# BooX

Sur la route

21 juin 2024

Je vous avais promis, après avoir fait un petit road trip sur la Vélo Francette de réparer un trou, non pas dans ma chambre à air, j’ai déjà donné au tout début de mon périple, mais dans ma culture littéraire puisque je me suis rendu compte à cette occasion que je n’avais pas lu Sur la route, le fameux roman de voyage du plus célèbre auteur de la Beat generation, Jack Kerouac (1).

Adepte des digressions moi aussi, j’ai tiré sur le fil de cette pensée et me suis demandé, à côté de combien d’autres bouquins suis-je passé ? Et d’ailleurs, est-ce que quelqu’un peut me dire combien de livres ont été écrits et publiés depuis l’invention de l’écriture, du livre et de l’édition ? Vous le savez, vous ? Moi, qui n’en ai aucune idée, même pas une vague, j’ai maintenant un réflexe, avant c’était d’aller sur Google, maintenant je demande directement à Chat GPT. On aime ou on n’aime Chat GPT et l’IA, il est vrai qu’il dit parfois des conneries, il n’empêche que pour ce genre de questions idiotes, il est bien pratique, et ultra rapide surtout. Chat GPT estime le nombre de livres publiés à ce jour à 130 millions ! Vous vous rendez compte ? Cent-trente millions de bouquins, des milliards et des milliards de pages, de chapitres, de lignes, de mots et surtout d’idées, d’histoires, d’Histoire avec un grand H, ou une grande hache, de science, du jus de cervelle concentré et étalé sur papier. Personnellement, j’ai très peu lu jusqu’à vingt ou vingt-cinq ans, et uniquement les livres plus ou moins obligatoires des programmes scolaires, c’est à dire presque rien. Depuis, je dois lire quelques dizaines de livres par an, pas tous du début à la fin j’avoue, parfois dans l’autre sens ou en diagonale, pour pouvoir ne serait-ce qu’écrire ces modestes billets, ce qui fait que dans ma vie, j’ai dû lire quelques centaines de livres tout au plus. J’ignore si c’est suffisant ou non, en tout cas rapporté aux 130 millions de livres qui existent ou ont existé un jour, c’est clairement une goutte d’eau dans un océan de mots. Ceci dit, tous les livres ne se valent pas. Un seul livre, un seul, peut changer le cours de votre vie, être une révélation, vous mettre une claque, provoquer une remise en cause complète. Il y a aussi ce qu’on appelle les chefs d’œuvre de la littérature, des livres qui font la quasi unanimité. J’ai encore demandé à Chat GPT une liste de dix chefs d’œuvre de la littérature française pour voir comme ça. La bonne nouvelle, c’est que je les connais tous les dix, la mauvaise c’est que je n’en ai lu, vraiment lu je veux dire, que deux : Le Petit Prince et L’Etranger. J’avais commencé Les Misérables mais c’est écrit tout petit et le langage date un peu, ce qui rend la lecture plus difficile. Cela a beau être un chef d’œuvre, cela a beau être du Hugo, cela a beau être une histoire puissante, intemporelle, digne d’une comédie musicale à Londres, Paris ou Broadway, c’est un peu barbant. J’avais aussi attaqué A la recherche du temps perdu, mais alors là franchement, les états d’âmes des bourgeois de la fin du XVIIIème siècle à Paris, pfff je n’ai pas accroché. Peut-être que je n’avais pas de temps à perdre à rechercher le temps perdu justement, le serpent se mordrait-il la queue ? Les Fleurs du Mal, je l’ai étudié à l’école probablement, cependant la poésie, ce n’est pas mon style littéraire préféré. Dans ce top 10 généré par l’intelligence artificielle, il n’y a finalement qu’un seul livre écrit au XXème siècle (l’Etranger) et aucun au XXIème. C’est donc ce qu’on appelle des classiques et je ne suis par certain que ce soit mon truc finalement, trop de poussière sur les étagères et je suis allergique.

Revenons sur la route avec Jack Kerouac vous voulez bien, ou plutôt avec Sal Paradise, le nom du personnage de ce roman autobiographique, et son acolyte Dean Moriarty, le conducteur fou. Ma petite épopée à vélo ressemble à une rando d’enfant de cœur à côté du trip de ces deux-là. Sal est un jeune romancier à la recherche non pas du temps perdu mais de son premier roman à succès et Dean pour sa part est un écorché de Denver de cinq ans son cadet, abandonné par un père alcoolique, une mère qu’il n’a jamais connue, qui vole voiture sur voiture et brûle sa jeunesse par les deux bouts en chasse d’une liberté radicale. Tous les deux parcourent les Etats-Unis d’est en ouest, de New-York à San Francisco en passant par Denver et tous les patelins où le vent et les copains les emmènent. Leur vie, c’est beaucoup d’embrouilles, d’alcool, de drogue, d’histoires avec des nanas à droite à gauche, des plans foireux pour gagner quelques dollars par-ci par-là, de quoi payer l’essence et reprendre la route, direction n’importe où, pourvu que la voiture roule. Je comprends que ce roman ait inspiré toute une génération de beatniks et après eux de hippies, qui se rebellaient contre les normes sociales préétablies par la bonne société bourgeoise bien rangée, refusant le matérialisme, la guerre et le travail à la chaîne, prônant une vie plus simple, nomade, plus libre, des amateurs de philosophie orientale et existentialiste, et de jazz aussi, beaucoup, une vie de bohème en somme, dont il ne reste presque plus rien aujourd’hui.

Aujourd’hui les bohémiens sont devenus des bourgeois, des bobo on dit, dont je suis, et font des road trip en vélo électrique. D’autres, quand ils n’achètent pas un van pour vivre la « van life » post covid, continuent parfois de voyager en vélo traditionnel, certains disent musculaire, par opposition au vélo élec de flemmard, et ils ont bien raison. Grand bien leur fasse.

Que dire pour conclure de ce roman écrit sur la route avec de la sueur, du sang, des larmes et d’autres matières dont la décence m’interdit d’en faire la liste ? Le style est direct, verbal, donc cela me parle forcément. C’est énergique, vivant, puissant comme un crochet du droit. Après, quand on lit on essaie forcément de se projeter dans la peau du personnage principal ou dans celle d’un des protagonistes, une forme d’empathie littéraire qui permet de vivre des aventures par personne interposée. Dans le cas de Sal et Dean, on se dit qu’il faut une bonne dose de philosophie orientale en effet pour pouvoir vivre sans savoir où on va dormir le soir, faire des enfants ici et là sans se soucier de leur avenir et de qui va remplir leurs assiettes, de voler des voitures comme on emprunte un vélo posé là sans antivol pour le laisser à l’autre bout de pays vaste comme un continent. En même temps, c’était les années 40, avec quelques notions de mécaniques, n’importe qui pouvait ouvrir une voiture, la démarrer et se barrer avec. Rien à voir avec une Tesla qui repère un intrus avec sa caméra et lui dit qu’il n’a rien à faire là, véridique ! Bientôt, elle leur crachera de l’essence à la gueule et y mettra le feu. Leur vie à ces deux-là est tellement dissolue qu’on se demande par quel miracle ils vont réussir à passer l’âge de 30 ans sans terminer dans un caniveau, mort d’overdose, d’un coma éthylique trop long ou lardé de coups de couteau par un type qui n’aura pas apprécié qu’on lui pique sa nana.

Sal, ou plutôt Jack, et Dean, Neal Cassidy dans la vraie vie, ont miraculeusement survécu à leurs jeunes années à 110 milles à l’heure sur les routes d’Amérique, ils n’ont néanmoins pas fait de vieux os. Jack Kerouac est mort en 1969 à 47 ans, une dizaine d’années seulement après avoir publié ce roman iconique et générationnel. Quant à Cassidy, il mourra un an avant Kerouac, à l’âge de 42 ans. The First Third, le Premier Tiers en français, une autobiographie inachevée et échevelée de ce gamin de Denver, figure charismatique de la Beat, sortira à titre posthume en 1971.

On n’a qu’une vie après-tout, autant la vivre à fond non ?

Vous souhaitez intéragir ? Écrivez un commentaire !

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  • Ce qui me meut
    # CinémiX

    Ce qui me meut

    20 avril 2022
    Ce qui me me meut, du verbe mouvoir. Mouvoir comme bouger, remuer, bousculer. Qu’est-ce qui vous meut, vous, dans la vie ? Vaste question ! Moi, à brûle pourpoint, comme dirait mon illustre aïeul normand Guillaume le ...
    Lire la suite
  • D’Artagnan vs Dantès
    # CinémiX

    D’Artagnan vs Dantès

    6 août 2024
    Rrrr lala lala, je me suis posé une colle tout seul sur ce coup-là. D'Artagnan ou Dantès ? Les Trois Mousquetaires ou Le Comte de Monte-Cristo ? Dumas ou Dumas ? Et surtout, plus actuel, Civil ou Niney ? Comment choisir ...
    Lire la suite