Esc-€uro

Il y a 21 ans jour pour jour, nous abandonnions notre bon vieux franc, ce qui n’est pas rien pour un pays qui s’appelle la France et dont l’origine de ce nom remonte à près de quinze siècles en arrière quand les Francs envahirent le nord de la Gaule au moment de la division de l’empire romain. C’est ce qui arrive aujourd’hui aux Croates, qui laissent leur Kuna pour l’€uro et constituent ainsi le 20ème pays à entrer dans la zone euro – dommage à un près, le compte était rond. Mais s’agissant de l’€uro, les comptes ne sont jamais ronds ni totalement transparents.

Avec l’€uro, nous sommes entrés dans une période d’inflation discrète et complètement niée par les statisticiens de l’INSEE, ce vieux bâtiment moche et poussiéreux que l’on voit du périph’ sud à Paris. Déjà, dès ce 1er janvier 2002, tout ce qui valait 10 francs, par exemple dans les distributeurs automatiques, est passé à 2 euros puisqu’il fallait que cela corresponde à une seule pièce. Or, cela n’aura échappé à personne, en tout cas pas à ceux qui achètent leur baguette et tournent eux-même les clés de leur porte d’entrée (1), 2 euros n’est pas égal à 10 francs, mais à environ 13 francs, soit une inflation immédiate de 30%, comme ça, du jour au lendemain, en un claquement de doigts. Ceux qui achètent leur baguette savent aussi qu’ils la payaient autour de 2 francs il y a vingt ans et 1,20 aujourd’hui, soit pratiquement 8 francs. Quadruplement, tout simplement. Or il ne me semble pas que les salaires aient été multipliés par quatre en vingt ans. Les économistes tenants de l’inflation faible et maîtrisée me répondront qu’on n’achète pas que des baguettes avec son salaire et je ne les contredirai pas. Cependant, la baguette n’est pas le seul exemple. Déjà parce que, quand vous divisez la valeur faciale de votre monnaie par 6,56 et des poussières, les prix paraissent naturellement beaucoup plus bas, logique, c’est neurologique, le cerveau a tendance à ne croire que ce qu’il voit avec ses nerfs optiques, bien qu’il sait que ce n’est qu’une apparence, car notre salaire a aussi été divisé par 6,56 et n’a pas bénéficié lui des arrondis magiques. D’ailleurs, toutes les études montrent que les salaires n’ont pratiquement pas évolué depuis vingt ans. Ce qui signifie fatalement que le pouvoir d’achat moyen s’est écroulé. Cela ne veut pas dire que la France ressemble désormais à la Russie des campagnes avec des rayons de supermarché à moitié vides. Cela signifie que, quand il y a vingt ans, vous gagniiez 20 000 francs par mois, vous étiez super à l’aise. Aujourd’hui avec 3000 euros, il vous faut compter si vous ne voulez pas terminer le mois dans le rouge. Alors je ne vous dis pas quand vous gagniez le SMIC. Les économistes ont un nom pour cela, paupérisation, un mouvement qui voit les classes moyenne et moyenne supérieure glisser progressivement mais sûrement dans la classe populaire et l’écart entre les plus hauts revenus et les plus bas se creuser inexorablement. Alors bon courage aux Croates, un pays qui a perdu 10% de sa population en dix ans car ses forces vives vont gagner leur vie ailleurs. Maintenant que la monnaie est identique avec la majeure partie des pays environnants, la diaspora va-t-elle revenir ou plus de Croates vont-ils fuir la Croatie ? Rendez-vous dans dix ou vingt ans !

Cette paupérisation s’est accélérée depuis deux ans et va encore accélérer davantage avec les effets de bord successifs du Covid et de la guerre en Ukraine qui ont engendré une augmentation des prix rapide et puissante, notamment des matières premières, partout dans le monde. L’INSEE parle de 7 à 8% pour la France en 2022, sauf que l’INSEE ne mesure que l’évolution des prix des produits de consommation. Elle ne mesure pas la quantité de produit en question dans le packaging. Or les industriels sont « smart » comme on dit chez les Anglosaxons, quand ils ne peuvent pas augmenter les prix comme ils le souhaitent et/ou le doivent pour garantir un niveau de rentabilité suffisant à leurs actionnaires, ils diminuent la quantité proposée pour le même prix. Très facile et totalement légal. C’est ainsi qu’une grande marque de chocolat de Noël a enlevé six chocolats, sur les trente présents l’année dernière, à l’intérieur de son coffret le plus vendu, tout en augmentant le prix de vente de 10%. Prenons notre calculette, nous avons donc une augmentation de 10% en facial et une autre de 20% sous forme de quantité diminuée, soit plus de 30% d’augmentation réelle si on s’intéresse au prix au kilo. Ceux qui font régime se réjouiront peut-être, y trouvant une occasion de manger moins. D’un point de vue du pouvoir d’achat, c’est à dire ce qui nous intéresse en matière d’inflation, c’est une véritable escroquerie ! Inutile de préciser que cette marque n’est pas la seule à avoir recours à ce type de procédé, que les Anglosaxons, toujours eux, appellent la « schrink-flation », c’est à dire l’augmentation des prix par la diminution des quantités. Voilà ce que ne mesure pas l’INSEE et voilà ce qui va nous coûter cher, économiquement et socialement.

Sur ce, bonne année à tous !

(1) Lorsque Jacques Chirac, qui était le président en charge lors de l’introduction de la monnaie unique, quitta l’Elysée en 2002 pour rejoindre un appartement prêté par la famille Hariri, celui-ci déclara que cela faisait une éternité qu’il n’avait pas tourné une clé lui-même. Pas étonnant dans ces conditions que nos responsables politiques ne se rendent pas compte des conséquences de leurs décisions. Quand vos frais sont pris en charge pas l’Etat, l’inflation et le pouvoir d’achat sortent soudain de vos préoccupations immédiates. Sauf peut-être pour la Corona – la bière hein, dont Chichi était friand, pas la pandémie !