# Monsieur X

Robert B.

10 février 2024

Hier, un grand homme s’est éteint. Grand par la taille, mais surtout par l’engagement qui fut le sien pour l’abolition de la peine de mort. Il n’est pas le seul à avoir pris ce sujet à bras le corps, il n’est pas le seul orateur de talent à être monté sur une estrade pour défendre cette idée et faire triompher l’humanisme face à la barbarie, Jaurès avait déclamé, Hugo avait écrit, Camus aussi. Un seul est allé au bout, sans doute que le pays était enfin prêt. Pourtant, ce n’était pas gagné. Mitterrand avait mis cette proposition en 53ème position sur son programme de 1981, sa dernière chance d’être élu président, et l’homme politique d’expérience qu’il était savait que le sujet était clivant et donc à éviter. Alors, lorsque Alain Duhamel lui pose la question en fin d’interview, Elkabbach s’en mordit les lèvres de ne pas avoir dégainé en premier, Mitterrand contre par une phrase incompréhensible dont il avait le secret, une de ces phrases permettant de clore la discussion sans que personne ne sache vraiment si oui ou non il abolirait la peine de mort une fois élu. C’était sans compter sur Robert Badinter, ami de longue date de Mitterrand et adversaire de tennis teigneux, lui l’avocat qui avait eu à défendre de nombreux accusés, levez-vous, que l’échafaud menaçait.

Retenez à cet égard une année en particulier : 1976. Non pas parce que c’est mon année de naissance, ni parce que ce fut une année caniculaire. Au beau milieu de l’été justement, le 28 juillet pour être tout à fait précis, Christian Ranucci est guillotiné à la prison des Baumettes à Marseille, condamné à mort pour l’enlèvement et l’assassinat de Marie-Dolores Rambla, une fillette de 8 ans. Son avocat s’était pourtant battu corps et âme pour défendre son « client » dont la culpabilité était loin d’être évidente bien que des témoins avaient affirmé l’avoir vu en compagnie de la victime le jour de son enlèvement. Son avocat, c’était Badinter et le procès, c’était celui dit du « Pull over rouge ». Robert en sortit usé jusqu’à la corde, comme à chaque fois. Six mois auparavant, le 30 janvier, un certain Patrick Henry enlevait le petit Philippe Bertrand, 7 ans, et l’assassinait. Pas de doute le concernant, il a rapidement été arrêté, le corps de l’enfant retrouvé sous le lit, aucun doute raisonnable possible, comme on dit parfois dans les prétoires. Pourtant, à la différence de Christian Ranucci, Patrick Henry ne fut pas condamné à la peine capitale, son avocat, le même évidemment, aguerri par le procès Ranucci, monta d’un cran sa plaidoirie. Il s’approcha des jurés, les regarda un à un dans les yeux et leur dit ces mots : « Un jour, la peine de mort sera aboulie et vos enfants, ou vos petits enfants, vous demanderont pourquoi vous avez été les derniers à condamner un homme à mort ». Si vous n’avez pas d’idée sur la puissance verbale de Robert Badinter, je vous encourage à aller sur YouTube regarder quelques-uns de ses discours, notamment celui de la commémoration du Vel d’hiv. Si un gars comme ça vous prend entre quatre yeux et vous dis vos quatre vérités, il vous plie en deux, pour encore en deux, ce qui fait quatre. Patrick Henry sera finalement condamné à la perpétuité et puisque la perpétuité réelle n’existe pas, il sortira finalement en 2001, au bout de vingt-cinq ans de prison.

Voilà qui était Robert Badinter, un homme de cette trempe-là. Pourquoi un tel engagement ? Il faut sans doute remonter à février 1943 pour le comprendre, date de la rafle de la rue Sainte-Catherine à Lyon lors de laquelle son père Simon et 86 autres juifs furent arrêtés puis déportés. Seuls quatre sont revenus à la fin de la guerre. Simon Badinter, quant à lui, a été tué le jour de son arrivée à Sobibor. On dit souvent que son destin a basculé ce jour-là, lui même le disait, car sa mère, ne voyant pas son mari revenir de la fédération des sociétés juives de France, demanda à Robert d’aller à la rencontre de son père. Quand il arriva sur place, il vit que la Gestapo et la police française avaient pris le lieu d’assaut. Il eut le réflexe instinctif, l’instinct de survie, dira-t-il, de se cacher et de fuir dans la nuit noire, dévalant ces pentes étroites de la Croix Rousse que je connais bien. Il ne reverra plus jamais son père, son modèle, son héros. Par contre, il reverra celui qui dirigeait la Gestapo à cette époque, le tristement célèbre Klaus Barbie, rien à voir avec la poupée du même nom, et le fit enfermer dans la même prison où son père et ses camarades d’infortune furent incarcérés avant d’être envoyer en camp d’extermination. Un symbole puissant, voulu par le Garde des sceaux de l’époque. Une blessure pourtant jamais cicatrisée. Il y a quelques années encore, interrogée par un journaliste, Elisabeth, la femme de Robert, commença à s’exprimer sur le sujet, puis s’arrêta et dit… non, je préfère ne pas parler de ça.

Ce qui m’embête cependant, c’est la récupération de certains depuis son décès pour dénoncer l’antisémitisme ambiant du moment, amplifié évidemment depuis le 7 octobre 2023. Sauf que l’autre grand combat de Robert Badinter, c’était justement la laïcité, cette valeur au nom de laquelle il n’a jamais mis en avant son judaïsme. Certes, il était inquiet ces derniers temps, certes il appelait l’antisémitisme « cette bête rassasiée de sang », certes il avait été blessé dans sa chair et son âme par l’assassinat de son père et des millions d’autres que lui, certes il a traqué Barbie jusqu’en Bolivie où il s’était réfugié, dire qu’il a été arrêté à La Paz, qui signifie paix en espagnol. Certes ! Mais jamais il n’a fait de l’antisémitisme le combat idéologique de sa vie, et encore moins du sionisme, mais ceci une autre histoire, que j’aborderai dans le prochain billet.

Je pense que Robert Badinter était un homme juste, ou peut-être juste un homme. Et il nous a quitté.

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