Odyssée américaine
En descendant la Vélo Francette, qui va de Ouistreham à La Rochelle, on croise, à La Rochelle justement, une autre piste dénommée la Vélodyssée, qui va quant à elle de Saint-Jean-de-Luz à Roskcoff en longeant la côte atlantique. Un nom qui me rappelle un roman de Jim Harrison, Une Odyssée Américaine (1). On parle souvent, de nos jours où les expressions anglo-saxonnes remplacent le bon vieux françois, de road trip pour qualifier ce type de voyage itinérant, le long de la route donc, ou des chemins, à pied, à cheval comme notre ami Gaspard Koenig, à vélo, en voiture, en van ou en camping-car, ce dernier mode ayant explosé avec le papy boom et l’avant-dernier (le van aménagé) avec le Covid et la fuite des bobos parisiens loin de la ville. Moi j’aime bien l’idée d’Odyssée, qui nous renvoie à Homère et à Ulysse. De l’île des Cicones à celle du Soleil, en passant par les Lestrygons, les Lotophages, le Cyclope et le chant des Sirènes, sans lequel Frero et Delavega n’auraient certainement pas écrit leur chanson, Ulysse a connu bien des péripéties à son retour de la guerre de Troie, ramené finalement seul par les Phéaciens à Ithaque pour constater que sa femme Pénélope est entourée de courtisans, mais l’histoire se finit bien heureusement, Happy end.
Dans Une Odyssée Américaine, c’est l’inverse, l’histoire commence par un divorce, celui de Cliff et Vivian. Cliff est un ancien prof de littérature qui est devenu fermier dans le Michigan, reprenant l’ancienne ferme des parents de Viviane qui après une première partie de carrière un peu terne s’est décidée à travailler dans l’immobilier, comme la famille Kretz sur Netflix (voir L’Agence). Résultat, son fermier de mari et ses manières rustaudes ont fini par l’éloigner voire la dégouter, surtout quand elle lui demandait si elle avait un gros cul et qu’il lui répondait qu’il n’était pas plus gros que les autres gros cul du Michigan. Ce n’est pas tout à fait ce qu’elle attendait, évidemment. Y en qui savent parler aux femmes, d’autres non. Alors elle a vendu la ferme de ses parents et Cliff s’est lancé dans un voyage, un road trip, une odyssée, en bagnole, Amérique oblige, dans le but de renommer tous les Etats de l’Union ainsi que leurs oiseaux totem. Un objectif plus poétique que le début de l’histoire le laisser envisager, c’était oublier que notre fermier avait été prof de littérature. C’était oublier aussi Jim Harrison, l’auteur entre autres des Légendes d’Automne, qui n’a pas son pareil pour raconter les gens, surtout ceux de la campagne, la nature, la pêche, les oiseaux, le gibier, le cul aussi car chez Harrison, on trouve des idées lubriques toutes les dix lignes, sans jamais tomber dans la pornographie cependant. Ici, c’est Marybelle, une ancienne étudiante « qui s’enthousiasmait autant pour les pistils et les étamines que pour les romans des sœurs Brontë ou la poésie de Walt Whitman », que Cliff récupère en chemin et qui porte tous les fantasmes de l’auteur. En bref, Cliff se tape son ancienne étudiante, ce qui passera sous les radars de Me Too, Judith Godrèche et le Festival de Cannes version 2024 car l’étudiante en question a aujourd’hui une quarantaine d’année.
Le génie d’Harrison est de savoir raconter les territoires américains, Michigan, Wisconsin, Minnesota, North Dakota, South Dakota, Wyoming, Idaho, Oregon et nous voici au bord du Pacifique, près à redescendre la palissade le long de la Californie, San-Francisco, Los Angeles, San Diego, ancien et nouveau Mexique. Ces territoires, c’est l’Amérique d’hier, celle des tribus indiennes, les Chickasaw, Kolyukon, Apaches, Caddos, Chumesh… des centaines de clans, familles, cultures avant l’invasion des Européens et leur quasi extermination. Ces territoires, c’est aussi l’Amérique de demain, celle de Trump, bien que le milliardaire originaire de New-York n’y ait jamais foutu les pieds, son jet privé et sa limousine n’ayant sans doute pas assez d’essence ou les roues assez robustes pour arriver jusque-là. Sauf que les Américains de cette Amérique des grands espaces y voient, à tort, un défenseur de leur mode de vie et des leurs traditions. Harrison sait mélanger tout ça de manière subtile, littérature, nature, flore, faune et genre humain avec ses bons et ses mauvais côtés.
L’odyssée de Cliff n’est pas épique comme celle d’Ulysse, elle est brute de décoffrage, intime, un peu salace parfois, personnelle et universelle à la fois, un vrai voyage au cœur de l’Amérique que je vous encourage à faire sans quitter le confort douillet de votre canapé français.
Je vois venir d’ici et me dire, et Kerouac alors ? Je ne vais pas vous mentir, je n’ai pas lu Kerouac, ce qui est un trou inadmissible dans ma raquette culturelle, je suis d’accord. Alors je vais m’empresser de le lire et de revenir vous en parler. Alors à bientôt Sur la route les amis.
Sources / Références
(1) Une Odyssée américaine, Jim Harrison, Editions Flammarion, 2009
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