# Geopolitix

Apeirogon

11 février 2024

Je n’ai pas écrit sur ce qui se passe à Gaza depuis le 7 octobre. Le sujet est important j’en conviens, majeur diront certains, y voyant même le possible foyer d’une troisième guerre mondiale, seulement je ne savais par quel bout le prendre, tel un apeirogon, cette figure géométrique au nombre infini de côtés.

Le moment est enfin venu. Non seulement, la mort de Robert Badinter m’offre une transition idéale mais je viens en outre de terminer la bande dessinée Histoire de Jérusalem (1). En découvrant l’histoire de cette cité sur 4000 ans, on comprend mieux à quel point cette terre n’est pas comme les autres, sans toutefois savoir pourquoi celle-ci plutôt qu’une autre, car Jérusalem ne présente aucun intérêt géo-stratégique particulier, aucune richesse majeure du point de vue de ses ressources naturelles, rien, vraiment, rien à part l’histoire car ici le monde entier ou presque est venu, pour le meilleur parfois et souvent pour le pire. Imaginez un peu, les Juifs, les Egyptiens, les Assyriens, les Perses, les Séleucides, les Romains, les Byzantins, les Francs, les Seldjoukides, les Syriens, les Mamelouks, les Ottomans, les Anglais et de nouveaux les Juifs ont régné sur cette cité. Et j’en oublie probablement. Et si certains de ces peuples ne vous sont pas familiers, peut-être que les noms de Salomon, David, Nabuchodonosor, Cyrus, Alexandre le Grand, Ponce Pilate, Jésus de Nazareth, Hadrien, Constantin, Abd al-Malik, pas le slameur hein, le calife omeyade, Baudouin I, II, III et IV, le roi lépreux, Saladin, Frédéric II, Nasser Mohamed, Sélim 1er, Soliman, Ibrahim Pacha, Youssouf Al-Khalidi, Nasser, Sadate, Begin, Rabin, Arafat… vous le seront davantage. L’histoire de Jérusalem, c’est un peu l’histoire du monde en condensé.

En 4000 ans, beaucoup de sang a été versé, les conquêtes se faisant rarement dans la joie et la bonne humeur. On dit même que les Francs, lors des grandes croisades (1095-1187) mangèrent certaines de leurs victimes sarrasines, j’ignore si les galettes de sarrasin viennent de cette période sombre, n’ayant rien d’autre à manger après les milliers de kilomètres parcourus pour arriver là et atteindre leur objectif, délivrer la ville sainte de Jérusalem. Beaucoup de sang versé en effet, beaucoup de massacres, hommes, femmes, enfants, sans discrimination, mais aussi de longues périodes de paix, où Juifs, Chrétiens et Musulmans s’entendaient pour vivre ensemble et faire rayonner la ville. Une paix devenue impossible depuis l’émergence et le développement du sionisme porté notamment par Théodor Herzl à la fin du XIXème siècle, ce mouvement visant à faire revenir le peuple juif en Israël, là où il est né il y a 4000 ans. Seulement, la bande dessinée l’illustre bien, il s’en est passé des choses en 4000 ans et aucun peuple ne peut revendiquer la propriété de cette terre pour lui seul. Le sionisme, qui tire son nom de la colline de Sion, au sud de la ville, a connu une explosion après la Seconde guerre mondiale, et pour cause, déséquilibrant le rapport de force en faveur des Juifs et rendant tout dialogue et toute chance de trouver un accord, impossible.

Il existe par ailleurs un amalgame, entretenu par les médias, entre l’antisémitisme et l’anti-sionisme, comme si s’opposer au sionisme, c’est à dire l’envahissement de ce territoire par des Juifs du monde entier faisant leur « alia », c’est à dire leur retour, en hébreu, cela signifie en réalité « ascension », veut forcément dire être antisémite. Pour moi, les deux n’ont rien à voir et l’amalgame n’est qu’une stratégie pour faire valider le sionisme par l’opinion, qui au fond ne comprend rien à l’histoire complexe de ce pays. Ce qui s’est passé le 7 octobre et les représailles qui ont suivi, ne sont en définitive qu’un épisode de plus dans l’histoire sanglante du peuple juif et de cette terre. Le 7 octobre était un attentat ignoble, inqualifiable, la destruction de Gaza et de ses habitants ensuite, l’est tout autant. Une fois de plus, Israël pratique la loi du Talion, oeil pour oeil, dent pour dent, tu tues un des miens, j’en tuerai cent des tiens.

Alors que faire ? Apeirogon n’est pas seulement une figure géométrique, c’est aussi un roman formidable de Colum McCann (2), qui raconte l’histoire de Rami, israëlien, fils d’un rescapé de la Shoah, ancien soldat de la guerre du Kippour, et de Bassam, le Palestinien, qui n’a connu que « dépossession, prison et humiliations ». Tous deux ont en commun d’avoir perdu une fille, Abir avait dix ans, Smadar, treize. Tous deux étaient destinés à se haïr, à se venger peut-être, si l’opportunité se présentait. Au lieu de ça, ils ont choisi de parcourir le pays et de raconter leur histoire, leur douleur qui rien ne saurait apaiser, leurs souvenirs, raconter ensemble, côte à côte, plutôt que l’un contre l’autre.

Dans la tradition juive, il y a le concept de « Tikkun olam » qui signifie littéralement « réparation du monde » et qui consiste pour un individu à faire le bien pour rendre le monde plus juste. Je pense que Netanyahu et toute sa bande de fanatiques de l’extrême droite israélienne devraient s’inspirer de leurs propres textes et arrêter de faire couleur le sang, car comme le disait très justement Badinter, la bête en est gavée.


(1) Histoire de Jérusalem, bande dessinée de Vincent Lemire et Christophe Gaultier, Les Arènes BD, 2022

(2) Apeirogon, Colum McCann, Random House, 2020

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