Les ingénieurs du KO
J’ai découvert la politique avec un copain du lycée, Jean-Claude, qui était représentant syndical et présent dans toutes les manifestations, toutes les AG, tous les meetings, membre de l’UDF puis du Modem et des Jeunes avec François Bayrou, des jeunes devenus vieux aujourd’hui, c’est dire la longévité politique du Pyrénéen. Il me traînait de temps en temps avec lui dans les réunions du parti et me fit même participer à une campagne électorale municipale. A tout juste vingt ans, il avait été nommé directeur de campagne par le candidat UDF, un jeune garagiste qui ne se faisait guère d’illusion sur ses chances dans ce fief de la gauche depuis toujours. C’était sans compter sur la science politique, au sens strict du terme, de mon pote Jean-Claude. Ce que nous allons faire, me dit-il, c’est analyser les résultats des précédentes élections, quartier par quartier, bureau par bureau, et adapter notre programme et nos tracts en fonction. Nous étions dans les années 90, c’était avant l’informatique grand public, avant internet, avant le mobile, les sms, avant les big data et avant Cambridge Analytica. Et son outsider de candidat remporta les élections municipales de très peu grâce aussi à l’éternelle division des partis de gauche. Cela étant, mon pote était clairement un vrai visionnaire, dommage qu’il n’ait pas persévéré, il serait sans doute devenu un spin doctor, une éminence grise comme on dit aussi, de tout premier ordre. Il a choisi de se présenter lui même plutôt que de conseiller les autres et il n’a jamais réussi à se faire élire. On peut donc être un excellent conseiller et un mauvais candidat.
C’est entre autre ce que nous enseigne Giulano da Empoli dans son essai datant de 2019, Les ingénieurs du chaos (1). Il nous montre dans cet ouvrage l’envers du décor, c’est à dire comment Trump a pu bénéficier des lumières de Steve Bannon, un ancien marine américain devenu banquier d’affaire puis producteur de cinéma et de télé, spécialiste des médias, milliardaire affilié aux idées d’extrême droite et stratège politique, au fait des dernières trouvailles en la matière, en particulier l’analyse des big data, très utilisée dans les campagnes de Barack Obama. C’est par son intermédiaire que Trump utilisera les services de la société Cambridge Analytica, que Bannon a contribué à créer et sans doute grâce à lui que Trump remporta l’élection 2016. Il sera ensuite nommé Conseiller spécial du Président puis démis de ses fonctions quelques mois après, ainsi va la vie quand on travaille pour un type aussi versatile et impulsif que Donald.
Autre contexte, autres acteurs, même technique, l’Italie, un pays que Da Empoli connaît bien, où un comique, Beppe Grillo, a réussi a occuper une place prépondérante dans la vie politique nationale grâce à son partenariat avec un pro de l’informatique et des réseaux sociaux, Gianroberto Casaleggio. Casaleggio eut l’idée de créer un blog au nom du comique pour relayer les provocations et polémiques les plus à même de faire de l’audience, qu’il s’agisse d’immigration, de corruption, d’affaires judiciaires, de faits divers, de sujets de société etc. chaque sujet étant analysé en live dans des algorithmes et les plus porteurs poussés au maximum pour engranger des partisans et par la suite des candidats aux élections législatives. Les candidats du Mouvement 5 étoiles, le nom du parti construit par Casaleggio autour de la personnalité de Grillo, se sont vus dotés d’une simple boîte mail à leur nom et d’une ligne de conduite, à charge pour eux de la suivre à la lettre sous peine d’être exclu. Voilà comment le duo a transformé un mouvement prétendument démocratique à la base en parti complètement centralisé et dirigiste dont le jour de rassemblement avec le bon peuple italien s’appelle, tenez-vous bien, le Vaffanculo Day, le jour du Va te faire enculer en bon français, buongiorno le niveau !
Partout dans le monde, les responsables politiques sont conseillés par des individus dont les motivations ne sont pas très claires, des conseillers cachés le plus souvent, et ils tiennent à le rester, pour se protéger. Arthur Finkelstein est peut-être l’un des plus brillants parmi eux, un vieux de la vieille qui a participé à la campagne de Reagan et bon nombre de campagnes de congress men. Puis Netanyahou et plus récemment Orban, le chef de file des populistes européens. Populiste, le mot est lâché. J’ai un problème avec ce concept. Chat GPT définit le populisme ainsi : « Courant politique ou attitude qui prétend défendre les intérêts du « peuple » contre ceux des « élites » ou des groupes perçus comme étant au pouvoir. Le populisme se caractérise souvent par une opposition marquée entre « le peuple » (souvent défini de manière vague et homogène) et les « élites » (politiciens, médias, entreprises, etc.), ainsi que par une critique des institutions traditionnelles. » Je précise que dans cette saison de Citizen consacré au futur, j’ai choisi d’aller chercher mes définitions sur un outil d’intelligence artificielle plutôt que sur un bon vieux dictionnaire papier. Exceptionnellement, je citerai aussi Le Robert pour qui le populisme est un discours politique s’adressant aux classes populaires, fondé sur la critique du système et de ses représentants. Plus synthétique mais pas de différence notable donc ici entre Le Robert et Chat GPT, à ceci près que Chat ajoute : « Les mouvements populistes peuvent être de gauche ou de droite et peuvent varier considérablement en termes de politiques spécifiques. Ce qui les unit, c’est l’accent mis sur la volonté du peuple et une rhétorique qui oppose le peuple aux élites corrompues ou déconnectées. Le populisme peut parfois dégénérer en démagogie, où les leaders utilisent des discours simplistes et des promesses irréalistes pour gagner le soutien populaire. » Ce qui est intéressant car on pourrait être tenté de penser que le populisme est de droite, voire d’extrême droite, or il n’en est rien. Le populisme peut être de droite comme de gauche.
J’ai un problème avec ce concept car on nous explique, Da Empoli le premier, que le populisme c’est mal. Un corpus artificiel utilisé par certains mouvements politiques pour plaire et arriver au pouvoir tout en sachant que ce qu’ils racontent n’engagent que ceux qui les écoutent. Cela, je le comprends. Mais comment qualifier dans ce cas quelqu’un qui s’intéresse réellement à ce que disent et veulent les gens, sincèrement, dans le but de rapprocher le pouvoir du peuple, puisque théoriquement la démocratie, c’est le pouvoir au peuple, demos + cratos ! Comment faire la différence entre populisme et démocratie ? Par ailleurs, quand moi je me moque ou je critique le pouvoir en place, Emmanuel Macron en tête, est-ce que je fais du populisme à la Beppe Grillo le comique ? Je m’interroge. Peut-être suis-je comme lui, un simple bouffon qui utilise un langage simple, parlé, parfois grossier pour faire rire, et peut-être réfléchir. Si nous avons d’ailleurs créé Citizen en 2020, c’était justement pour recueillir les idées populaires suite au grand débat bâclé par Emmanuel Macron. Est-ce que Citizen, c’est du populisme ou une recherche de plus de démocratie, de démocratie directe en quelque sorte ? La nuance n’est pas si évidente. Pour ma part, j’écris ces billets en toute sincérité, sans arrière pensée ni ambition politique personnelle, si ce n’est de secouer les idées reçues, ouvrir le débat et de temps à autre proposer quelques idées alternatives.
Je ne suis pas cependant un ingénieur du chaos tel que les définit Guilano da Empoli. Je murmure parfois à l’oreille de mon chat mais pas celle d’un dirigeant. Il fait une analogie étonnante avec la physique quantique, une notion qui m’intéresse beaucoup. La physique quantique a permis de voir qu’à l’intérieur de l’atome, il y a ce qu’on appelle des particules élémentaires, qui n’obéissent pas aux lois habituelles de la physique traditionnelle et constituent donc une forme de chaos imprévisible. Selon lui, ces éminences grises participent et encouragent une forme de chaos politique à l’échelle mondiale, un chaos qui s’il se poursuit ainsi finira en véritable KO, par exemple un dingo qui arriverait au pouvoir quelque part et appuirait sur le mauvais bouton. C’est malheureusement possible, on le sait. La question qu’on peut légitimement se poser, c’est pourquoi ? Pourquoi ces « ingénieurs », ces spécialistes de politique et de data, cherchent-ils le KO ? J’avais une discussion avec un ami ingénieur à ce sujet. Il me disait que c’est sans doute pour avoir le contrôle, diviser pour mieux régner, on n’aurait finalement rien inventé depuis l’Antiquité et Nicolas Machiavel. Il citait même en exemple Vincent Bolloré et sa marionnette télévisée Hanouna, qui œuvre dans l’ombre pour les idées du Rassemblement National. Je ne suis pas d’accord avec sa vision. Je pense que les dirigeants économiques n’ont rien à gagner au chaos car ce n’est pas bon pour le business. Pour le business, rien n’est mieux qu’un prince à l’oreille duquel on peut indiquer la direction à suivre. Dans le chaos, il n’y aucune direction claire, tout est possible, comme à la roulette russe. Mais si tu tombes sur la balle, ta tête explose.
Da Empoli termine son essai en citant un épisode de la série britannique Black Mirror (2), où un avatar animé, Waldo, s’en prend aux candidats en se moquant d’eux et en les insultant, et les gens sont contents car Waldo dit tout haut ce que les gens pensent tout bas. Waldo devient si populaire qu’il se porte lui-même candidat alors que Waldo n’est pas réel, il n’est qu’un personnage de dessin animé. Pourtant, les producteurs qui sont derrière, et même la CIA, y voient un concept génial, duplicable à l’échelle mondial, pourquoi pas un Waldo en Amérique du sud, un Waldo en Asie ? Ainsi, rapidement des Waldo se font les portes-parole des peuples en colère, remontés contre leurs « élites » et autres dirigeants politiques, économiques et médiatiques. On voit évidemment ici le lien entre Beppe Grillo et Waldo et une projection de l’avenir qui fait peur.
La question reste toutefois entière. Alors que les régimes autoritaires regagnent petit à petit le terrain gagné par la démocratie, si imparfaite soit-elle, au cours des siècles précédents, quelle voie trouver entre les partis traditionnels mais souvent décevants une fois arrivés au pouvoir, et les partis dits populistes qui font de belles promesses, savent parler aux gens en jouant sur leurs angoisses, mais laissent entrevoir un avenir chaotique, pour ne pas dire KOtique ?
Sources / Références
(1) Les ingénieurs du chaos, Giulano da Empoli, Lattès, 2019
(2) The Waldo Moment, Black Mirror, saison 2, épisode 3, 2016
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