# EcologiX

L’année du requin

29 juillet 2022

Maudit sois-tu Steven Spielberg avec ton film Les dents de la mer, ou Jaws (le titre original), Mâchoirs en français (1) ! En plus, il est sorti en France l’année de ma naissance, tsss… un sacré cadeau ! A cause de toi Steven, à chaque fois que je me baigne en mer, et quand je dis me baigner en mer je ne parle pas d’un spot au large de Martha’s Vineyard sur la côte est des Etats-Unis, ce lieu de villégiature pour les bourgeois de Boston et New-York où a été tourné le film et où les requins pullulent, non, moi je me baigne à Ouistreham, et même là, dans l’eau sombre et fraîche de la Manche, j’ai peur de me faire bouffer par un requin. Quand je me baigne dans l’Orne, un fleuve aussi tranquille que la vie, pareil ! J’ai peur de me faire bouffer par un requin, certains requins comme le requin bouledogue peuvent vivre en eau douce, alors pourquoi pas dans l’Orne ? Un jour j’en suis sûr, il m’arrivera d’avoir peur dans une piscine tellement tout cela n’a pas de sens. Il ne s’agit pas d’une peur paralysante qui vous immobilise littéralement et vous fait couler à pic, il s’agit plutôt une angoisse sourde, coincée au fond de votre cerveau qui vous dit, et si un requin débarquait tout à coup, tu ferais quoi ? Eh bien, je ne ferais pas le malin camarade ! Le pire dans cette histoire, c’est que je ne suis certainement pas le seul. A chaque fois que j’en parle autour de moi, même scénario, dès que les gens ne voient plus leurs pieds, ils ont peur qu’un squale égaré en quête de chair fraîche vienne tâter du mollet voire plus si affinité. Rarement un film n’aura eu autant d’impact sur la psyché immergée de plusieurs millions de gens à travers le monde.

Faut dire qu’il n’est pas très beau à voir ce grand requin blanc, acteur principal des dents de la mer, avec sa mâchoire immense et ses multiples rangées de dents acérées dont la puissance donne le vertige. Mesurée par un gnathodynamomètre, elle est estimée à 3 tonnes par cm2 pour un requin de 3 mètres quand celle de l’homme avoisine les 30 kg par cm2, une morsure cent fois plus puissante que celle d’un homme donc. Vous me direz, je ferai mieux de la comparer avec celle d’un chien car on est rarement mordu par un congénère, ou alors un con qui a dégénéré mais c’est rare en effet. Bref, il ne faut pas se faire mordre par un requin vous l’aurez compris et pourtant cela arrive parfois à quelques surfeurs et nageurs imprudents qui s’aventurent dans des zones maritimes connues pour accueillir des populations de sélachimorphes, nom scientifique du requin.

Pourtant, nous lui devons le respect à ce requin car c’est un survivant. Son origine remonte à 500 millions d’années, c’est à dire au cours du Dévonien. Il a survécu à tout, y compris à la grande extinction du Crétacé qui provoqua la fin des dinosaures il y a 65 millions d’années. Il y eut même dans l’histoire de ce poisson gigantesque qui compte 500 espèces regroupées en 35 familles, des spécimens bien plus grands et effrayants que le grand blanc, tel que le mégalodon dont la taille est d’environ 20 mètres, soit le double ou le triple de notre contemporain. Heureusement, celui-ci s’est éteint il y a vraisemblablement 1,6 million d’années. Le roi est mort, vive le roi ! Le roi de l’océan.

Ocean, c’est aussi le prénom d’une charmante petite bombe blonde originaire de Hawaï, Ocean Ramsay, biologiste marine de profession, qui plonge avec les requins sans cage ni fusil d’assaut sous-marin et s’accroche à leur nageoire caudale ou à leur nez pour faire un bout de chemin ensemble. La première fois que j’ai vu ces photos, j’ai cru que c’était un montage tellement cela semblait irréaliste. Ce fut pour moi une vraie révolution copernicienne, un soulagement plutôt, les requins n’étaient pas forcément ces monstres méchants et agressifs qu’on nous disait. Ce fut une prise de conscience aussi. Une prise de conscience car les requins ont un rôle fondamental, tout en haut de la chaîne alimentaire où ils trônent, dans la préservation de l’écosystème marin, les détruire c’est détruire l’équilibre naturel de l’océan. Les squales ne sont pas dangereux pour l’Homme si celui-ci ne vient pas s’y frotter en agitant des bouts de rosbif un peu partout pour l’attirer afin de prendre des photos ou s’il ne ressemble pas à une tortue quand il met les deux jambes de chaque côté de sa planche de surf en attendant la prochaine bonne vague. La bonne santé des océans est indispensable à la survie des êtres humains sur cette petite planète bleue et le requin y joue encore une fois un rôle central. Protégeons les requins au lieu de les chasser pour faire des soupes d’ailerons dégueulasses à destination des Chinois. Maudits chinois !

Ocean Ramsay avec un pote

Laurence Devillairs aussi nous réconcilie avec les requins en nous proposant dans Petite philosophie de la mer (2), une philosophie du requin. Le requin a, le saviez-vous, cinq à sept paires de branchies, contre une seule pour les autres poissons, ce qui l’oblige à être toujours en mouvement et avaler l’eau pour s’oxygéner. Vivre comme un requin pourrait ainsi signifier d’un point de vue philosophique, non pas jouer les voraces en recherche permanente et sans scrupule d’une proie ou de profits immédiats et sans limite, mais plutôt refuser l’inertie, avancer, s’aventurer, tenter, oser, keep moving or get shot, dit le vieux proverbe indien, avancer ou se faire descendre. La philosophie du requin, c’est ne pas s’immobiliser, s’enfermer dans ses habitudes, c’est prendre des risques, changer, avaler la vie et respirer par nos sept branchies.

J’aimerais écrire sur la mer aussi bien que Laurence Devillairs mais malheureusement ce n’est pas le cas. Alors je vais me permettre de la citer pour terminer ce billet océanique et vous inviter à découvrir son livre.

« L’océan est le lieu des grands départs, ceux où l’on quitte tout, et pas seulement la terre ferme, pour se lancer vers l’horizon, prendre le large. L’aventure, la belle et folle aventure, c’est celle que l’on vit en mer, quand on a largué les amarres, tourné le dos à toutes les immobilités qui nous clouent au sol. On ne peut pas contempler la mer sans être tenaillé par l’envie de partir, de se libérer.

De quoi ? D’une vie un peu trop ordinaire, resserrée autour de quelques habitudes et automatismes. La mer nous appelle à voir plus large, plus loin ; elle nous fait nous sentir un peu honteux de nos timidités et de nos espaces trop étroits. Elle nous parle d’horizons lointains et nous convie aussi à plus de légèreté : glisser et non plus marcher d’un pas pesant, choisir l’immensité, préférer l’illimité. Le vaste, le majestueux océan invite à toutes les audaces : partir ! Là-bas ! Au loin ! Pour y goûter l’inattendu, y découvrir l’inconnu. »(2)

Et pour les amateurs de comédies françaises, y a L’année du requin qui sort dans les salles obscures le 3 août, avec Marina Foïs dans le rôle principal, un film à mi-chemin entre Les dents de la mer et Les gendarmes de Saint-Tropez. A voir. Ou pas.


Sources / Notes

(1) Les dents de la mer, film de Steven Spielberg, 1975.

(2) Petite philosophie de la mer, Laurence Devillairs, Editions de la Martinière, 2022.

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