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Loser

21 juillet 2023

Imaginez-vous dans la peau du gamin arrivé numéro deux en finale du casting pour le rôle de Harry Potter dans l’adaptation au cinéma de la saga littéraire éponyme. Telle est l’idée du dernier roman de David Foenkinos, une idée que je qualifierai personnellement de géniale bien que celle-ci n’a pas reçu la validation de JK Rowling ou de ses avocats. Qu’à cela ne tienne, au diable les avocats et vive l’imagination des romanciers ! Imaginez la vie du garçon de 10 ou 11 ans qui est passé à ça de devenir une star planétaire pendant une bonne dizaine d’années, le temps de tourner les huit épisodes, et même ensuite car ces long métrages seront vus, revus et re-revus pendant des décennies. Rien ne peut être comparable à ce type d’échec monumental, à part peut-être celui de la dizaine d’éditeurs à qui l’autrice aujourd’hui à succès, selon l’expression consacrée, à l’époque une simple institutrice mère célibataire et déprimée, a envoyé son manuscrit, sans succès donc. Imaginez l’un des éditeurs en question qui retrouve par hasard le fameux manuscrit en faisant du tri sur son bureau, quelques centaines de feuillets qui ont depuis généré quelques milliards de droits d’auteur et plusieurs dizaines de milliards de revenus au global, voire davantage. Ce type pourtant sûr de lui et de sa culture littéraire contemple son bureau et ceux des quelques collaborateurs de sa maison d’édition insignifiante, ne peut que se dire qu’il est passé à côté de la chance de sa vie. A ça ! Comme Martin Hill, le personnage inventé par Foenkinos, arrivé deuxième derrière Daniel Radcliffe. S’en suit pour lui une vie d’enfer où chaque sortie d’un nouveau roman et de son adaptation sur grand écran, ne fait que retourner le couteau dans la plaie, encore et encore. Pour bien faire, Martin perd son père d’un cancer quelques années après et se retrouve lui aussi orphelin, comme le petit sorcier qu’il devait incarner. Son futur beau-père, véritable Voldemort en costume-cravate, se fera même un malin plaisir de le harceler pour guérir le mal par le mal, disait-il ! Jusqu’à ce que Martin lui enfonce une grosse fourchette de barbecue dans le bras, simple retour debaguette magique, jubilatoire pour le lecteur, du harcelé vers son bourreau.

Le salut de Martin ne viendra cependant que longtemps après, vers l’âge de 30 ans, lorsqu’il a la chance de rencontrer Daniel Radcliffe en personne. Les deux prétendants ne s’étaient pas croisés quand ils étaient enfants, chacun avait fait ses essais séparément avec Hermione et Ron. Martin put s’apercevoir que la vie de Daniel n’avait rien à envier à la sienne, lui qui est devenu responsable des surveillants de salles au musée du Louvre. Certes Daniel Radcliffe, ou plutôt Harry Potter, car peu de gens connaissent le vrai nom de Daniel, est riche et célèbre mais sa vie ne lui appartient plus. Impossible de faire un pas dans la rue sans que des inconnus lui demandent un autographe ou déclenchent une émeute s’il se déplace seul dans un lieu public trop fréquenté. A jamais il sera associé à son rôle de Harry Potter, à chaque fois qu’il tournera dans un nouveau film, les gens verront Harry Potter, qu’il joue un espion, un truand, un cowboy, un psychopathe, un extra-terrestre, quel que soit le personnage interprété, les gens verront toujours le jeune sorcier de Poudlard devenu adulte. Est-ce réellement une belle vie ? A un certain moment, Daniel pensait tout le contraire et cherchait à noyer son désespoir dans l’alcool. Martin en fut soulagé et put enfin commencer à vivre sa vie alors qu’il était convaincu qu’on lui avait volée.

Cette histoire romanesque, bien que basée en partie sur des personnages et des faits réels, pose la question du succès et de l’échec. Nous vivons aujourd’hui dans une société qui cultive ce que j’appellerai la tyrannie du succès. Get rich or die tryin, devenir riche ou mourir en essayant, dirait 50 cents (1), success is my only fuckin’ option, le succès est ma seule putain d’option, dirait quant à lui Eminem (2), clairement de ce point, les Américains nous influencent une fois encore jusqu’au fin fond de notre cerveau ou de ce qu’il en reste. Il faut réussir à tout prix, quoiqu’il en coûte, vive la start-up nation, à mort les losers. Mais ça veut dire quoi réussir ? Ma façon de voir la réussite n’est certainement pas la même que la vôtre, qui n’est pas la même non plus que celle de votre voisin, avec qui vous entretenez des relations agréables tant qu’ils ne s’achètent pas une plus belle voiture que la vôtre. Autrement dit, la réussite est une notion tout à fait relative. Des sociologues américains, toujours eux, ont d’ailleurs prouvé, des milliers d’enquêtes de terrain à l’appui, que le sentiment de réussite est surtout lié à la réussite moyenne de votre entourage (famille, amis, collègues etc.) comparée à votre propre réussite. Autrement dit, si vous évoluez dans un univers où vous réussissez moins que votre entourage, vous aurez tendance à vous percevoir comme un loser et inversement, vous vous considérez comme un winner si votre entourage est moins en veine que vous. Cette découverte, frappée au coin du bon sens, est néanmoins révolutionnaire. Primo, la réussite n’est pas absolue, elle est à comparer avec celle des autres, car l’être humain se compare en permanence, la situation professionnelle, la maison, la voiture, le compte en banque, la bite, les seins, la beauté… miroir mon beau miroir, et c’est encore pire depuis l’avènement des réseaux dit sociaux. Secundo, à chacun d’inventer sa propre définition de la réussite.

La réussite, c’est beaucoup plus simple qu’il n’y paraît. La réussite, c’est traverser la vie en faisant des rencontres et en menant des projets personnels intéressants, enrichissants à tout point de vue et pas seulement financièrement. C’est pour cette raison, comme disait D’Ormesson, que contrairement à ce que pensent les pauvres, l’argent ne suffit pas à faire le bonheur des riches. En vérité dans la vie, il n’y a ni winner, ni loser, le bonheur est ailleurs. Voilà ce qu’on devrait enseigner aux enfants, qu’il s’agisse de Martin Hill ou de Harry Potter.


Références / Sources

(1) Get rich or die tryin, premier album studio de 50 cents, 2003

(2) « Success is my only motherfucking option, failure’s not ». Extrait de la chanson Lose yourself, Eminem, 2002

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