus con que vous a eu la mauvaise idée de vous suivre. Car évidemment, une fois que vous vous serez planté, il viendra vous réclamer son argent, ce qui prouve peut-être qu’au final il est moins con que vous. C’est ainsi, c’est le jeu ma pauvre lucette. C’est le capitalisme entrepreneurial. Ce qui m’embête cependant, c’est que l’entrepreneuriat est en passe de faire comme l’école, c’est à dire de tomber en panne. Comme l’école, l’entrepreneuriat peut-être un formidable ascenseur social sauf que de nos jours les fonds de commerce, les loyers, les investissements nécessaires pour se lancer sont devenus si exorbitants qu’il est pratiquement impossible d’y aller, sauf à avoir le soutien d’une famille ou d’un ami fortuné, love money on dit en anglais. Le hic, c’est que tout le monde n’a pas un parent ou un pote assez riche et assez inconscient pour vous prêter plusieurs centaines de milliers d’euros pour vous permettre de vous lancer. Il y a donc un vrai souci d’accès à l’entreprenariat, cet instinct économique formidable qui a permis à des millions de gens de sortir de la misère depuis des décennies, des siècles même. Là réside le vrai problème à mon avis et vouloir stigmatiser les riches ne fera que mettre de l’huile sur le feu et bénéficiera de manière certaine aux idéologies les plus extrêmes, comme par le passé.

Ce n’est pas l’argent qui compte, disait mon grand-père paysan, c’est ce qu’on en fait. L’argent est utile s’il est orienté vers l’économie réelle, notamment pour aider de futurs entrepreneurs à se lancer., à aller au bout de leurs idée. L’argent est utile lorsqu’il nourrit la création et l’innovation. L’argent est inutile et contre-productif s’il dort ou qu’il sert à alimenter la spéculation, que ce soit sur les marchés financiers, l’immobilier, le bitcoin ou l’art moderne. Plutôt que de vouloir taxer les plus riches au risque de les faire fuir, faisons en sorte d’orienter l’argent vers l’économie réelle, celle des territoires et des petites et moyennes entreprises, là où les gens vivent. Thomas Piketty devrait peut-être sortir de son bureau et de ses tableaux, que les chiffres qui y sont soient vrais ou bidons, et venir voir comment le monde tourne, en vrai.


Sources / Références

(1) Piketty, au piquet ! Le Capital au XXIe siècle – Enquête sur une imposture, Frédéric George-Tudo, Editions du Moment, 2015

(2) Ah ! Si j’étais riche, film de Gérard Bitton et Michel Munz, 2002.

Vous souhaitez intéragir ? Écrivez un commentaire !

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • Malthus
    # EconomiX

    Malthus

    9 décembre 2020
    Thomas Malthus (1766-1834) est un économiste Anglais du 18/19ème siècle - il y a beaucoup d’Anglais parmi les premiers économistes, trop sans doute. Malthus met en évidence un principe presque évident à vrai dire ...
    Lire la suite
  • Le poulailler
    # CitizenX

    Le poulailler

    4 février 2024
    Il faut que je vous raconte ma semaine toute en jeunesse. En disant jeunesse, je ne voudrais pas faire dans le jeunisme, je sais bien que la jeunesse, c'est d'abord un état d'esprit, il y a des vieux qui restent jeunes ...
    Lire la suite