# CitizenX

Le match des copains

4 juillet 2022

Chaque année j’organise un match de foot pour mon fils et ses copains. Au début, seuls les enfants jouaient puis voyant les parents trépigner sur le côté, enfin surtout les papas soyons clairs, nulle révolution de genre sur le bord du terrain pour le moment bien que le foot féminin devient de plus en plus populaire et que débute dans deux jours l’Euro féminin, une compétition que la France va forcément remporter – allez les bleueeees ! Alors, je me suis mis à organiser aussi le match des papas, auquel les mamans sont les bienvenues mais aucune ne s’est présentée dans la chambre d’appel jusqu’à présent.

Un papa me demandait justement à cette occasion pourquoi mon fils avait choisi de faire du football. Question intéressante à laquelle je me devais de répondre que je ne savais pas vraiment, enfin si peut-être un peu. Il était allé à un anniversaire d’un copain quand il avait cinq ou six ans et en était revenu en déclarant : « je veux faire du foot ! » Voilà c’est à peu près tout ce que je peux dire dans la mesure où personnellement, je ne suis pas très fan de ce sport, moi qui ai pratiqué le basket-ball pendant près de vingt ans, et que je ne l’ai donc pas influencé, et sa mère non plus.

Ma mère à moi m’avait inscrit à tous les sports qui existent mais à chaque fois je trouvais une excuse plus minable l’une que l’autre pour abandonner lâchement. Le cheval ? Bah ça pue les chevaux et en plus faut leur nettoyer les savates parce que évidemment, ils sont incapables de le faire tout seuls. Ah ça fait le malin à galoper plein pot mais dès qu’il s’agit de faire sa toilette, y a plus personne. Et fallait les brosser, leur donner des carottes à bouffer pour les récompenser, pfff la barbe. En plus, il y avait Albator sur le même créneau horaire et nul ne résiste à Albator, fut-il équidé ou bipède inspiré, le pirate borgne était le plus fort. Le ping-ping ? Je trouvais que mon prof avait une haleine de poney, ce qui me rappelait les cours d’équitation, donc pas question ! Et puis, enchaîner mille coups droits puis mille revers puis mille coups droits puis mille revers… arrêtez je vous en supplie, j’avais l’impression d’être Forest Gump en train de taper sa petite balle blanche frénétiquement tout seul pendant des heures avant d’écrabouiller les Chinois aux championnats du monde. Le judo ? Un médecin compatissant m’avait trouvé une jambe plus longue que l’autre, je n’ai jamais su laquelle au juste. Toujours est-il que ma mère m’avait acheté un beau kimono tout neuf pour rien, sauf à vouloir devenir peintre en bâtiment mais à sept ou huit ans, c’était peut-être prématuré de choisir une profession. Le foot ? Eh oui le foot car figurez-vous que j’ai quand même fait une journée de football dans ma vie, je ne l’ai jamais dit à mon fils d’ailleurs. Et pour cause, voyant que j’étais complètement nul, l’entraîneur m’avait mis dans les buts et j’avais dû prendre un ou deux ballons dans la poire avant de finir étalé dans la boue. Voyant ma détresse, il a trouvé plus sage de me remettre sur le banc et moi de ranger mes crampons tout neufs au placard, pour ne plus en sortir. Ma mère a fini par abandonner l’idée de me faire faire du sport, sans doute avait-elle également dépensé tout son argent en équipements sportifs tous aussi beaux qu’éphémères et inutiles. C’est souvent lorsque l’on renonce à faire quelque chose qu’elle finit par arriver malgré tout, la vie est étonnante à cet égard. Un entraîneur de basket était venu faire une démonstration dans mon école primaire et nous avait quitté en invitant ceux qui voulaient aller plus loin à venir le soir même à son entraînement en club. J’y suis allé avec quelques copains et l’aventure a duré près de vingt ans. J’avais trouvé basket à mon pied.

Mais ce n’est pas parce que j’avais fait du basket que mon fils devrait forcément faire du basket. Je ne voulais pas être ce père-là, qui impose consciemment ou inconsciemment ses choix à ses enfants. Il ferait ce que bon lui semble, ce qui l’amuse avant tout et je ne l’inscrirais à rien s’il ne l’avait pas décidé lui-même au préalable, tel était mon état d’esprit et je dus par conséquent accepter sans sourciller de l’inscrire au club de foot du coin. Je ne le regrette pas car j’ai respecté ma ligne de conduite et il adore ce sport même s’il oublie parfois qu’il ne s’agit que d’un jeu et que le but est de s’amuser, participer important davantage que de gagner, n’est-ce pas Coubertin ? Le foot a aussi ceci d’avantageux qu’il est universel et nécessite pratiquement aucun matériel, hormis un ballon, et encore vous verrez parfois des gamins jouer avec des boules de papier. Et partout où vous irez dans le monde, vous trouverez des enfants qui jouent au foot et ça ce n’est pas rien pour enseigner à son fils la nécessité d’aller vers les autres, quelle que soit sa nationalité, sa langue, sa couleur de peau, son niveau social, le football est universel disais-je, c’est ce qui le rend incroyablement populaire.

Cela étant, c’est plus fort que moi je dois l’avouer, il faut toujours que je revienne sur le terrain politique, quand je pense à la prochaine coupe du monde au Qatar, j’ai un vrai gros problème avec ce football-ci. Non seulement les gars ont arrosé tous les jurés de la FIFA avec leurs pétro-dollars mais ils ont fait de même avec l’OIT, l’Organisation Internationale du Travail, afin d’acheter leur silence assourdissant sur les conditions de vie et de travail abominables des ouvriers qui construisent les infrastructures, qu’ils viennent du Sri Lanka, d’Inde ou de quelconque pays où les gens crèvent de faim, où les gens crèvent à la fin, ou avant, souvent avant. Des ouvriers à qui l’on confisque le passeport, ce qui rend tout retour à la maison impossible à moins d’obtenir l’accord de son tortionnaire local, qui sont payés au salaire minimum du pays d’origine et qu’on fait dormir dans des taudis sans clim alors qu’il fait 50 degrés à l’ombre. Résultats, des centaines d’entre-eux seront morts pour construire des stades afin que la planète football puisse faire la fête dans l’indifférence la plus totale, tant qu’il y a du pain et des jeux, le peuple se réjouit. Sans parler du coût écologique monumental d’un évènement qui ne va durer qu’un mois ! Le monde marche sur la tête, est-ce à dire que les footballeurs vont désormais faire des têtes avec leurs pieds ? Cela existe ceci dit, cette figure acrobatique s’appelle une bicyclette, comme quoi le football peut être écolo.

Je dois aussi expliquer à mon fils que non, 300 millions d’euros n’est pas une rémunération « normale », même pour un joueur aussi talentueux que M’bappé. Non ce n’est pas normal non plus de payer un ouvrier sri lankais 200 euros par mois pour risquer sa vie sur les échafaudages d’un chantier de stade de foot que d’autres bons hommes en short vont fouler pour plusieurs millions. Non rien ne peut justifier ça ! Les économistes m’expliqueront que c’est la loi du marché, la tête de gondole ayant le droit à sa part du budget publicitaire massif qu’on investit pour vendre des millions de maillots et de cochonneries logotypées fabriquées par d’autres esclaves sri lankais, indiens ou bangladais.

Toutes ces considérations doivent néanmoins être mises de côté le temps d’un dimanche de juin ensoleillé pour laisser les gamins s’amuser avec leurs copains, et leurs papas avec.

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