# PolitiX

Merci patron !

9 juillet 2023

Certains voient Ruffin président, au moins candidat, en particulier chez les Insoumis, moi non. Lui non plus d’ailleurs, car il ne veut plus de président, tout court (1) et voit dans l’hyper présidentialisme de la Cinquième République, la source de tous nos problèmes politiques et démocratiques. Il se rapproche en cela de Gaspard Koenig, qui avait fait un tour d’Europe à Cheval et s’était présenté à l’élection présidentielle 2022, ou plutôt s’était présenté à la candidature, celui-ci n’ayant malheureusement pas eu ses 500 signatures. Vouloir être élu président pour en finir avec le présidentialisme, faut pas être à un paradoxe près. Ruffin ne l’est pas non plus ! Je ne vois pas François Ruffin président parce que c’est un rigolo, certes un rigolo cultivé, brillant, intelligent, malin et qui dispose sans doute de nombreuses autres qualités que je n’ai pas identifiées, c’est néanmoins un rigolo. Or pour prétendre à la fonction suprême, il faut la prendre au premier degré, avec le moins d’humour et de cinéma possible. De la mise en scène, de la grandiloquence, de la verve, pourquoi pas, au contraire, de l’esprit et du second degré, certainement pas. Faut laisser ça aux humoristes et aux chroniqueurs.

Son film, Merci Patron !, en est le parfait exemple. Autant l’objectif est tout à fait louable, permettre à une famille de Ch’tis, qui a tout perdu à la suite de la fermeture d’une des usines Boussac Saint-Frères lorsque l’entreprise a été rachetée par Bernard Arnaud, et dont le fils a enfoncé un 4×4 flambant neuf, une famille qui doit aujourd’hui 30 000 euros de dommages et intérêts, une somme que bien entendu ils n’ont pas, eux ont mis tout leur argent dans leur maison, qu’un huissier menace de saisir s’ils ne paient leur dette sous huitaine; autant la méthode est contestable. Emu par le sort de cette famille Klur, dont les parents n’ont pas eu la mauvaise idée d’appeler leur fille Lara, d’autant qu’ils n’ont eu qu’un fils, Ruffin se fait fort d’obtenir réparation auprès de Bernard Arnaud lui-même en se faisant passer pour ce fils champion de la conduite. Il rédige une lettre dans laquelle il menace tout simplement l’homme le plus riche de France de venir tout saccager à Paris lors de journées portes ouvertes dans certains de ces fleurons du luxe dont disposent le groupe et d’en parler également à la presse indépendante, ou ce qu’il en reste (Médiapart, Fakir) et aux élus (députés, président, etc.). A Paris, on ne prend pas ce genre de menace à la légère et on dépêche sur place un membre du service de sécurité du groupe LVMH. Bernard est alors pris à son propre piège, lui qui est adepte des techniques de barbouzes (filatures, espionnage, écoutes…), puisque Ruffin et ses amis du journal placent une caméra et des micros dans la salle à manger des Klur, le coeur de l’intrigue et du film Merci patron ! est opérationnel. Que va faire ce garde du corps quand il va arriver dans cette famille de maîtres chanteurs du nord de la France ? Va-t-il tout péter ? Va-t-il les menacer ? Chercher à les intimider ? Va-t-il les liquider, avec son silencieux, devant la caméra cachée de Fakir ? Ce serait énorme ! Un scoop, la promesse d’un film qui fera exploser le box office. Rien de tout ça, le gars est sympa, affable, pas menaçant pour deux sous, il parle même des micros en rigolant, car il ne croit pas une seconde que les gens qu’il a devant lui soient capable d’une telle manipulation. Il leur propose finalement de leur filer 35 000 euros pour régler leur problème d’huissier et de dettes, et propose même d’intervenir auprès d’un centre commercial Carrefour, puisque Bernard Arnaud, qui a pour initiales BA, comme bonne action, est aussi un actionnaire majeur du groupe de distribution. Une condition cependant pour tant de gentillesse, qui fera l’objet d’un contrat imprimé et signé, ne rien divulguer de cet accord à qui que ce soit, et surtout pas à ce connard de Ruffin et sa bande de communistes de Fakir. A cet instant forcément, le spectateur que je suis, et je ne suis pas le seul car le film fera un carton et la fortune relative de Ruffin – quand je disais qu’il n’est pas un paradoxe près – se fend la poire. Voir le représentant de Bernard Arnaud se faire prendre dans un piège aussi bateau, c’est jouissif ! Il voulait la jouer discret et il va se retrouver acteur principal d’un film qui sera montré dans la France entière et même à l’étranger. Moi je dis chapeau le service de sécurité de LVMH ! Pas certain que le principal protagoniste soit encore salarié du groupe aujourd’hui. Un vrai coup de génie, que reconnait d’ailleurs le garde du corps, puisqu’il déclare aux Klur qu’ils ont bien manoeuvré, touché coulé qu’il dit, pour obtenir ce qu’ils voulaient alors que ce n’est pas dans l’habitude du grand patron de céder aussi facilement. Lui-même semble bluffé d’être là à négocier le bout de gras avec les deux Ch’tis.

Ruffin se voit ici comme une sorte de Robin des Bois réel et moderne, prendre aux riches pour donner aux pauvres, phrase qu’il fait prononcer par son petit garçon dans le film. Tandis que Macron, selon lui, est plutôt son contraire, puisqu’il prend aux pauvres pour donner aux riches, c’est le reproche qu’il adresse tout au long de Ce pays que vous ne connaissez pas à son ancien camarade du lycée La Providence, la Pro pour les intimes, à Amiens. C’est aussi la dialectique centrale de la pensée et de la vie de Ruffin, les méchants riches d’un côté, de plus en plus riches, et les gentils pauvres de l’autre, de plus en plus pauvres. Il ne parle pas souvent des gens au milieu, qui sont pourtant les plus nombreux. Ruffin aime aussi jeter des noms à la vindicte populaire, dans Merci patron !, c’est Bernard Arnaud le grand méchant patron.

Il se trouve que j’ai choisi LVMH comme sujet de fin d’études, bon c’était il y a plus de 20 ans, ce qui ne me rajeunit pas, mais qu’importe. J’ai fait des études qui ne plairaient certainement pas à Ruffin puisqu’il s’agit de commerce, le vilain mot, dans le privé qui plus est. Cependant, je n’ai de leçon à recevoir de personne et certainement pas de Ruffin. Je viens d’un milieu modeste, j’ai grandi en province dans une petite cité cosmopolite et bien que mes parents avaient le privilège d’habiter une maison, celle-ci n’était pas bien grande et pour payer mes études, il a fallu emprunter et travailler pour les rembourser. Pour terminer ces études de commerce fort coûteuses, j’ai dû choisir un sujet et l’histoire de ce groupe LVMH (pour Louis Vuitton Moet Hennesy), c’est à dire le mariage d’une malle de luxe avec une bouteille de champagne et de cognac pour mettre dedans, me semblait passionnante, pour ne pas dire enivrante. J’aurais pu choisir l’histoire de la SMN, Société Métallurgique de Normandie, puisque c’était juste à côté de chez moi, mais vous avouerez que ce n’est pas aussi sexy. J’ai donc choisi LVMH, dont les origines remontent bien bien bien avant la naissance de Bernard Arnaud et je peux dire que je connais assez bien le sujet. Je ne voudrais pas défendre ici Bernard Arnaud, que je ne connais pas malheureusement et qui ne me connaît pas non plus, je ne voudrais cependant pas non plus lui cracher dessus et le jeter dans la fausse aux lions comme le fait avec un certain plaisir François Ruffin. Arnaud n’est ni un ange, ni le diable, c’est juste un entrepreneur, un patron, un capitaliste et un visionnaire hors normes. Il s’est parfois assis sur le droit faut avouer, notamment lorsqu’il a lancé son OPA hostile sur la famille Vuitton pour prendre le contrôle du groupe avec le soutien des familles de Champagne et de Cognac, il a aussi souvent menti, notamment lorsqu’il a dit qu’il reprendrait une bonne partie les salariés du groupe Boussac ou ceux de la Samaritaine alors qu’il savait très bien qu’il ne mettrait pas Ginette du rayon bricolage à diriger le futur corner Gucci. Il le savait pertinemment mais que vouliez-vous qu’il dise, ne vous inquiétez pas, ça va bien se passer, je vais juste lourder les deux tiers des salariés et vous vous démerderez comme vous pourrez, après tout c’est la vie hein ! Evidemment non. Il y a ce qu’on appelle le corporate, la communication d’entreprise, le politiquement correct, une façon d’habiller le mensonge, ce qu’on dit qu’on fera tout en sachant qu’on ne le fera jamais et ce qu’on fait vraiment. Je ne défends pas cela, je dis simplement en creux que Bernard Arnaud n’a pas inventé le capitalisme ni la manière dont on rachète des boîtes, on les redresse en délocalisant la plupart du temps et on les revend en se faisant un max d’argent. Bernard Arnaud, comme Bernard Tapis avant lui, n’a rien inventé non. Chacun est dans son rôle, un investisseur investit pour faire une plus-value, la plus grosse possible, au politique et à la justice de faire en sorte que la reprise ne soit pas sans condition ni contrepartie. Après, ce qu’a fait Bernard Arnaud de l’empire Boussac, un empire qui était en chute libre et condamné à être liquidé sans indemnités, juste des larmes pour pleurer, s’il n’avait pas été repris, est incroyable, sans équivalent dans l’histoire économique moderne. LVMH est aujourd’hui leader dans le secteur du luxe, l’une des plus grosses capitalisations boursières au monde, faisant de son patron et actionnaire principal, l’un des hommes les plus riches de la planète.

Le problème de Ruffin, c’est qu’il n’aime pas les riches et entretient un climat de haine générale vis à vis d’eux, le terreau parfait pour une guerre civile. Ruffin n’est pas comme l’obélisque, un élément de concorde nationale, Ruffin cherche au contraire la discorde, voire le chaos, et il a lui aussi un certain génie pour cela, son film en est la preuve. Moi je n’ai rien contre les riches, ni contre les pauvres, en fait je suis ni pour ni contre, bien au contraire. En fait, je suis pour les riches quand ils contribuent au progrès social et je suis clairement contre quand ils se cassent en Belgique pour payer moins d’impôts. En cela je peux donner raison à Ruffin et condamner Arnaud, qui a d’ailleurs renoncé à prendre la nationalité belge après le tollé que cela a créé. Et pour cause !

Casse-toi riche con ! avait titré Libé à l’époque, en référence à la sortie de Sarkozy. C’était drôle mais non constructif. Car on a besoin des riches, sinon à qui Robin des Bois irait-il faire les poches ?


Sources / Références

(1) Ce pays que tu ne connais pas, François Ruffin, Les Arènes, 2019, p.176

Merci patron ! film de François Ruffin, sorti en 2016.

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