# CinémiX

Yannick

2 janvier 2024

Par où commencer ? Pour bien démarrer cette nouvelle année, je voulais quelque chose qui me distrait un tant soit peu dans ce monde de conflits et de brutes. Rien de tel pour cela, me dis-je, que de regarder une des loufoqueries dont Jonathan Cohen a le secret. Vu le succès de cet acteur clown ces dernières années, un vrai natural born vanneur, ce n’est pas le choix qui manque. Family business, déjà vu ! La flamme, le flambeau, ouais bof ! Va pour Sentinelles (1), direction La Réunion ! Le contrat est partiellement rempli car je souris la plupart du temps, je ris parfois, je suis surpris aussi, surpris de retrouver Emmanuelle Bercot dans ce genre de comédie, l’envie sans doute de ne pas se laisser enfermer dans la case de l’actrice, et réalisatrice, écorchée et engagée. Toutefois, mon attention ne se porte ni sur Jonathan Cohen, égal à lui même, ni sur Emmanuelle Bercot, à l’opposé d’elle-même, mais sur le capitaine Morisset, interprété par un certain Raphaël Quenard. Est-ce son accent particulier, qu’on dirait venir tout droit du nord de la France, on les appelle aussi les Ch’tis, tout le monde sait ça depuis le film de Dany Boon. Non ce n’est pas l’accent, car il n’a rien de drôle ou d’un peu ridicule, caricatural. On sent au contraire un forme de puissance dramatique chez lui malgré le fait qu’il s’agisse ici d’une comédie bouffonne et grotesque. En fait, il m’interpelle, il n’a pas l’air à sa place ici, comme Bercot, sauf que Bercot je la connais et lui je ne le connais pas, pas encore. Alors, je tire sur le fil qui dépasse de la pelote de laine pour remonter dans la fil-mo de ce Raphaël.

J’arrive sur Chien de la casse (2), que je m’empresse de regarder en VOD. Moi qui voulait démarrer l’année sur des bonnes vibes, me voilà servi. Fini les décors exotiques de La Réunion, direction cette fois un petit village déprimé et déprimant du sud de la France en compagnie de deux jeunes zonards, Dog et Mirales, le même genre de village où un règlement de compte entre bandes rivales, bande du quartier, bande du club de rugby, vous voyez certainement où je veux en venir, se termine en homicide. Dans Chien de la casse, on a les même ingrédients que dans l’actualité, la même vie de merde à l’horizon limité, entre ennui et trafic de shit. Raphaël Quenard y interprète le rôle de Mirales, le plus prolixe des deux, ce qui n’est pas difficile car Dog est plutôt du genre mutique lui. Dog ne dit rien, il écoute, il suit et laisse Mirales le balader à travers la campagne et déclamer du Montaigne. Ce rôle de Mirales lui va comme un gant à Raphaël. Une fois encore, on se dit, c’est quoi cet OPNI, cet objet parlant non identifié ? Un campagnard, dealer de shit, qui passe son temps avec son chien plus humain que nature et son copain humain qui s’appelle Dog, et nous sort une phrase de Montaigne toutes les deux répliques – après enquête, l’acteur a grandi en Savoie, ce que j’avais pris pour un accent du nord est en fait un accent des Alpes, Savoie ou bien ? Décidément, ce jeune acteur m’en met plein les mirettes. What else ?

Je tire encore sur la pelote et j’arrive sur un petit bijou de cinéma, un autre objet ciné non identifié, Yannick (3), de Quentin Dupieux. Dupieux nous a également habitués aux comédies loufoques (Le Daim, avec Jean Dujardaim, Mandibules ou Fumer fait tousser), là il s’agit de toute autre chose. Personnellement, je trouve l’idée du film aussi simple que géniale. Une pièce de théâtre de boulevard, un vaudeville comme on dit en ville, un navet plus exactement, quelques acteurs pas très convaincus et quelques spectateurs qui ne le sont pas davantage et qui tentent de tromper leur solitude en allant voir la pièce dont personne ne parle, mais ça ne saurait tarder, ou pas. Sauf que… Sauf que, au bout de 10 minutes, un spectateur se lève, Yannick donc, et dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas sans jamais oser l’exprimer, à savoir qu’on s’emmerde à mourrir. Lui est gardien de nuit dans un parking, il habite en banlieue et a pris sur son temps de travail, ou plutôt de congé, pour venir se divertir. Sauf qu’il ne se divertit pas du tout, au contraire, la pièce, l’histoire, les comédiens, tout ça lui donne encore plus le bourdon, alors il le dit. Sauf que cela ne se fait pas, vous êtes gentil monsieur, merci pour vos remarques très intéressantes, mais si cela ne vous dérange pas, nous allons reprendre le cours du spectacle là où il s’est arrêté, vous allez vous assoir sagement et arrêter d’emmerder le monde avec votre vague à l’âme, votre vie pourrie de gardien de nuit et vos caprices de spectateur psychopathe. Les acteurs, qui contrairement à la plupart des spectateurs, sont des gens cultivés ou croient l’être, prennent Yannick avec une certaine condescendance. Sauf que Yannick n’est pas venu les mains vides, il est venu avec une arme, factice ou réelle, peu importe au fond, et il se dit qu’il va réécrire la pièce en direct, car les gens méritent mieux que ça. Voilà le pitch en quelques mots, du jamais vu selon moi, une prise d’otages dans un théâtre pour réécrire les dialogues d’un vaudeville, on pourrait même imaginer que la prise d’otage elle-même fasse partie du scénario initial, mais non. Raphaël Quenard joue donc le rôle de Yannick et il éclabousse de son talent cette comédie douce dingue tant il incarne à merveille ce personnage qui paraît simplet au premier abord, mais qui débite des vérités qui certes font grincer les dents des uns, ou blessent l’orgueil des autres, elles n’en demeurent pas moins des vérités brutes et universelles.

Tous les chemins mènent à ta reum, dit-on au quartier, moi je cherchais simplement à me distraire en ce début de janvier pluvieux. J’y suis parvenu en découvrant selon moi la révélation masculine du moment. Si vous n’avez pas vu Yannick, courez !


(1) Sentinelles, film de Hugo Benamozige et David Caviglioli, 2023

(2) Chien de la casse, film de Jean-Baptiste Durand, 2023

(3) Yannick, film de Quentin Dupieux, 2023

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