Un été avec Foenkinos
Il y a quelques années, j’ai passé un été avec Beigbeder. Arrivé à la lecture de Vacances dans le coma (1), j’ai décidé, pour rentrer un peu plus dans la peau du personnage, d’attraper une sorte de pneumonie. Résultat, j’ai terminé les miennes de vacances au 19ème étage du CHU, alité à côté d’un homme de 80 ans atteint d’un double cancer qui quelques semaines auparavant arpentait encore les pentes du GR20 en Corse. C’est incroyable, qu’il disait, lui qui se sentait en pleine forme. Je crois donc qu’on peut parler, sans peur d’exagérer, d’un bon été de merde. Mais l’idée de passer cette période estivale avec un seul et même auteur ne m’avait pas déplue. Elle m’est venue en écoutant France Inter, à l’origine d’une série de livres et d’émissions de radio éponymes, un été avec… Sauf que France Inter est une radio d’intellos et de bobos de gauche, donc on ne va pas servir aux auditeurs du Beigbeder, bien que celui-ci y a été chroniqueur de fin de soirée (vers 8h du matin) pendant plusieurs saisons. Chroniqueur passe encore, de là à passer deux mois avec ce cocaïnomane mondain et patenté, impensable pour cette radio publique. Quand on écoute France Inter, on passe donc son été avec Jankélévitch, Rimbaud, Homère, Colette, Montaigne, Pascal ou Proust, que du beau linge de la pensée, le gratin de la philosophie et la crème de la littérature au sens large, rien à voir avec ce que je lis d’habitude, ni ce que j’ai envie de lire pendant l’été, pour être franc. C’est vrai quoi, l’été c’est fait pour se reposer, prendre du bon temps, boire du rosé et faire des barbecues avec des amis, bronzer, rien glander, dormir, ou pas, si d’autres idées vous passent par la tête. Bref, pour moi, l’été c’est léger et il faut des lectures qui vont avec, des histoires qui vous détendent ou vous emmènent ailleurs, dans d’autres pays, d’autres vies, d’autres temps.
J’ai cherché un peu, fouiné dans la bibliothèque familiale et je suis tombé, ou plutôt retombé sur David Foenkinos, dont j’avais déjà lu quelques livres. Bingo ! Foenkinos correspondait parfaitement au cahier des charges du compagnon littéraire idéal pour accompagner mon été.
Foenkinos n’a pas son pareil, il est vrai, pour imaginer des histoires à la fois simples et originales , des histoires dans lesquelles il est facile de se projeter car elles peuvent arriver à tout le monde. Le meilleur exemple, c’est La famille Martin (2), puisqu’il s’agit de l’histoire d’un romancier assez connu, lui on imagine, qui en panne d’inspiration, décide de descendre dans la rue et de raconter l’histoire de la première personne qu’il croise. Dingue non ? J’ignore s’il l’a vraiment fait, j’espère, ce serait encore plus cocasse, génial. Il tombe alors sur la famille Martin, une grand-mère d’abord, puis sa fille, le mari de sa fille et leurs deux ados, un garçon et une fille, qui vont d’abord trouver le projet au mieux loufoque, au pire complètement débile, mais finissent par accepter de se confier au romancier. C’est presque un huis clos, sauf quand il accompagne la grand-mère à Los Angeles retrouver un ancien amoureux, simple et complexe en même temps, la vie de gens ordinaires avec leurs états d’âmes, leurs emmerdes et leurs joies, ça se lit tout seul et ça fait du bien.
Autre idée rigolote, à laquelle j’ai déjà consacré une chronique (Loser), raconter l’histoire de celui qui est arrivé Numéro deux (3) au casting de Harry Potter. C’est totalement inventé, totalement tordu, totalement jouissif car a priori quoi de plus frustrant que d’avoir frôlé le succès planétaire du bout des doigts et de le voir vous échapper d’un tout petit rien, un traumatisme sans cesse renouvelé avec la sortie d’un nouveau tome ou de son adaptation au cinéma. Y a de quoi se tirer une balle dans la tête pour oublier cette vie et espérer en recommencer une autre, si les sorciers existent, pourquoi ne pas croire en la réincarnation ? Et vous savez quoi, ce jeune garçon arrivé deuxième s’appelle Martin, Foenkinos aime jouer avec ses romans, les faire communiquer entre eux, petit plaisir d’écrivain.
Foenkinos aime aussi beaucoup la peinture et les musées. Dans Vers la beauté (4), un ancien prof des beaux arts de Lyon s’enfuit à Paris pour devenir gardien de salle d’un musée où a lieu un exposition temporaire sur Modigliani. Cela tombe bien car il a justement consacré sa thèse à ce peintre majeur du début du XXème siècle disparu trop tôt. Il rendra dingue la directrice du musée qui l’a embauché à force de reprendre le guide sur ces nombreuses imprécisions à propos de la vie et l’oeuvre du peintre. Dingue, et amoureuse aussi. Car ce nouveau gardien de salle l’intrigue, pourquoi un prof des beaux arts de Lyon a-t-il abandonné l’enseignement pour passer son temps à surveiller les visiteurs d’un musée, de longues heures passées assis sur une chaise ou debout avec pour seule et unique mission qu’il ne se passe rien. Pas de vol, pas de dégradation, personne qui vienne jeter de la peinture fraîche sur des tableaux de plusieurs millions d’euros pour certains, des chefs d’oeuvre, des petits bouts d’histoire accrochés au mur. Que cache Antoine Duris ? A vous de le découvrir. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’il n’a rien à voir avec Romain Duris.
Le romancier avait déjà consacré un précédent livre à une artiste peintre, Charlotte Salomon (5), méconnue du grand public, et pour cause parce qu’elle est morte à seulement 25 ans, au camp d’Auschwitz, en 1943. D’origine juive allemande, elle fuit le régime nazi pour le sud de la France. Elle passera 18 mois pratiquement enfermée dans une petite chambre d’hôtel à dessiner et peindre des gouaches et des aquarelles. Elle en peindra, accrochez-vous bien au mur, 1325 dont 800 sont considérées comme terminées. Certaines sont aujourd’hui exposées au musée d’histoire juive à Amsterdam, ce qui n’est pas sans faire écho à Anne Franck évidemment. Une histoire bouleversante que je vous recommande vivement.
Je vous recommande également, si vous ne l’avez pas déjà lu, car c’est un de ses plus grands succès, La délicatesse (6) dont le film qui en est tiré compte au casting trois acteurs que j’aime énormément, Audrey Tautou, éternel petit oiseau tombé du nid, François Damiens et Pio Marmaï à leurs débuts sur le grand écran. A lire et à voir rapidement si vous êtes passé à côté.
J’ai terminé l’été avec Le Mystère Henri Pick (7) et Les Souvenirs (8), deux histoires d’écrivains en herbe qui cherchent la reconnaissance, tiens tiens, on cherche tous quelque chose après tout, mais quoi ?
(1) Vacances dans le coma, Frédéric Beigbeder, Grasset et Fasquelle, 1994.
(2) La famille Martin, David Foenkins, Gallimard, 2020
(3) Numéro Deux, David Foenkins, Gallimard, 2022
(4) Vers la beauté, David Foenkins, Gallimard, 2020
(5) Charlotte, David Foenkins, Gallimard, 2014
(6) La délicatesse, David Foenkins, Gallimard, 2009
(7) Le Mystère Henri Pick, David Foenkins, Gallimard, 2016
(8) Les Souvenirs, David Foenkins, Gallimard, 2011
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