Rentrée scolaire
Après la rentrée politique, voici la rentrée scolaire avec plusieurs sujets sur la table pour la ministre démissionnaire de l’Education Nationale, en dehors des 3000 et quelques profs manquants s’entend, dont le fameux test sur les uniformes et un autre tout nouveau test sur l’interdiction du mobile à l’école. Les profs absents ou manquants est un vrai sujet, préoccupant, qui ne sera pas résolu tant que le métier ne sera pas rendu plus attractif. Il y a aussi, il faut l’admettre, un différentiel de plus en plus grand entre les attendus du job d’enseignant et les attentes des nouvelles générations qui entrent dans la vie active. Ma cousine, qui gère une petite école de pédagogie alternative type Montessori, a eu le plaisir de recevoir l’appel d’une nouvelle prof, le jour de la rentrée, à 8h30 alors qu’elle était censée être présente à 8h, pour lui dire que finalement elle ne viendrait pas, que le poste ne lui convenait pas. Hey connasse, tu n’aurais pas pu le dire plus tôt ? Si c’est comme ça que tu as été éduquée, peut-être vaut-il mieux en effet que tu t’abstiennes de vouloir éduquer les autres. Pour bien faire, une autre, qui elle était bien venu le matin, a collé sa dem dès le premier jour. Allez gérer un établissement scolaire avec des bras cassés comme ça vous ! Heureusement, toutes les écoles ne sont pas logées à la même enseigne et j’imagine que la rentrée s’est bien passée dans la plupart des établissements, publics ou privés.
Le test sur les uniformes, qui a pour but, soit de retourner au temps des blouses grises, soit de transformer les écoles françaises en Poudlards à l’anglaise et les élèves en Harry Potter et Hermione Granger, blazer, cravate, écusson, donjons et dragons, me semble assez anecdotique. Je ne dis pas que cela n’a pas d’intérêt, on peut toujours tester après tout, mais il me semble que le problème de l’école n’est pas vraiment les vêtements qu’on y porte et de savoir s’il y a une forme de discrimination entre gamins de riches et gamins de pauvres. Je ne vois pas en quoi l’uniforme va influer sur le niveau scolaire, qui se casse la gueule depuis des décennies déjà, mais bon peu importe, laissons ce test se dérouler dans les meilleures conditions et les experts de l’éduc nat nous dire si oui ou non il faut l’étendre à l’échelle nationale.
Le test qui me semble plus intéressant, c’est l’interdiction du mobile à l’école. Si vous êtes parent d’ados comme moi, vous savez sans doute à quel point il est difficile de les décrocher de ces instruments du diable. Je suis non-croyant et ne crois donc ni en Dieu ni au diable, qu’il s’habille en Prada ou pas, je pense néanmoins que le mobile est un enfer sur terre à gérer pour des millions de parents qui comme nous galèrent. Il faut dire que jamais un outil n’aura rendu autant de services à la fois. Ce petit appareil qui se glisse dans une poche permet non seulement de téléphoner, encore que les jeunes ne l’utilisent plus tellement pour cela, mais il fait également appareil photo, caméra, poste radio, télévision, magnetoscope, dictaphone, station météo, GPS, baladeur audio, carte bleue, journal, encyclopédie, chat jipiti, billetterie, lampe de poche, banque, resto, taxi et bien sûr, last but not least jeux vidéo et réseaux sociaux, puisque tous vos amis, et même vos ennemis, surtout vos ennemis diront certains, on dit aussi haters, sont dessus et publient commentaires, photos, vidéos, stories, reels, etc. Comment voulez-vous avec ça vous passer de mobile ? Le couteau suisse peut rentrer chez lui au pays des vaches Milka, le mobile est définitivement Le couteau suisse du XXIème siècle !
Outil génial donc mais aussi coupant que le précédent, toxique plus exactement, hautement addictif même surtout pour des enfants, qui ont du mal à se fixer des limites, c’est là tout le problème. Il y a certes des systèmes de limitation du temps d’écran mais une fois arrivés au bout, vos enfants vous harcèlent pour en avoir un peu plus, un peu plus, un peu plus au point que vous finissez tôt ou tard par désactiver la fonctionnalité. Résultat, les jeunes font une surconsommation de mobile et cela ne les met pas dans les meilleures dispositions pour tirer profit du temps qu’ils passent à l’école, temps qui leur paraît atrocement long et ennuyeux comparé à Tiktok. Je caricature un chouia mais je ne suis pas si loin de la réalité que vie une part de plus en plus importante de la jeunesse de ce pays, et même mondiale probablement. Une fois, en vacances, j’avais vu une grande famille de Suédois, pourtant réputés pour la qualité de leur éducation, qui tous avaient les yeux rivés sur leur téléphone portable à table au restaurant. Personne ne parlait avec personne, peut-être s’écrivaient-ils avec le téléphone plutôt que de parler, qui sait ? Absurde mais bon. En tout cas, je me suis dit que le spectacle n’était pas chouette à regarder, pour moi les repas sont un moment de convivialité où on peut partager des histoires, des anecdotes, des infos, débattre, rigoler, s’engueuler, peu importe, les repas sont un lieu et un moment de vie, alors pas question de tout gâcher avec le mobile. C’est pourquoi nous avons interdit le mobile à table chez nous, résultat nos ados mangent vite pour retourner chatter avec leurs potes dans leurs chambres. Euh…
Voilà pourquoi, l’idée de bannir le mobile de l’école me semble frappée au coin du bon sens, un bon sens qui aurait dû alerter nos responsables politiques il y a longtemps déjà afin qu’ils l’interdisent tout court pour les enfants de moins de 12 ans minimum, perso je préfèrerais 16 ans. Ce faisant, ils nous auraient aidés, nous pauvres parents désemparés à affronter nos enfants en leur disant, nous on voudrait bien mais c’est interdit. Désolé ! Bon je sais ce que vous allez me dire, que je manque d’autorité et patati patata, peut-être sauf que, encore une fois, le mobile est l’instrument du diable. Même nous les adultes sommes accros, alors comment aller dire aux gosses que ce n’est pas bien, le fameux fais ce que je te dis, pas ce que je fais, ça ne marche pas, on le sait. Au moins, si le mobile disparaît des écoles, ce sera un début de reprise en main du système éducatif vers moins d’écran et plus de lecture.
Il fut un temps où mon fils avalait les bouquins comme des brioches Pitch. Même un Harry Potter de mille et quelques pages ne lui faisait pas peur, au contraire, il en redemandait. Nous les parents, nous étions contents, nous nous disions, voilà il a attrapé le virus, c’est bon, tu seras un grand lecteur mon fils. Penses-tu ! Une fois qu’il a eu son premier mobile, en 5ème, terminé la lecture, plus un seul livre, hormis ceux demandés à l’école, et encore, en vitesse, vite fait comme ça, en diagonale, sans chercher à réfléchir. Un crève cœur pour nous. Qu’avions-nous fait ? Aurions-nous dû attendre le lycée ? Mais comment l’empêcher de vouloir communiquer avec ses amis ? Cruel dilemme, impossible à trancher. Ma fille elle n’a jamais aimé lire. Elle a essayé un peu, sans plus. Je ne peux pas la blâmer, moi non plus je n’aimais pas lire et je n’ai véritablement commencé qu’à la fac. Seulement, à mon époque il n’y avait pas de mobile et les jeux vidéos étaient minimalistes, à la télé il n’y avait que trois, puis quatre puis six chaînes, donc je passais le plus clair de mon temps dehors avec les copains à bavarder, se balader, à vélo ou à pieds et à faire des conneries. Je ne sais pas si c’était mieux au fond, au moins nous bougions, nous étions mobiles à défaut de rester scotchés sur un mobile. Il est d’ailleurs étonnant d’appeler mobile un appareil qui vous fasse si peu bouger. Ma chérie me dit, ne t’inquiète pas, ils reviendront, ou viendront, à la lecture plus tard. Pourvu qu’elle est raison.
Pourquoi ? Parce que la lecture a des vertus incroyables, que les philosophes grecs n’auraient pas contesté bien qu’à leur époque la transmission était avant tout orale. La lecture vous permet de vous ouvrir l’esprit et de vous faire voyager vers des mondes, réels ou imaginaires, que jamais vous ne pourrez visiter en vrai, sauf à être un aventurier et à avoir mille vies et une machine à remonter dans le temps. Je lis un polar et me voici policier à Los Angeles dans les années 60. Je lis un essai de géopolitique et je me gratte la tête sur le conflit israélo-palestinien, inutilement car on n’est pas prêt de le résoudre. Je lis une BD et je découvre l’histoire de Jérusalem sur 4000 ans, je lis de la poésie et mon humeur vagabonde, je lis de la philosophie et mon esprit s’élève, je lis de la science et il s’élargit, se dilate, tel un univers. Est-ce que je peux faire la même chose sur Tiktok ? Oui peut-être, je ne sais pas, je n’ai pas essayé, je sais juste que les séquences sont beaucoup plus courtes, donc forcément plus limitées et l’écrit stimule des zones du cerveau que l’écran ne fait pas, à ce qu’en dise les neurologues. A ne jamais lire, on risque d’atrophier une partie de ce qui nous sert d’ordinateur central, l’organe sans lequel nous ne sommes qu’un légume, la tête !
Mon fils, qui entre au lycée, avait tout de même un livre à lire pour la rentrée, un livre de cent pages, eh oui on ne va pas leur demander de lire Monte-Cristo et ses 1500 pages, les pauvres ! Pourtant, le film a dopé les ventes apparemment. Pour lui ce sera seulement cent petites pages avec L’Homme qui n’aimait plus les chats (1). L’histoire, une dystopie comme on dit, aujourd’hui tout est dys, dyslexie, dyspraxie, dyscalculie, dysphasie, dys + dys = vain, normal dans un monde qui dysfonctionne me direz-vous. Une dystopie donc, l’inverse d’une utopie, où les habitants d’une petite île voient soudain leurs chats disparaître, comme ça, du jour au lendemain. Le sur-lendemain, des agents du continent leur amènent de nouveaux chats, qui sont en fait des chiens, mais qu’il faut continuer d’appeler des chats. Les chiens, contrairement aux chats, présentent l’avantage d’être attachés à leurs maîtres, dépendants et affectueux, fidèles, ils permettent de faire des rencontres quand on les sort en laisse et gardent la maison quand on n’est pas là. Et puis c’est ainsi et pas autrement, dit-on sur le continent. Un petit groupe de rebelles trouvant cette injonction insupportable, eux qui sont venus ici pour être libres d’être ce qu’ils ont envie d’être, n’entendent pas se faire dicter ce qu’ils doivent faire et quel animal avoir. Je ne vous raconte pas la fin, la morale étant de montrer comment le monde peut parfois être absurde et comment il peut vite basculer en régime tyrannique et autoritaire sans s’en rendre compte si on n’y prend pas garde. Réflexion intéressante, pas très réjouissante toutefois.
D’autant qu’il faut faire attention à nos jeunes. Les chiffres de l’Assurance Maladie sont accablants. La consommation d’anxiolytiques et d’anti-dépresseurs chez les jeunes a doublé ces dix dernières années, sans doute un des effets de bord du Covid, mais pas que c’est évident. Sans doute aussi la preuve que nous sommes un pays où nous aimons bouffer du médoc plutôt que de trouver des alternatives, qui demandent plus de patience et de résilience. Toujours est-il que le constat est clair, un jeune sur cinq est aujourd’hui en situation de stress, voire de quasi-dépression, et prend des cachetons. C’est énorme et inquiétant, surtout à un âge où vous avez la vie devant vous, ce n’est pas Romain Gary qui m’aurait démenti. Les mauvais esprits diront qu’ils sont devenus bien fragiles nos jeunes, à mon époque on n’avait pas tout ce qu’ils ont, la vie était dure aussi et on n’en faisait pas tout un plat, fallait bosser pour s’en tirer, pas se lamenter et pleurnicher. Sauf qu’aujourd’hui, ce n’est pas hier et les problèmes, en particulier mentaux, des jeunes d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier. Et il est probable que les écrans et les réseaux sociaux constituent une partie de l’explication.
Moi, j’aurais aimé qu’il lise plutôt la Lettre à Ménécée d’Epicure, une lettre de quelques pages seulement, encore plus court que L’Homme qui n’aimait plus les chats, génial, une lettre sur le bonheur. Dans cette lettre, Epicure dit deux choses essentielles, la première c’est qu’il n’y a pas d’âge pour philosopher, jeune, vieux, qu’importe et la philosophie n’est pas l’amour de la sagesse comme son étymologie pourrait laisser entendre, la philosophie, c’est l’amour de la vie et philosopher, c’est apprendre à aimer la vie, car cela s’apprend, si si, parfaitement. Pour être heureux, nous dit le philosophe grec, il faut non pas essayer de jouir de chaque moment comme s’il devait être le dernier, car au fond, cela ne veut pas dire grand chose, certains y verront même une incitation à passer son temps à faire l’amour, ce qui ne peut pas durer toute la journée, même les plus prétentieux ne diront pas le contraire. Il faut à l’inverse savoir faire le tri entre ses désirs, entre ceux qui sont nécessaires et naturels et ceux qui ne le sont pas, et ce faisant de ne pas tomber dans le piège des désirs qu’on ne peut jamais combler, comme le Tonneau des Danaïdes, tels que ceux qui consistent à avoir plus, plus, toujours plus, sans cesse plus. Avoir plus ne conduit pas au bonheur, vous finissez noyé dans un océan d’objets et de désirs jamais vraiment satisfaits, et donc frustré et malheureux. A la place, vous pouvez rechercher tout un tas de petits bonheurs anodins comme regarder la nature, marcher, respirer, observer, toutes ces petites choses qui produisent les plus grands bonheurs, ou en tout cas les plus durables. Ce que ne fera pas la dernière Mercedès ou le dernier iphone. Pas facile à mettre en œuvre dans ce monde d’hyper consommation qui est le nôtre, mais essentiel, une philosophie de vie et de bonheurs simple qui a tout de même 2300 ans et pas une ride. Oui j’aimerais qu’il lise la Lettre à Ménécée, peut-être plus tard.
Pour finir sur une note plus triviale et beaucoup plus hyper conso, je ne suis pas à un paradoxe près, les supermarchés Inter font une campagne de pub en ce moment, dont le slogan me fait marrer : « La rentrée c’est nul ! Alors on vous la rembourse. » C’est ça, remboursez-nous les gars ! Remboursés, remboursés, remboursés…
(1) L’Homme qui n’aimait plus les chats, Isabelle Aupy, Gallimard, 2023
(2) Lettre à Ménécée, lettre sur le bonheur, Epicure. Edition du Nouvel Observateur, Xavier Bordes, 1993.
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