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Réindustrialisation

27 mai 2024

Marx, qui avait prédit la fin du capitalisme industriel, aurait-il imaginé qu’après un demi-siècle de désamour entre la France et son industrie, amenant ce secteur économique à moins de 10% du PIB, celle-ci serait de nouveau mise en avant et présentée comme l’avenir du pays ? Il aurait sans doute eu du mal à avaler ça, peut-être aurait-il balancé son manuscrit du Capital par la fenêtre et serait parti à la pèche.

Il y a de quoi être passablement exaspéré en effet d’entendre ce type d’annonce dans le discours de nos responsables politiques, en particulier le premier d’entre-eux. Pendant des décennies, on nous a dit que l’industrie c’était fini, que nous serions un pays d’ingénieurs sans usine pour s’apercevoir qu’à la place, nous sommes devenus un pays de chômeurs sans usine, un pays qui partout où l’industrie, et les emplois qui vont avec, a disparu, vote pour le Rassemblement National. Pas besoin d’être un expert des sondages, un politologue ou un chercheur en sociologie pour comprendre le lien entre les deux. Pendant que les ingénieurs ont vécu au chaud dans leur siège à Paris, les ouvriers ont fait les frais de cette stratégie de délocalisation vers des pays à bas coût, en Asie, au Maghreb ou ailleurs.

Alors, quand on leur dit, hey les gars, vous savez quoi ? L’avenir du pays, c’est l’industrie, je pense que certains ont envie de distribuer des tartes, mais pas à la crème. L’industrie, c’est le passé, le présent et l’avenir du pays, bien entendu, et il aurait été opportun de voir plus loin que le bout de sa lorgnette et de son gros ventre de sénateur, pour le comprendre, l’anticiper. Il aurait été opportun de défendre les usines, les entrepreneurs et les ouvriers qui y travaillaient jours et nuits, et de ne pas laisser les jeunes cadres dynamiques tout frais émoulus de leurs grandes écoles tout casser au profit de la Chine. Vous pensez peut-être que je veux parler des années 80, 90, 2000, etc. Eh bien pas seulement, je parle aussi d’aujourd’hui. Quand Emmanuel Macron déclare au sommet Choose France que « l’industrie est la mère des batailles » (1), au même moment, les entreprises industrielles Recom Sillia (32 salariés) et Systovi (84 salariés), spécialisées dans les panneaux photovoltaïques ont déposé le bilan à cause de la concurrence chinoise. C’est bien beau de communiquer Monsieur le Président, mais les gens attendent des actes, pas uniquement des paroles. Les paroles, ils connaissent et ils n’en veulent plus. D’ailleurs, depuis l’arrivée à L’Elysée d’EM en 2017, la production manufacturière a continué à baisser, donc s’il s’agit de la mère des batailles comme il le dit avec force, force est de constater qu’il est en train de perdre la guerre.D’autant que ce n’est pas si simple qu’il y paraît. Pour véritablement relancer l’industrie dans ce pays, il faudra une révolution culturelle qui devra commencer à l’école où les enfants ne font plus rien de leurs dix doigts, rien de manuel en tout cas. Les métiers manuels et techniques continuent d’être l’apanage des élèves qui ont des difficultés scolaires, ce qui est une hérésie. Il faut des qualités intellectuelles significatives pour être un excellent artisan ou technicien. Il est idiot et contre-productif de séparer les deux. Ma chérie dit avec philosophie que nous devrions tous avoir deux métiers, un manuel et un intellectuel, pour vivre de manière plus équilibrée. Je pense qu’elle a raison, bien que cela relève davantage de l’utopie que du réalisme, difficile à appliquer en tout cas. Je pense surtout qu’il faut de l’intelligence dans tout, manuel ou pas manuel. Quand on enlève l’intelligence, c’est qu’on prend les petits humains des pions, des cons, tout juste bons à produire et à fermer sa gueule. La force de travail sans l’intelligence, c’est le retour au XIXème siècle de Marx. C’est pourquoi, si réindustrialisation il y a, elle ne sera pas de la même nature que l’industrie des siècles précédents. J’aime bien à cet égard l’idée de « perma-industrie » et sa comparaison avec la nature :

« La photosynthèse permet aux feuilles des arbres de transformer l’énergie solaire en sucre et en oxygène. Les papillons butinent des fleurs pour se nourrir, ils fécondent ainsi les végétaux. L’écureuil, en enfouissant ses noisettes pour passer l’hiver, permettra à certaines de germer, de grandir. Au sol et sous terre, des animaux, des insectes, des bactéries et des champignons décomposent la flore et la faune mortes, cela enrichit le terrain. Chacun alimente à sa manière et à son échelle cet extraordinaire écosystème, cette symbiose dynamique. De la nature, nous n’attendons ni morale, ni dogme, ni utopie. Mais elle est tellement créative, productive, complexe, merveilleuse et résiliente qu’elle nous inspire : elle produit la vie en formant une industrie qui dépasse en tous points les meilleures industries humaines. Pour activer l’émergence d’un récit déclencheur et fédérateur, la perma-industrie propose d’accélérer la croissance d’un monde bénéfique à l’humanité comme à la nature. » (2)

Pour eux, l’industrie du futur devra ainsi respecter les principes suivants :

‒ Créer, produire.
‒ S’interconnecter.
‒ S’adapter à son terrain.
‒ Être circulaire, former des cycles régénérateurs sans déchet ultime.
‒ Développer la diversité.
‒ Se limiter, être sobre, trouver l’équilibre.

En résumé, si c’est pour retourner à la vieille industrie polluante et inhumaine, ce n’est pas la peine de vous gratter la tête les gars. Alors, j’invite encore une fois nos responsables politiques à voir plus loin que le bout de leur nez et de leur mandat. Il ne faut pas seulement répondre aux défis présents, il faut imaginer l’avenir et investir pour que celui-ci soit possible. Et pour revenir sur le sujet de l’école, il faut chasser ces maudites tablettes dévoreuses de cerveaux et réintroduire des activités manuelles et techniques, mettre les enfants en contact avec la terre, les matériaux, les outils. Tout ça n’est pas une activité pour les abrutis, bien au contraire. La réindustrialisation du pays commence à l’école, car c’est le terreau et l’avenir de ce pays.

Les intellos font souvent référence à Saint-Simon dès qu’il s’agit de sciences et d’industrie, cet aristocrate touche à tout, à la fois scientifique et philosophe, qui fit fortune en récupérant les biens du département de l’Orne après la Révolution de 1789, un département que je connais bien pour y être né, et qui voyait dans l’industrie, ou industrialisme, une voie de progrès pour l’humanité toute entière, surtout par rapport à l’époque féodale. Moi qui suis agnostique sceptique, je veux bien être saintsimonien si cette industrialisation ne profite pas à une poignée d’individus au détriment du plus grand nombre et surtout si celle-ci ne vient pas détruire l’environnement et la nature. Les deux siècles qui viennent de passer ont montré les limites du modèle industriel classique, l’industrie est à réinventer en effet, et ce n’est pas Marx qui me contredirait.


Sources / Références

(1) La reconquête industrielle se construit dans les esprits, magazine Challenges, 16 mai 2024

(2) https://permaindustrie.org/manifeste/

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