# HistoriX

Une étrange guerre

3 mars 2024

Il y a des défaites étranges, comme celle que la France a subi en 1940 face à l’Allemagne Nazie. Etrange, nous expliquait Marc Bloch (1), parce qu’il semblait que n’avions rien appris du passé, que les divisions politiques de la Troisième République côté français, la faiblesse des institutions, les erreurs stratégiques et militaires, le sentiment de supériorité et d’invincibilité de l’état major, les choix matériels et technologiques, l’aveuglement généralisé face une Allemagne mieux organisée, mieux préparée et galvanisée par Adolf Hitler et l’esprit de revanche, tout cela mis bout à bout allait logiquement conduire à cette défaite aussi rapide que cuisante, étrange pour certains donc. On peut aussi dire honte nationale, branlée magistrale, ou dans un langage familier et moderne, le seum intégral.

Il y a des défaites étranges et il y a des guerres étranges.

Cette semaine, Emmanuel Macron, en leader européen qu’il veut être, s’est exprimé : la Russie ne peut et ne doit pas gagner la guerre en Ukraine et s’il faut dans un avenir plus ou moins proche envoyer des troupes au sol, nous le ferons. Ce à quoi Poutine a répondu qu’il avait de quoi atteindre la France, et même la rayer de la carte, sans se lever de son fauteuil. La menace nucléaire, arme de dissuasion massive s’il en est. Alors la diplomatie française s’est employée à faire machine arrière, expliquant que ce n’est pas ce qu’il avait voulu dire, et les diplomaties des autres pays membres de l’UE de prendre leurs distances, les déclarations de Jupiter, Dieu du ciel et de la foudra, n’engageant finalement que lui.

La guerre en Ukraine est également une guerre étrange, me semble-t-il, car elle ne ressemble pas aux guerres du siècle passé, vives, massives et extrêmement violentes, comptant les morts par dizaines de millions. Il y a certes des morts dans ce conflit, beaucoup de morts, des dizaines de milliers, peut-être bien une centaine de milliers côté russe, des villes rasées, des exactions. Mais il y a surtout une impression de chienlit généralisée, des deux côtés de la ligne de front. Côté russe, la population est manipulée et les opposants éliminés un à un, les hommes mobilisés, on fait régulièrement appel à tous les connards du monde entier qui veulent jouer à la guerre pour de vrai, notamment des indiens, pour venir renforcer l’armée russe clairsemée et sous équipée qui tantôt progresse de quelques kilomètres, quelques villages, quelques tranchées, tantôt stagne dans le bourbier de l’hiver ukrainien. Le meilleur recruteur de Poutine, Evgueni Prigojine, l’ancien restaurateur de Saint Petersbourg devenu mercenaire et fondateur des milices Wagner, avait fait le tour des prisons du pays pour enrôler la crème de la crème des criminels de droit commun avant de se retourner contre son maître dans une tentative de putsch qui n’aura duré que quelques heures. Quelques semaines plus tard, son avion explosait en plein vol. Wagner devrait se chercher un autre chef d’orchestre et Poutine un nouveau porte drapeau en charge de remplacer les soldats tombés. On compare parfois Poutine à Hitler, pourquoi pas, en tout cas l’armée russe d’aujourd’hui n’a rien à voir avec la Wehrmacht des années 30. Sinon, il y a bien longtemps que l’Ukraine aurait été vaincue.

Car côté ukrainien, un pays représenté par un ancien acteur de série B qui jouait déjà le rôle qu’il a aujourd’hui à la télé, ce n’est guerre mieux. Clairement, les bleus et jaunes n’étaient pas préparés à cet affrontement frontal avec son frère russe bien que l’annexion de la Crimée quelques années plus tôt avait annoncé la couleur. Comme dans l’étrange défaite de Bloch, les occidentaux ont semblé ne rien avoir appris de l’histoire, pensant peut-être que Poutine se contenterait de la Crimée, comme Hitler des Sudètes. Sauf qu’après les Sudètes, ce fut la Tchékoslovaquie toute entière, puis la Pologne, puis la France. Voilà ce qu’il faut retenir de l’histoire. Après la Crimée, l’Ukraine et après l’Ukraine… Alors oui d’une certaine façon Macron a raison, la Russie ne doit pas gagner la guerre en Ukraine car Poutine ne s’en contentera pas. Le seul problème, un problème récurrent en politique, interne ou internationale, c’est qu’il y a les mots d’un côté et les actes de l’autre. La France n’a pas livré à l’Ukraine le quart du tiers de ce qui avait été promis que ce soit en termes d’armes ou de financements. La France se situe d’ailleurs parmi les derniers soutiens de l’Ukraine parmi les « grands pays ». Sans l’Otan et les Etats-Unis, qui ont aujourd’hui arrêté de donner, l’armée russe serait déjà à Kiev et Zelensky enterré à côté de Navalny.

Cette semaine, quelques centaines de Russes sont venus rendre hommage à Alexeï Navalny, l’un des opposants à Vladimir Poutine les plus connus et les plus engagés, un engagement qui lui a valu d’être poursuivi en justice, condamné, empoisonné, emprisonné et finalement tué avant de négocier sa remise en liberté. Toujours cette semaine, Oleg Orlov, un autre opposant majeur, non pour sa virulence mais pour ses phrases choc et ses prises de positions provocatrices à l’égard du pouvoir, a été arrêté. Que deviendra cet homme de 70 ans après quelques années dans l’enfer des prisons russes ? Rien. Néant, tout comme l’espoir de voir la Russie changer de l’intérieur, en tout cas, pas tant que Poutine sera vivant et au pouvoir.

Alors quoi ? Que dire, ou ne pas dire ? Que faire, ou ne pas faire, pour gagner cette guerre étrange. Ou au moins ne pas la perdre.


(1) Une étrange défaite, Marc Bloch, Editions du Franc Tireur, 1946

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