# CinémiX

Tetrazine

11 août 2022

Connaissez-vous la Tetrazine ? Cette substance chimique considérée comme un pesticide. Non ? Normal, elle n’existe pas. Et le géant mondial Phytosanis, vous connaissez ? Non plus ? Toujours normal, car il n’existe pas non plus. Ce sont les précaution d’usage qu’il faut prendre quand vous vous attaquez à l’agrochimie, que vous soyez simple citoyen, journaliste ou cinéaste. Sinon, commencez tout de suite à vous chercher un bon avocat et si possible pas trop cher, ce qui n’existe pas disons-le clairement, car vous allez avoir de gros soucis juridiques et vous finirez sur la paille, vous savez ces tiges de blés gavés de pesticides qu’on enroule pour faire des bottes. J’ai passé les étés de mon enfance à sauter de botte en botte tandis que mon chien m’encourageait en aboyant. A moins qu’il ne me disait, fais gaffe, tu vas t’empoisonner !

Vous ne connaissez ni la Tetrazine ni Phytosanis mais vous connaissez sans doute l’histoire de David et Goliath, un épisode de la Bible (Samuel 17, 1-58), que l’on retrouve aussi dans le Coran (sourate 2, verset 251), qui narre les exploits de David, fils du berger Isaï, face au géant philistin Goliath. Comme vous le savez, à la fin de l’histoire, c’est David qui terrasse Goliath en lui envoyant une pierre dans le front grâce à sa fronde, et non l’inverse. La morale, un petit peut battre un gros s’il est malin et agile. Naïf, sympathique mais encourageant il est vrai. Seulement la vie n’est pas un récit biblique et dans notre histoire de pesticides, David se contente d’un petit avocat qui peine à assurer l’équilibre financier de son cabinet pendant que Goliath s’entoure d’une armée d’avocats sortis des meilleurs universités et des fois que ce ne serait pas suffisant, il y ajoute une brigade de lobbystes, ces hommes et femmes sans vergogne qui essayent de corrompre le législateur pour le convertir à la cause de leurs clients, moyennant rétribution bien entendu. Bien entendu toujours, tout ça coûte une fortune à Goliath mais qu’importe car au final c’est nous, vous et moi, tout le monde, qui payons puisque tous ces frais sont inclus dans le prix de vente, et déductibles des impôts en prime. Que demande le peuple !

C’est vrai ça, que demande le peuple ? Le peuple ne demande pas grand chose, enfin si, pardon, je recommence, le peuple demande le plus important : la santé. Le peuple demande le droit à la santé. Le droit ne pas être empoisonné. Est-ce trop demandé ? C’est la question que pose Goliath, le film de Frédéric Tellier (1). Evidemment, je vous le disais en préambule, ni le glyphosate ni Monsanto ne sont explicitement mentionnés, le producteur, en l’occurence Jacques Perrin (2), qui joue ici le rôle d’un expert muselé par les industriels, n’a pas les moyens de se permettre un procès contre ce géant de l’agrochimie, la bien nommée.

Le film est servi magistralement par ses acteurs, Gilles Lelouch, dans le rôle de l’avocat des parties civiles, rincé jusqu’à la moelle mais combatif malgré l’immolation de sa cliente devant le siège de Phytosanis à La Défense. Pierre Niney, du côté obscur de la force, en lobbyiste sans foi ni loi, qui manie les mots et les réseaux avec l’aisance d’un Lagardère de l’influence, finie l’épée, place au clavier. Et surtout Emmanuelle Bercot, car à la fin de l’envoi, c’est toujours elle qui touche, quel que soit le rôle. Emmanuelle Bercot est une actrice puissance, incandescente. Elle aurait pu jouer le rôle de Lucie et se mettre le feu. Mais cela aurait été trop simple. Elle joue celui de France, dont le mari, Zef, est atteint d’un cancer. Pour lui, pour Marion et pour tous les autres dont elle ne connaît pas le nom, elle se battra avec la rage d’une lionne.

Malgré cette énergie du désespoir, malgré les révélations que des lanceurs d’alertes désabusés font fuiter parfois au péril de leur vie, tel Paul dans le film, interprété par Laurent Stocker, touchant comédien du Français, malgré les manifestations populaires, c’est Goliath qui gagne.

Dans la vraie vie, c’est toujours Goliath qui gagne, et David qui meure. La pierre l’a à peine égratigné !


Sources / Notes

(1) Goliath, film de Frédéric Tellier, 2022

(2) J’ai une admiration sans borne pour Jacques Perrin, décédé cette année à l’âge de 80 ans. On sent toute l’humanité et le sens de l’engagement du bonhomme à travers les documentaires et les films qu’il a produits ou réalisés. Citons Raoni, Le Peuple migrateur, La planète bleue, Océans ou l’Odyssée de la vie entre autres documentaires, et Cinéma Paradiso, Les Choristes, Le Petit lieutenant, Rémi sans famille, Goliath parmi les dizaines de films dont il est le producteur. Il va nous manquer.

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