# PolitiX

Des électeurs ordinaires

31 mai 2024

Dans le sport, on a bien compris que pour bien distinguer les concurrents, il faut qu’ils portent des maillots de couleurs différentes. Vous imaginez un match de foot où les 22 joueurs auraient le même maillot ?

Manifestement, on n’a pas la même logique en politique. Jeudi dernier, on a assisté à une joute verbale entre deux candidats, enfin entre un candidat à l’élection européenne et un premier ministre, tous deux de bleu vêtus. Un myope ayant oublié ses lunettes n’y aurait pas retrouvé son ptit ! Vous me direz que l’habit ne fait pas le moine et que somme toute peu importe le costume, ce qui compte c’est la verve, la plume, ou plutôt ici le masque, car il ne s’agit pas d’un écrit mais d’un oral, une pièce de théâtre, un spectacle, la forme ayant autant d’importance que le fond. C’est ainsi que se pratique la politique depuis toujours, depuis les tribuns grecs jusqu’aux plateaux de télé ou aux vidéos tiktok d’aujourd’hui. Ceci dit, je vous répondrai que vous avez partiellement tort. L’habit ne fait certes pas le moine, mais l’habit a une certaine importance, l’habit dit quelque chose de celui qui l’habite, en particulier en politique, où tout est calculé, pesé et pensé. Jamais vous ne verrez un candidat de droite porter une veste rouge, une couleur réservée comme vous le savez depuis longtemps aux communistes. Les socialistes eux, se contentent d’un rappel de couleur rouge ou rose. Il est vrai que porter une veste rouge ne serait pas du meilleur goût, sauf à vouloir ressembler à Bozo le clown. A droite par contre, on mise toujours sur le bleu car le bleu c’est sérieux. Personne n’a encore osé prendre un costume bleu, blanc, rouge à ma connaissance, on comprend aisément pourquoi. Cependant, lorsque Gabriel Attal, conseillé par ses spins doctors et autres conseillers en communication, choisit de se présenter au débat tout en bleu, comme son adversaire, ce n’est pas par hasard. Il le fait car il veut s’adresser aux électeurs du Rassemblement National, largement majoritaires dans les sondages, et les électeurs du RN aiment le bleu. Alors, on va leur en donner du bleu. Jeudi, c’était donc les bleus contre les bleus ! Ce qui pourrait résumer parfaitement la logique du RN, à savoir les uns contre les autres ! Contrairement à ce que leur nom laisse à penser, ils ne cherchent pas à rassembler, mais à diviser les Français. Laissons cela pour l’instant, je voulais parler dans ce billet monochrome des électeurs du RN, ex-FN, des électeurs devenus non seulement majoritaires mais également très ordinaires.

Des électeurs ordinaires, c’est aussi le titre d’un essai de Félicien Faury qui vient de paraître au Seuil (1). Le sociologue et politiste est allé pendant six ans, de 2016 à 2022, à la rencontre des électeurs de ce parti d’extrême droite habitant dans le sud-est de la France. Pourquoi le sud-est, me direz-vous ? Simplement parce que ceux du nord ont déjà été largement étudiés, les ouvriers oubliés, victimes de la désindustrialisation, dont les villes et villages ressemblent désormais aux villes fantômes du far-west où les buissons roulent devant le saloon, chassés comme ses habitants par la misère et le vent. Ceux du sud-est en revanche sont d’un genre tout à fait différent. Ils sont issus de milieux socio-professionnels variés, des artisans, des commerçants, des pompiers, des policiers, des fonctionnaires, des retraités, pas mal de retraités faut dire, sud oblige. Tous ont en commun de ne pas « avoir à se plaindre », tels sont leurs mots, tous ont aussi en commun d’en avoir ras le bol de voir ce auquel ils tiennent se dégrader, les services publics, l’école, la santé, la ville, la cité, la sécurité et la vie en société. Quant à la question de l’identité et du racisme, elle n’est finalement qu’un sujet parmi d’autres. Dit plus simplement, ils votent RN parce qu’ils ne sont pas contents, qu’ils sont inquiets pour l’avenir de leurs enfants et qu’ils ont peur. Si Félicien Faury a volontairement choisi de limiter son enquête au sud-est, il me semble qu’il pourra retrouver bon nombre de ses explications un peu partout en France, au nord, à l’est, à l’ouest car le RN est en phase de devenir la première force politique du pays, si ce n’est déjà le cas. L’élection européenne qui vient devrait le confirmer, à moins que ce soit les abstentionnistes, seulement comme ceux-ci ne sont fédérés dans aucun parti, aucun mouvement, ils comptent donc pour du beurre dans notre bonne vieille démocratie.

Or les mots ont un sens et l’expression « démocratie » signifie le pouvoir au peuple. Alors quand le peuple vote pour le RN, il ne faut pas l’insulter et considérer qu’il vote « avec ses pieds », qu’il vote mal, comme s’il y avait un bon vote et un mauvais vote. S’il vote pour le RN, c’est qu’il a ses raisons, le peuple. Et ce sont ces raisons, qu’il faut adresser et auxquelles apporter des réponses. Le succès du RN, c’est avant tout l’échec des partis traditionnels dans l’exercice du pouvoir, qu’ils soient de droite, de gauche ou du centre. Jamais on ne les voit pourtant, faire leur mea culpa, admettre que ce sont leurs politiques, leurs décisions, leurs choix qui ont amené le peuple à porter Marine Le Pen au second tour des élections présidentielles 2017 et 2022 et c’est leur politique qui mènera peut-être demain un Jordan Bardela ou une Marion Maréchal à l’Elysée, tout comme c’est la politique d’Obama et celle de ses prédécesseurs démocrates qui ont mené Trump à la maison blanche, une première fois, et probablement deux. Il ne faut pas insulter le peuple car le peuple finit tôt ou tard par vous le rendre, et cela se passe rarement dans la douceur, l’histoire nous l’a enseigné et je crains que l’histoire ne se répète, comme toujours.

Les idées du RN ne sont pas les miennes, même si je considère que certaines des questions qu’ils posent sont légitimes. C’est juste que le RN n’est pas La solution. C’est même tout le contraire, le RN c’est le problème. Le RN, c’est le poison qui ronge notre bon vieux pays révolutionnaire et universaliste. Le RN, c’est pas tous ensemble, tous ensemble, ouais, ouais. C’est les uns contre les autres, sauf qui peut et Dieu pour tous, comme la manif du même nom. Le RN, c’est pas black, blanc, beure, c’est bleu, blanc, rouge, d’abord bleu et blanc, blanc et bleu, bonnet blanc et blanc bonnet, celui de Jeanne d’Arc et ensuite rouge, la couleur du sang qui coulera tôt ou tard, si on ne crie pas gare.


Sources / Références

(1) Des électeurs ordinaires, Félicien Faury, Le Seuil, 2024

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