# PhilosophiX

Sea, surf and stoïcisme

12 juin 2022

Après être allé voter, nous avons décidé d’aller faire du paddle avec toute la famille et quelques copains par ce beau dimanche ensoleillé. Le paddle, pour ceux qui ne connaissent pas, est une sorte de planche à voile sans voile sur laquelle on est censé rester debout et avancer avec une pagaie. Voilà pour la théorie, en pratique c’est un peu plus compliqué que cela et vous finissez régulièrement au bouillon lors de vos premières sessions. Mais ce n’est pas grave, il faut du temps et de l’exercice pour apprendre et l’objectif n’est-il pas, s’agissant de sports aquatiques, de finir dans l’eau ? Si nous avions habité plus près de Biarritz, nous serions peut-être allés surfer, ce qui en jette davantage, sauf quand vous n’arrivez pas à tenir sur la planche, ce qui serait sans doute mon cas. Je préfère donc m’en tenir au paddle et à la tranquillité de l’Orne (le fleuve).

Il y a un parallèle intéressant à faire entre les sports de glisse, et plus particulièrement le surf, et le stoïcisme. A cet instant de la lecture, vous êtes certainement en train de vous demander, où est-ce qu’il veut nous emmener avec son surf et ses leçons de philosophie à la petite semaine. Vous allez voir. Le fondement du stoïcisme, c’est de savoir distinguer entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous, ces éléments sur lesquels notre influence est nulle et contre lesquels il est inutile de se battre, sauf à y épuiser toutes ses forces. Le surf, c’est exactement la même chose. Il y a la mer et les vagues, dont certaines font la taille d’un immeuble et peuvent vous écrabouiller contre la barrière de corail comme un petit insecte. C’est pourquoi les hommes ont inventé la planche de surf qui permet non pas de s’opposer à la vague, mais de glisser dessus. De profiter de sa force plutôt que de vouloir l’affronter. Pour vivre heureux, nous disent les stoïciens, il faut surfer la vie, pas lutter contre. J’avoue, aucun stoïcien, que ce soit Zénon de Cittium lui-même, Cicéron ou Sénèque, n’a jamais parlé de surf pour éclairer ses disciples. C’est tout simplement parce que le surf n’existait pas encore à l’époque et qu’en toge, cela n’aurait pas été très pratique, mais je suis certain que cela avait existait, ils en auraient tous fait et s’en seraient servi dans leurs enseignements et leurs écrits. En tout cas, pour tous ceux qui le pratiquent aujourd’hui, le surf est bien plus qu’un simple sport, c’est réellement une philosophie de vie.

Une philosophie de vie particulièrement utile lorsqu’il vous tombe du toit une bonne grosse tuile de sa mère : accident, maladie grave, perte d’un proche, guerre, attentat, que sais-je, les exemples ne manquent pas. Dans ce cas de figure, on revient au stoïcisme avec ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas et qu’il faut accepter, faire avec, surfer dessus sinon la vague vous écrase. Cela prendra du temps, des mois, des années, mais vous passerez au travers, comme le surfeur s’engouffre dans un tube, jusqu’à en sortir pour atteindre cet état de dépassement qu’on appelle la résilience. Vous n’avez rien oublié de votre douleur, tout est là, inscrit à jamais, mais vous êtes passé à autre chose, la vie continue et vous avec.

Il y a un écrivain, véritable philosophe des temps modernes et extrêmement sympathique en plus, qui incarne parfaitement cette notion de résilience, c’est Alexandre Jolien. Né en Suisse en 1975, Alexandre Jolien est atteint d’un grave handicap cérébral et moteur à cause d’un étranglement par son cordon ombilical à la naissance. La vie démarrait mal pour lui et il passera ses dix-sept premières années dans une institution spécialisée. Alors qu’il s’apprêtait à entreprendre des études de commerce, le déclic intervient lorsqu’il entre dans une librairie et tombe sur un livre consacré à Platon. La révélation est immédiate. Changement de cap, ce sera désormais les lettres, le grec ancien, la philosophie et plus tard l’écriture. Alexandre Jolien est aujourd’hui auteur à succès, marié, père de trois enfants et installé depuis peu en Corée du Sud où il peut s’intéresser et pratiquer les philosophies orientales. Tout est donc presque pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, pourrait-on dire en citant Pangloss, le personnage de Voltaire dans Candide. Il a accepté son handicap, l’a transcendé et en a fait une force de vie plutôt qu’une douleur permanente. Cela semble facile, cela ne l’est pas. Surtout, l’histoire aurait pu s’écrire autrement et je ne parlerais sans doute pas de lui dans ce billet si cela avait été le cas. C’est à la philosophie qu’il doit ce formidable parcours, ce changement de direction opportun, à un livre rencontré au hasard et à ces enseignements qui ont traversé les siècles depuis la Grèce antique l’incitant à vivre meilleur plutôt qu’à vivre mieux.

Des Alexandre Jolien, il y en a d’autres bien entendu, des anonymes, des gens simples qui eux aussi ont réussi à traverser les épreuves sans flancher, et à accepter plutôt que de lutter contre des éléments dont la force les dépasse, des stoïciens ordinaires en quelque sorte. Cette année à Roland Garros, il y en avait une. Pas tout à fait inconnue puisqu’elle est considérée comme une des meilleures joueuses mondiales depuis son enfance, une affaire de famille car son frère ainé avait le même potentiel. Une famille qui s’est pourtant effondrée en deux temps trois mouvements. Un père atteint d’une maladie dégénérative, qui contrairement au pied de Nadal ne pouvait pas être contrée par des infiltrations, une mère qui divorce et notre joueuse adolescente tombe dans la dépression et l’anorexie, un trou d’air de près de six ans dans sa jeune carrière. Alors je ne sais pas si la philosophie t’a aidé d’une manière ou d’une autre à traverser cet enfer, mais en tout cas, je te dis bravo Marina pour ce retour, telle une phénix de la balle jaune, au plus haut niveau. Crois-moi, j’ai hurlé devant mon écran pour t’encourager, j’aurais adoré que tu remportes le tournoi, mais demi-finale, c’est déjà énorme. Les médias en ont peu parlé, se contentant de commenter ton tennis. Pour moi, le sujet n’était pas tennistique. Revenir du fin fond de la dépression et de l’anorexie sans s’être foutue sous une rame de métro menant à la porte d’Auteuil et parvenir pratiquement au sommet d’un des plus grands tournois au monde, voilà le sujet. Une belle leçon de vie, de courage et de philosophie.

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