# Madame Y

Flora T, la paria

14 novembre 2022

J’ai honte. Je suis d’une inculture et d’une paresse crasses. J’ai vécu un an dans la résidence universitaire Flora Tristan sans savoir qui elle était, ou alors j’avais oublié. Mais vu le peu de place que l’on réserve aux femmes dans l’Histoire de France, il n’est pas impossible qu’on ne m’en ait jamais parlé à l’école avant que j’aille en fac. Pourtant, il y a dans la vie de Flore Célestine Thérèse Henriette de Moscoso, son vrai nom d’origine péruvienne, tant d’aventures, et aussi de mésaventures, que la vie de nos contemporains du XXIème siècle paraît bien fade en comparaison. Il y a aussi dans le parcours de Flora Tristan toutes les luttes que les femmes ont mené pendant des siècles et continuent encore de mener aujourd’hui d’ailleurs pour pouvoir exister. Son père meurt lorsqu’elle a 4 ans, elle est donc élevée par une mère célibataire, se marie à 17 ans pour subvenir aux besoins de la famille, met au monde trois enfants avant l’âge de 21 ans, l’aîné meurt à l’âge de 8 ans. Elle est victime de violences conjugales, son mari, ou plutôt son ex, enfin non car le divorce est interdit par la loi en 1816, la frappe et lui tire même dessus, la balle restera logée près du coeur, ce qui provoquera finalement sa mort prématurée d’une fièvre typhoïde, à 41 ans. Il y a en effet beaucoup de combats féministes actuels dans le destin de Flora, c’est peut-être que certains maux de nos sociétés demeurent.

Cela étant, entre son mariage à 17 ans et son décès à 41, elle aura vécu, avec un grand V comme Vie, et même marqué l’Histoire, que son nom soit mentionné ou non dans les manuels scolaires, puisque des résidences universitaires le portent et je lui consacre aujourd’hui un billet. A 21 ans, n’en pouvant plus de son alcoolique de mari, elle confie ses enfants à sa mère et s’enfuit à Londres pour devenir femme de compagnie et fréquenter l’aristocratie anglaise, elle qui est issue d’une famille aristocratique péruvienne. Seulement voilà, son père ne l’a jamais reconnue officiellement, ce qui fait qu’elle ne peut prétendre recevoir le moindre héritage de celui-ci. Mais qui ne tente rien n’a rien, ce n’est d’ailleurs pas le genre de Flora de rester les deux pieds dans le même sabot vous l’aurez compris. En 1833, elle part au Pérou rencontrer sa famille paternelle, et en particulier son oncle, qui gère la fortune familiale. Elle finit par obtenir gain de cause et celui-ci concède à lui octroyer une pension. De retour en France en 1835, elle n’a alors que 31 ans, elle fréquente les cercles littéraires et socialistes parisiens de l’époque, et notamment les réunions de la Gazette des femmes, développe une conscience à la fois sociale et féministe, et tente ce faisant de parfaire l’éducation qu’elle n’a pas eu la chance d’avoir reçue dans son enfance. Elle tirera d’ailleurs de son voyage au Pérou un livre intitulé Pérégrinations d’une paria (1) où elle fait part de ses observations sur la vie politique locale, le rôle de l’église catholique et l’esclavage dans les plantations sucrières. Cette publication fut évidemment mal accueillie à Lima et son oncle lui supprima sa pension. Plus tard, elle publiera Nécessité de faire un bon accueil aux femmes étrangères (2), un projet utopiste décrivant les principes d’une association destinée à venir au secours des femmes seules. Plus de retour en arrière désormais, Flora Tristan demeurera sa vie durant une femme engagée.

En 1839, elle retourne en Angleterre et s’intéresse à la révolution industrielle qui bat son plein outre-Manche et à la condition ouvrière, épisode dont elle tira le récit Promenade dans Londres. Karl Marx n’a que 20 ans et son pote Engels 19, l’Histoire ne retiendra leurs deux noms que bien plus tard, mais Marx citera Flora Tristan dans La Sainte Famille, ouvrage qu’il publie en 1844, année de la mort de Flora. Elle s’était alors engagée dans un tour de France à la rencontre des ouvriers, femmes et hommes, un tour de France qu’elle ne put achever, et perdit donc le maillot jaune, jaune comme les gilets hein, pas comme ce sport de danseuses à bicyclette.

J’ai honte d’avoir vécu un an dans la résidence universitaire Flora Tristan sans savoir qui elle était. Elle est morte il y a 174 ans jour pour jour.


Références :

Nécessité de faire un bon accueil aux femmes étrangères, 1835

Pérégrination d’un paria (1833-1834), 1837

Promenades dans Londres, 1840

L’Union ouvrière, 1843

L’Émancipation de la Femme ou Le Testament de la Paria, publié à titre posthume en 1846

Le Tour de France : état actuel de la classe ouvrière sous l’aspect moral, intellectuel, matériel, publié à titre posthume en 1973

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