The Queen’s gambit
Le Gambit dame, ou Queen’s gambit en anglais, est une série à succès sur Netflix mais c’est surtout aux échecs un type d’ouverture fermée. Ouverture fermée, voilà qui résume bien la personnalité et le règne d’Elisabeth II, qui vient de s’éteindre à l’âge de 96 ans, comme Lady D, telle une bougie dans le vent (1).
Je pourrais faire une nécro chiante de plus et parler des centaines, des milliers même, d’hommes et femmes politiques, artistes, scientifiques, sportifs et autres célébrités qu’elle a rencontrées en près d’un siècle, ou évoquer les nombreux aléas de la monarchie britannique. Je pourrais mais cela viendrait s’ajouter aux très nombreux textes similaires écrits dans le monde entier et dans toutes les langues tant Elisabeth II était la seule véritable icône mondiale de cette petite planète globalisée. Ce qui m’intéresse davantage pour cette saison 2 de Citizen X, c’est de voir ce qu’elle a représenté vis à vis des femmes en général et du féminisme en particulier.
Pour certaines, telle Sandrine Rousseau, la députée EELV de Paris, E2 était une figure féminine plus que féministe, s’attachant davantage à la préservation de la monarchie qu’à la défense du droit des femmes, choisis ton camp camaradeu ! Elle distingue ainsi féminité et féminisme, comme si Elisabeth II pouvait être réduite à ses robes et ses chapeaux aux couleurs excentriques mais toujours assortis.
Franchement, je trouve que les féministes sont navrantes. Elles trouvent toujours le moyen de distinguer le vrai féminisme du faux, les dures des softs. Il en est ainsi de toutes les idéologies. Selon moi, il n’y a pas figure plus féministe qu’Elisabeth II. Une fille née dans les années 20 qui s’engage dans l’armée contre l’avis de son père, prend des cours de mécanique et conduira très longtemps elle-même sa Landrover sur les terres écossaises de Balmoral ou de Windsor, emmenant même une fois à ses côtés, en 1991, le roi Aballah alors qu’en Arabie Saoudite les femmes n’ont pas eu le droit de conduire avant… 2018 ! Sur ce point, je suis tout à faire d’accord avec Olivia Colman qui l’incarna dans la série The Crown (2) et pour qui Elisabeth II incarne la « féministe ultime ».
Imaginez un peu, Rousseau prétend donner des leçons de féminisme alors que nous Français n’avons encore jamais eu de femme Présidente de la République et seulement deux femmes Premières ministres (Edith Cresson et Elisabeth Borne). Et si un jour nous revenions à la monarchie, ce qui est peu probable j’en conviens, ce serait forcément un homme car c’est inscrit ainsi dans le droit canonique, la couronne allant de mâle en mâle, pour ne pas dire de mal en pis, alors que les Anglais ont changé cette disposition depuis plus de deux siècles déjà, en l’absence toutefois d’un descendant homme, ce qu’Elisabeth II a fait modifier en 2011.
On lui reproche de ne pas avoir pris la parole sur les questions politiques alors que c’est sans doute grâce à cette réserve qu’elle a pu régner pendant 70 ans et avoir une telle popularité. Est-ce qu’on réalise un instant ce que cela représente, d’être couronnée à 30 ans à peine et régner sur un empire vaste comme le monde pendant trois quarts de siècle et ce juste après une seconde guerre mondiale dévastatrice, voilà qui est un bel exemple de force, de puissance et de résilience à la fois que nous a donné cette jeune femme pleine d’énergie, d’intelligence et d’humour, car l’empire britannique s’est progressivement disloqué sans jamais s’effondrer totalement notamment grâce à elle.
Ces trois qualités lui ont en effet été utiles pour mener sa vie sans jamais se laisser dicter ce qu’elle avait à faire, que ce soit par son mari Philippe qui a vite compris qu’il valait mieux se faire discret s’il voulait rester à sa place ou par qui que ce soit d’autre, premiers ministres en tête. Elle aura donc été cheffe d’Etat mais n’aura pas gouverné et aura à ce titre adoubé 15 premiers ministres, depuis Anthony Eden jusqu’à Liz Truss qu’elle n’aura connu que quelques jours, en passant par Margareth Thatcher, Tony Blair et Bojo le clown. Quel panel bigarré ! So British, isn’t it ?
Sur le plan personnel, elle aura eu quatre enfants et vécu quatre mariages, trois divorces et un enterrement. Mais pas n’importe lequel ! Un véritable drame mondial que cet accident de Lady D sous le pont de l’Alma. Comme pour le 11 septembre 2001, il y a 21 ans jour pour jour d’ailleurs, tout le monde sait où il était le 31 août 1997 lorsque les radios annoncèrent au petit matin le décès de la princesse de Galle à Paris, écrabouillée dans sa Mercedes qu’un chauffeur ivre et trop pressé avait ratatiné sur le premier pilier. Moi j’emménageais pour la première fois en cité U à quelques centaines de kilomètres de là, j’avais 20 ans. On reprocha à Elisabeth une froideur et un délai de réaction officielle un peu long. Peut-on imaginer un seul instant qu’elle n’ait pas été touchée au plus profond de son être ? Certes Diana faisait la une des journaux avec ses frasques dodiesques mais c’était la mère de ses petits-enfants, ce n’est pas rien mince. D’ailleurs, quand elle prend la parole quelques jours après, on voit bien que les larmes sont au bord des yeux, des larmes qu’il faut pourtant contenir, vous imaginez le tableau, la reine d’Angleterre qui chiale face caméra. Allons bon ! Quant à penser à un complot, laissons cela à la presse de Murdoch.
Elisabeth II aura tenu son rang, dignement, intelligemment, puissamment – la reine n’est-elle pas le pion le plus fort aux échecs justement ? – protégeant ce qui reste de la monarchie dans un monde en constant bouleversement. En cela, elle incarne selon moi, certes symboliquement, le féminisme ultime.
Puisqu’il est temps de se dire goodbye, il n’y a qu’une formule qui puisse lui y aller comme un gant pour la saluer et lui rendre hommage : chapeau la reine !
Sources / Notes
(1) Candle in the wind, est une chanson écrite et interprétée par Elton John, qu’il dédira à Lady D lors de son concert hommage en 1997
(2) The Crown, série américano-britannique diffusée à partir de 2016 sur Netflix
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